La séance est ouverte à 9 heures 30.
Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.
La Commission examine le projet de loi, adopté avec modifications par le Sénat, en deuxième lecture, relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (n° 2331) (M. Carlos Da Silva, rapporteur).
La plupart de la centaine d'amendements au projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, portent sur l'article 1er. Sachant qu'un amendement du rapporteur risque d'en faire tomber un certain nombre, je propose que ceux qui le souhaitent interviennent sur l'article 1er lors de la discussion générale, afin que les auteurs des amendements puissent tous s'exprimer. J'informe les membres de la commission des Lois que la commission mixte paritaire se tiendrait le jeudi 27 novembre prochain, à 13 heures 45, à l'Assemblée nationale.
Il s'agit d'une bonne méthode respectueuse de chacun des nombreux parlementaires présents pour débattre de ce texte.
Nous sommes à nouveau saisis du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, adopté par le Sénat en deuxième lecture le 30 octobre dernier par 175 voix contre 33.
Cette nouvelle étape est décisive pour une réforme qui permet non seulement de bâtir de grandes régions renforcées, mais aussi une France plus équilibrée entre son coeur, la région Île-de-France, et l'ensemble du territoire national. Ce projet de loi vise aussi à mettre en place une architecture mieux adaptée aux enjeux économiques et démocratiques des prochaines décennies dans l'intérêt de nos concitoyens, de nos entreprises et de toutes les forces qui animent le tissu économique et associatif.
Il s'agit d'enclencher le grand mouvement indispensable à l'adaptation et au redressement de la nation. Les Français l'ont bien compris : si la réforme territoriale a pu, dans un premier temps, réveiller quelques passions et susciter quelques revendications excessives, elle est désormais regardée par la plus grande partie de nos concitoyens comme une avancée considérable, indispensable au renforcement du pays, de sa cohésion territoriale et de sa décentralisation. Elle était attendue depuis longtemps et elle a été souhaitée, tour à tour, sur tous les bancs de notre assemblée.
Contrairement au texte adopté par le Sénat en première lecture, qui avait été vidé de sa substance et ne proposait aucune carte, celui que nous examinons aujourd'hui témoigne d'une approche plus constructive. Nous ne pouvons que nous réjouir que le Sénat ait adopté le principe d'un regroupement des régions – il correspond, à deux cas près, à la carte que nous avions adoptée en première lecture –, et celui d'une modification du calendrier électoral, tout en entérinant le souhait du Gouvernement d'organiser les prochaines élections départementales en mars 2015. Je ne doute pas que nos débats en commission et en séance seront tout aussi constructifs.
Le Sénat a cependant apporté des modifications non négligeables au texte que nous avions adopté en première lecture. Je note que certaines d'entre elles semblent méconnaître des règles, comme celle dite de l'entonnoir, voire aller à l'encontre de principes constitutionnels.
Le Sénat a rétabli un article préliminaire réaffirmant les compétences ayant vocation à être exercées par chaque niveau de collectivité.
Concernant la carte, s'il a tenté de respecter la plupart des grands équilibres établis par notre assemblée à l'issue de la première lecture, il a purement et simplement supprimé deux regroupements que nous avions opérés : celui du Languedoc-Roussillon avec Midi-Pyrénées, et celui de l'Alsace, de la Champagne-Ardenne et de la Lorraine. La carte qui nous est proposée compte donc quinze régions métropolitaines, si l'on inclut la Corse.
En ce qui concerne les règles de détermination des futurs noms et chefs-lieux des nouvelles régions, il a confirmé le dispositif de libre choix prévu par notre Commission, en supprimant quelques précisions qui encadrent ces dispositions. Il a également modifié le nom de la région Centre, renommée Centre-Val de Loire, sans que le conseil régional concerné ait pu délibérer sur cette question.
S'agissant des modalités d'évolution volontaire de la carte régionale et de ce qui est improprement désigné sous le nom de « droit d'option », le Sénat a globalement accepté le principe de la suppression des conditions référendaires au profit d'une décision des organes délibérants des collectivités concernées à la majorité des trois cinquièmes. Cependant, s'agissant de la possibilité offerte à un département de changer de région, il a curieusement estimé que la région de départ n'aurait pas à donner son accord, mais pourrait seulement faire part de son opposition, ce qui laisse à penser que cette question pourrait ne pas concerner les élus en question. Il a aussi estimé que ces évolutions ne pourraient être mises en oeuvre que durant l'année 2016, en prévoyant toutefois que les procédures en cours pourraient être achevées par la suite, alors que nous avions prévu d'ouvrir cette possibilité jusqu'en mars 2019, soit un an avant les élections suivantes.
À cette fin, il a imaginé un dispositif permettant de modifier par voie réglementaire le tableau des effectifs des conseils régionaux, voire d'organiser le transfert de certains conseillers régionaux en cours de mandat… Autant le premier point mérite d'être pris en considération, autant il me paraît constitutionnellement périlleux de prétendre, même « à titre transitoire », faire siéger dans un conseil régional des conseillers régionaux élus dans une autre région.
Le tableau des effectifs a été adapté par le Sénat afin de tenir compte des modifications qu'il a apportées à la carte des régions. Une réduction de 10 % des effectifs des conseils régionaux comptant plus de 150 membres, à l'exception de la seule Île-de-France, a été adoptée. Elle concernerait les nouvelles régions regroupant Nord-Pas-de-Calais et Picardie d'une part, Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes d'autre part et également Auvergne et Rhône-Alpes.
Enfin, tout en confirmant le principe du plancher garantissant à chaque département un nombre minimal d'élus au sein du conseil régional, le Sénat a porté ce nombre à cinq, au lieu de deux, comme cela avait été prévu dans le texte de notre assemblée en première lecture. Sur ce point également, il me semble que le risque constitutionnel que fait courir le texte du Sénat est particulièrement élevé.
En ce qui concerne les prochaines échéances électorales, le Sénat a adopté les dispositions relatives au remplacement des conseillers départementaux votées par l'Assemblée nationale. À la demande du Gouvernement, il a modifié le calendrier électoral afin de supprimer le report des élections départementales de mars à décembre 2015, et il a entériné le déroulement des prochaines élections régionales en décembre 2015. Contre l'avis du Gouvernement et du rapporteur, il a fixé l'échéance des mandats acquis en 2015 à mars 2021 plutôt qu'au mois de mars 2020, date prévue dans le projet initial.
Le Sénat a également ébauché une solution concernant la situation des candidats et des collectivités territoriales ayant, de bonne foi, engagé des dépenses pouvant être considérées comme relevant de la propagande électorale avant le 28 octobre 2014, date de la déclaration du Premier ministre devant le Sénat confirmant le souhait du Gouvernement d'abandonner le report des élections départementales de mars à décembre 2015.
À la demande de certains élus réunionnais et guadeloupéens, il a inséré des dispositions nouvelles concernant l'évolution des deux collectivités ultramarines et la perspective de mise en place des collectivités uniques. Ces ajouts me semblent contraires à la règle de l'entonnoir qui prévaut à ce stade de la procédure parlementaire.
Enfin, le Sénat a supprimé les dispositions insérées par l'Assemblée, à l'initiative de M. Florent Boudié, rapporteur pour avis de la commission du Développement durable et de l'aménagement du territoire, visant à organiser la place des oppositions au sein des conseils régionaux, et les dispositions relatives au calendrier d'organisation de la carte intercommunale en Île-de-France.
Le texte qui nous est soumis comporte quelques avancées, mais aussi des retours en arrière, voire des dispositions nouvelles qui ne peuvent constitutionnellement prospérer en deuxième lecture. Mes amendements tâcheront d'apporter des réponses concrètes et conformes à notre droit sur chacun de ces sujets. En tenant compte des apports du Sénat, je proposerai de rétablir les grands équilibres que nous avions réussi à trouver en première lecture.
Sur le plan politique et constitutionnel, il me semble paradoxal de débattre d'un texte qui traite des modes d'élections dans les collectivités territoriales et trace la carte des régions avant d'avoir examiné le projet de loi relatif à leurs compétences. Le Sénat sera saisi de ce dernier texte au mois de décembre prochain, et l'Assemblée seulement au début de l'année 2015, ce qui signifie que nos compatriotes seront amenés à élire, les 22 et 29 mars prochains, des assemblées départementales dont ils ne connaîtront pas les compétences.
Le Gouvernement n'est pas très sérieux lorsque, en novembre, il demande à sa majorité de fixer, pour les élections départementales, une date différente de celle qu'il lui avait demandé d'adopter en juillet. Je condamne cet amateurisme sans précédent dans l'histoire de notre République. Il n'est guère de nature à inciter nos concitoyens à voter au mois de mars prochain, d'autant qu'un scrutin à deux élus risque de les décontenancer.
Monsieur le rapporteur, vous avez souligné que nous ne connaissions pas l'avis de la région Centre sur sa nouvelle dénomination. Je rappelle que nous avons tous reçu un courrier de M. François Bonneau, président de la région. Certes, il ne s'agit pas d'une délibération de l'assemblée régionale, mais la parole du président d'une assemblée élue, bénéficiant d'une solide majorité, mérite tout de même d'être entendue.
J'ai remarqué que certains collègues avaient déposé des amendements visant à remarier la malheureuse région Poitou-Charentes, soit avec le Centre, soit avec les Pays de la Loire. Pourtant les quatre conseils départementaux, qui sont de sensibilités politiques très différentes, la quasi-totalité des députés et sénateurs, y compris ceux qui viennent d'être élus, se sont prononcés en faveur d'un rapprochement avec l'Aquitaine et le Limousin, et une capitale régionale, Bordeaux. Puis-je dire à tous ceux qui veulent parler en notre nom que je ne me permettrai pas de parler en le leur ? Nous sommes tout de même bien placés pour savoir ce que nous souhaitons dans cette région.
Je salue la sagesse de notre rapporteur qui a rendu hommage à celle du Sénat. L'alternance a du bon, semble-t-il ; peut-être faudrait-il y songer pour notre propre assemblée.
Ce qui a été présenté comme l'un des grands projets de cette partie du quinquennat n'est, en fait, qu'une réforme a minima qui manque d'ambition. Des pressions nombreuses se sont exercées venant de toutes parts, y compris de la majorité, et ce texte constitue « l'aboutissement » de tergiversations qui durent depuis près de deux ans. Jeudi dernier, sept mois après en avoir annoncé la suppression, le Premier ministre a déclaré que les départements étaient devenus une priorité nationale. On fait un pas en avant, puis un pas en arrière. Il y a un mois, il s'agissait de rassurer les présidents de régions ; j'imagine que, dans trois semaines, nous entendrons au Congrès des maires des discours qui caresseront l'auditoire dans le sens du poil. Tout cela est brouillon et manque de travail en amont.
Si nous avons entendu trop d'annonces contradictoires, c'est parce que le Gouvernement ne sait pas vraiment quels objectifs il poursuit. Aucun des arguments avancés ne tient vraiment. Il s'agirait de dépenser moins, nous dit-on. En ce domaine, rien n'est démontré. André Vallini, secrétaire d'État à la Réforme territoriale, nous a d'abord annoncé une économie de 25 milliards d'euros avant de s'en tenir prudemment à 10 milliards. En tout état de cause, nous savons que les fusions de collectivités sont d'abord coûteuses, notamment en matière de personnel, et qu'il faut du temps avant qu'elles ne produisent des effets vertueux. Sur le plan financier, nous sommes donc loin du compte, à moins que l'opération ne vise à réduire les dotations aux collectivités tout en leur attribuant des compétences supplémentaires – mouvement qui, à vrai dire, est déjà à l'oeuvre.
L'objectif serait aussi de rapprocher les élus des citoyens, mais je doute que cela se produise vraiment. Non seulement la modification des dates des élections des assemblées départementales risque, au contraire, de détourner nos concitoyens des urnes, mais, si cela ne suffisait pas pour les dissuader, vous leur demanderez d'élire des conseillers départementaux dont les compétences seront totalement inconnues. C'est du jamais vu !
Que dire par ailleurs des contours des régions ? Il y a matière à discussion comme le prouvent les très nombreux amendements dont nous sommes saisis. Je suis un peu effrayé de constater que le siège des régions sera fixé par un décret provisoire en 2015, puis par un décret définitif en 2016. Vous imaginez ce qui pourra se produire entre villes concurrentes dans l'intervalle.
L'argument de la réduction du millefeuille territorial me laisse également dubitatif, puisque nous n'avons pas encore d'informations concernant les compétences des diverses collectivités.
La copie reste donc à revoir, même si le Sénat a apporté un peu de sagesse au débat. Il s'agit pour l'instant d'un brouillon qui ne convaincra personne.
Je salue l'initiative du président de la République qui a eu le courage d'engager une réforme majeure de l'architecture institutionnelle locale de notre pays. Ce courage est d'autant plus grand que l'exécutif aurait pu se contenter de dessiner par décret le contour des circonscriptions. Au contraire, pour la première fois, elles seront tracées par le Parlement par la voie démocratique, sous les yeux de nos concitoyens. La transparence me paraît constituer une excellente méthode.
Le choix d'examiner la carte des régions avant de se pencher sur leur compétence me paraît également de bonne méthode. Si vous me permettez cette comparaison hasardeuse, avant de distribuer les cartons d'un déménagement, je préfère savoir si je les confie à un grand costaud ou à un petit gringalet. En l'espèce, une fois que nous disposerons de grandes régions, nous saurons que nous pouvons leur confier de grandes compétences.
Au mois de juillet dernier, le groupe SRC avait collectivement dessiné une carte qui allait plus loin que celle proposée par le Gouvernement. Il maintiendra cette position et proposera de rétablir une grande région à l'est de la France, car il ne faut pas laisser l'Alsace dans une situation d'isolement.
Il ne serait pas non plus justifié que Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon restent isolées, alors que se constitue au sud-ouest une très grande région Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes et qu'au sud-est existe déjà la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. En s'unissant, ces deux régions pourront équilibrer le territoire au sud et former un troisième ensemble régional de taille comparable aux deux autres. Tous les trois pourront alors affronter l'avenir avec davantage de confiance.
Le Sénat a voté à une majorité de plus des deux tiers le maintien de l'Alsace dans ses contours. Depuis juillet, les trois collectivités concernées – les conseils généraux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin et le conseil régional d'Alsace – ont délibéré solennellement : 96 % des élus, y compris socialistes, ont rejeté la réforme. Peut-on aller contre la volonté d'un tel nombre d'élus ? Peut-on aller contre la volonté de la population alsacienne – sans aller jusqu'à parler d'un peuple ?
Les Alsaciens ne manifestent pas souvent. Or jamais, depuis 1924 ou 1953, ils n'étaient descendus en aussi grand nombre dans la rue que le 3 octobre dernier à Strasbourg. Ils ont aussi été plusieurs dizaines de milliers à signer des pétitions s'opposant à la réforme. Je crois que plus de 300 délibérations en ce sens ont été prises par des conseils municipaux.
Je vous garantis que nous reviendrons sur une réforme qui ne respecterait pas la volonté des élus et des Alsaciens. Les trois candidats aux élections à la présidence de l'UMP ont d'ores et déjà pris l'engagement qu'un retour de l'UMP au pouvoir se traduirait par un retour à la région Alsace.
Pourquoi vouloir imposer une réforme qui ne sera pas mise en oeuvre ?
L'Alsace n'est pas isolée. Elle reçoit les plus importants investissements étrangers de France ; elle accueille sans doute la proportion la plus importante d'immigrés ; elle héberge probablement le plus grand nombre de travailleurs transfrontaliers. Vous commettriez une erreur historique en méconnaissant cette réalité. Prenez en compte l'avis du Sénat ! À ce sujet, les propos du président de l'Assemblée, qui estime que le travail du Sénat n'est pas sérieux, m'ont blessé.
Quoi qu'il arrive, nous reviendrons sur cette réforme. Non seulement vous feriez une erreur, mais ces allers-retours seraient contraires à la bonne administration de la république.
Je réaffirme mon soutien à une réforme de modernisation voulue par le président de la République et le Gouvernement. Ils ont su faire preuve de courage en présentant ce projet dès le mois de juin.
Vous nous accusez d'agir dans la précipitation, mais cela fait plus de vingt ans que l'idée de réduire le nombre de régions est évoquée et que le « millefeuille » est dénoncé. Combien de fois avez-vous appelé à simplifier les strates administratives ? Dépassons les conservatismes ! Installons-nous pleinement du côté des réformateurs ! Trop de sensibilités différentes, trop d'enjeux subjectifs ont jusqu'ici bloqué les évolutions nécessaires. Ne restons pas arc-boutés sur nos certitudes ! Agissons en législateurs et non en défenseurs de nos prés carrés ! Les citoyens ne nous le pardonneraient pas.
Le Sénat s'est opposé à l'idée de réunir Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon. Dans l'intérêt bien compris de ces deux régions, nous devons pourtant aller au bout de cette réforme équitable pour chacune d'elles. Pour reprendre l'argument utilisé par M. Straumann, je crois que, si l'on interrogeait l'ensemble des élus concernés, on recueillerait 96 % d'avis favorables à la fusion. La future région accueillera deux métropoles, dont Montpellier, entourées d'un réseau de villes moyennes de bonne taille. Avec 5,3 millions d'habitants, soit 8 % de la population française, il s'agira de la troisième région du pays.
Il faudra évidemment veiller à conserver la proximité indispensable, notamment dans les territoires ruraux ; les citoyens y sont particulièrement sensibles. Manuel Valls s'est exprimé à ce sujet devant le Sénat, tout comme Bernard Cazeneuve. L'un et l'autre seront particulièrement attentifs sur le sujet.
Il nous revient de nous mobiliser pour consolider une décentralisation juste, efficace et responsable. Nous devons renforcer nos régions avec la nouvelle carte et veiller à ce qu'elles atteignent, comme le disait André Vallini, une « taille critique pouvant leur permettre de développer davantage leur attractivité dans les années à venir ». La fusion Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon constituera l'un des éléments permettant de moderniser la démocratie locale et de rendre nos régions plus dynamiques et efficaces.
Contrairement à mon excellent collègue Dominique Bussereau, je considère que les variations calendaires du Gouvernement constituent une sorte d'hommage à la grande souplesse de la majorité. (Sourires.)
Je regrette que la réflexion sur la relation entre région et département ait donné lieu à des hésitations qui finissent par devenir des non-choix. Je crains que l'agrandissement des régions justifie le maintien de l'échelon inférieur des départements. Les choses ne sont pas très bien engagées. Évidemment, il aurait été rationnel d'examiner dans un seul texte la carte et les compétences, la forme et le fond. L'oeuvre aurait eu davantage de chance d'être reconnaissable.
Le droit d'option suscite aussi mon inquiétude. Il faut veiller à ce qu'elle ne devienne pas un enjeu électoral lors de chaque échéance régionale. Pour son application, la question des majorités est donc essentielle : il ne peut s'agir d'une majorité simple, si l'on veut éviter que ce sujet ne soit un véritable facteur de déstabilisation.
Concernant cette « clause de revoyure », j'ai été très étonné par la proposition baroque qui rend la majorité des deux tiers nécessaire du côté de la région d'accueil pour donner un accord à une modification, et du côté de la région de départ pour s'y opposer. Il s'agit d'une symétrie en trompe-l'oeil qui pose tout de même un certain nombre de questions sur le plan juridique et politique.
L'idée d'une méga-région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne s'apparente à une vision technocratique, ou du moins déconnectée des bassins de vie de nos populations. À ce jour, nous n'avons entendu aucun argument sérieux en faveur d'une telle organisation : on nous dit simplement que, sans elle, l'Alsace serait repliée sur elle-même.
L'Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne correspondrait à un territoire plus vaste que la Belgique ou la Suisse : de toute évidence, ce serait ingérable et les décisions seraient prises très loin du terrain. Or nous sommes attachés à la proximité avec nos concitoyens, à l'efficacité de l'action publique, à la compétitivité de notre région et à son rayonnement, qui s'est créé au cours des dernières décennies autour du bassin rhénan.
Voilà pourquoi nous défendons une nouvelle organisation administrative de l'Alsace, dotée d'un conseil unique. Comme l'a rappelé Éric Straumann, 96 % des conseillers généraux et régionaux en ont tout récemment approuvé le principe. Il s'agit d'une réforme de fond de notre organisation territoriale, en lieu et place d'une méga-région qui marquerait une régression dans le processus de décentralisation. Contrairement à ce que j'entends très souvent dire, l'Alsace est prête à expérimenter en matière de gestion publique, mais en respectant la volonté de nos concitoyens : oui à la réforme, mais pas dans n'importe quelles conditions.
Je vous invite tous à prendre modèle sur ce qu'a fait le Sénat, avec une grande sagesse : plus de cinq heures de discussion autour de l'expérimentation alsacienne, que deux tiers des sénateurs ont approuvée, bien au-delà des clivages traditionnels. J'en appelle à la responsabilité de la majorité, qui devrait dialoguer davantage avec ses collègues sénateurs.
Cette expérimentation témoigne d'une véritable volonté de proposer une organisation nouvelle, fondée sur la fusion en un conseil unique d'Alsace des deux conseils généraux et du conseil régional. Pour la mener, il faut admettre que l'unité de la République n'est pas l'uniformité. Il serait dommage que cet élan soit freiné, voire que l'on aille contre le souhait de 96 % des élus du territoire.
Ce texte me laisse moi aussi insatisfait. Cela tient d'abord aux conditions dans lesquelles il a été préparé. À la rapidité des débuts, voire à l'improvisation, ont succédé deux ans d'incertitude sur un ensemble dont chaque pièce tendait à évoluer, comme dans un jeu de Rubik's Cube, ce qui n'a rien de classique en matière législative.
En outre, beaucoup l'ont dit, délimiter les régions avant de connaître précisément leurs compétences et celles des départements – s'ils subsistent –, c'est mettre la charrue avant les boeufs. Il faut savoir quoi faire, et non pas qui être ; ou, s'il faut savoir qui être, pour quoi faire ? En d'autres termes, il aurait mieux valu examiner les deux textes simultanément. Ce n'est pas une demande excessive du législateur, surtout s'il s'agit que les électeurs se prononcent au mois de mars en connaissant les compétences des collectivités et le devenir des départements.
Ces derniers ont fait l'objet d'étonnantes évolutions sinusoïdales. Voués d'abord à disparaître, puis à être « dévitalisés », selon le mot d'André Vallini, ensuite à être partiellement maintenus, selon le Premier ministre, ils seront finalement, selon le même Premier ministre, tous maintenus pour cinq ou six ans. Le parlementaire et l'électeur ont de quoi ne pas s'y retrouver. Pour le groupe RRDP, en tout cas, le maintien des départements est important, surtout dans de grandes régions, afin de préserver un échelon de proximité.
Enfin, le droit d'option a fait l'objet, après des amendements satisfaisants, de modifications qui le sont moins, ici ou au Sénat. Pour qu'un département puisse changer de région, il faut que les majorités requises ne soient pas trop élevées. Le fait que le droit d'option suppose actuellement la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés dans chacune des collectivités concernées le rend purement théorique.
Pourtant, le droit de changer d'avis a son importance. Un célèbre maire de Bordeaux – je veux bien sûr parler de Montaigne – n'en faisait-il pas l'éloge, en disant qu'« il n'y a que les fols certains et résolus » ? Il est vrai que le Gouvernement l'aura magnifiquement mis en pratique en préparant ce texte, qui n'en demeure pas moins très imparfait.
Je suis d'accord avec mes collègues : nous manquons de visibilité et il n'est pas satisfaisant de modifier la délimitation des collectivités territoriales avant d'en déterminer les compétences.
En ce qui concerne la carte, j'ai soutenu en première lecture votre proposition, monsieur le rapporteur, car elle suscite un grand espoir dans mon territoire. La région Champagne-Ardenne exporte du champagne dans le monde entier, mais le premier client de l'économie régionale est l'Allemagne, le second la Belgique. Pour nous, une région Est peuplée de 5 millions d'habitants, tout entière orientée vers le transfrontalier, vers l'Allemagne et le Benelux, fait sens dans la perspective des décennies à venir. Elle serait vaste, c'est vrai, mais moins que la future région Rhône-Alpes-Auvergne. Surtout, voyez le protocole de financement de la deuxième phase de la ligne à grande vitesse Est, entre la Lorraine et l'Alsace : grâce au cofinancement de toutes les collectivités du Grand Est, le temps de trajet entre Reims et Strasbourg sera ramené à une heure. Vous aurez donc mon soutien si vous maintenez votre position, monsieur le rapporteur.
J'ai toujours veillé à ne pas opposer les territoires les uns aux autres. Nous devons sortir de cette période, mettre fin aux modifications successives de la carte par chacune des chambres. De ce point de vue, l'annonce de la date de la commission mixte paritaire est bienvenue. Le Premier ministre s'est exprimé. Nous attendons maintenant de la visibilité et de la sécurité pour les territoires.
À l'origine, cette réforme était marquée au coin du bon sens. Je regrette d'ailleurs vivement que le projet n'en ait pas été inscrit dans le programme du parti socialiste. Il aurait fallu faire la réforme en début de mandat, ou tout au moins demander alors aux présidents de conseils généraux et régionaux de travailler sur une carte, afin d'éviter l'improvisation dont nous avons été témoins en début de parcours.
Je veux saluer le bon sens dont a fait preuve le Sénat en définissant les compétences des collectivités dans l'article 1er A. Sur ce point, comme l'a dit Roger-Gérard Schwartzenberg, on avait mis la charrue avant les boeufs ! La réforme va entrer en vigueur pour au moins cinquante ans, du moins je l'espère. Ceux d'entre nous qui affirment que nous reviendrons en arrière lorsque nous serons majoritaires ne sont pas sérieux. Soyons réalistes, tenons compte de nos concitoyens.
Voilà précisément pourquoi je regrette l'improvisation initiale qui explique l'évolution ultérieure des cartes, laquelle prive nos concitoyens de toute lisibilité et empêche cette réforme d'être une grande réforme.
On évoque des régions à échelle européenne, comme en Allemagne, mais ce n'est pas du tout de ce type de régions que l'on est en train de doter la France. Voyez en revanche le Luxembourg, limitrophe de ma région et dont la dimension fait bien des envieux. Pour qu'une région réponde aux attentes des citoyens, s'agissant du chômage par exemple, elle doit posséder les compétences qui le permettent : celles-là mêmes qu'a introduites le Sénat, c'est-à-dire le développement économique et l'aménagement stratégique de leur territoire. Une grande réforme y aurait pourvu.
Je salue également la distinction établie par le Sénat entre le chef-lieu de région et la localisation de l'hôtel de région. S'il est vrai que la distance entre Reims et Strasbourg est quasi abolie, la préfecture de région reste l'endroit où se trouvent tous les services de l'État : on ne peut pas faire une grande région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne dont le chef-lieu et l'hôtel de région seraient nécessairement situés à Strasbourg.
En somme, je regrette que le texte n'ait pas été préparé au départ et que la carte qui nous a été présentée n'ait pas été portée par une véritable conviction, ce qui nous prive aujourd'hui d'un texte digne de ce nom, appuyé sur le travail méritoire du Sénat.
On veut créer de grandes régions, mais nous devons aussi veiller à la proximité, pour nos concitoyens. Pourquoi donc faire disparaître les départements ? Pourquoi ne pas repartir par exemple de la carte établie par Michel Debré et de la réflexion d'André Vallini ? Avec de grandes régions, il faut conserver les départements ; ou alors il faut opter pour un découpage en départements beaucoup plus importants, dotés de compétences réelles afin d'être efficaces au service de nos concitoyens.
Le législateur sera respecté dès lors qu'il travaille pour les citoyens. Saluons le travail du Sénat, représentant des collectivités ; et nous, représentants du peuple, assumons notre devoir de proximité vis-à-vis de nos électeurs.
Je soutiens moi aussi la constitution de grandes régions, qui suppose la fusion de certaines régions existantes. De ce point de vue, la carte de l'article 1er n'est pas satisfaisante s'agissant du Grand Ouest, comme en témoignent les amendements nombreux – et tous azimuts – déposés sur le sujet.
La carte dessine, d'ouest en est, une sorte de chapelet composé des régions Bretagne, Pays de la Loire, Centre, Île-de-France. S'agissant de la région Centre, trois questions se posent. D'abord celle de sa dénomination, que le Sénat a changée en « Centre-Val de Loire », à juste titre, me semble-t-il. Ensuite, celle de la fusion avec d'autres régions : inutile de rappeler le feuilleton qui nous a ballottés en tous sens, nous rattachant au Poitou-Charentes et au Limousin, puis aux Pays de la Loire dont nous sommes finalement dissociés. Notre souhait initial était de ne pas finir tout seuls : on ne peut pas dire que nous ayons été entendus ! Enfin, le droit d'option et ses assouplissements votés au Sénat, que je trouve intéressants, à condition que l'on se donne plus de temps pour user de ce droit.
Je proposerai donc, avec d'autres collègues, le rapprochement des régions Centre et Pays de la Loire, en vue de permettre ultérieurement à la Loire-Atlantique, voire à la Mayenne, de rejoindre la Bretagne. L'idée est de construire progressivement deux régions : la Bretagne, avec cinq ou six départements, et une grande région Centre-Val de Loire, dont la cohérence historique et géographique va de soi et qui serait « polycentrique », sans métropole, mais avec plusieurs agglomérations, du Mans à Orléans.
Il n'est de toute façon pas possible d'appliquer au Grand Ouest la démarche adoptée pour l'ensemble du pays, d'en rester au statu quo. Je ne voudrais pas que nos collègues des Pays de la Loire se sentent agressés par nos propositions : nous les formulons dans un esprit d'ouverture, afin de dessiner, grâce aux possibilités de fusion, mais aussi de compromis quant au droit d'option, un scénario évolutif en vue des années à venir.
Je déplore pour ma part que le Gouvernement n'ait pas joint le geste à la parole. La parole, c'est celle du Premier ministre Manuel Valls qui appelait de ses voeux, dans son premier discours de politique générale, la simplification et une meilleure lisibilité de l'action publique, allant jusqu'à annoncer l'extinction des conseils généraux à l'horizon 2020, ainsi que la maîtrise de la dépense publique, à laquelle la réforme territoriale devait contribuer. Une semaine après que le Premier ministre eut confirmé la fin des conseils généraux, le président de la République, pour n'être pas en reste et pour apparaître lui aussi comme un réformateur, annonçait la création de méga-régions. Tout cela crée une véritable cacophonie qui empêche l'opinion publique et les élus des territoires de comprendre l'intime conviction du Gouvernement et la trajectoire de son action, dépourvue de perspective claire.
Pour cette seconde lecture, je formule par conséquent trois propositions. La première est le retour à un droit d'option simple qui permette à un département – à ses élus et à sa population – de choisir sa région de rattachement, sans que la majorité des trois cinquièmes soit requise.
La deuxième consiste à lever le verrou du droit de veto que le texte accorde à la région de départ, lui permettant d'empêcher, à la majorité des trois cinquièmes, un département de rejoindre une autre région.
Enfin, j'aimerais que nous étendions le droit à l'expérimentation et à l'innovation. Il nous faudra revenir à l'idée d'un conseiller territorial, qui devait permettre aux élus des territoires d'organiser leur schéma de compétences, voire d'envisager à titre expérimental des fusions entre départements ou entre un département et une région.
Monsieur le président, je suis breton et il y a ici d'autres députés bretons. Chez nous, les élus et la population se préoccupent de l'organisation institutionnelle territoriale. Certaines de nos intercommunalités existent depuis près de cinquante ans : celle de Fougères a été créée en 1966 ! Les pays, les bassins de vie nous tiennent à coeur. Je souhaite donc que les territoires qui veulent se saisir de la question le puissent, par l'expérimentation et l'innovation. En Bretagne, nombre d'élus souhaitent ainsi une assemblée de Bretagne, que préfigurait la création du conseiller territorial.
Pour qu'une réforme institutionnelle soit efficace, elle doit permettre de libérer les énergies locales et de dégager des moyens au profit du développement économique et de l'emploi. Or, avec la délimitation territoriale actuelle, l'Alsace offre une chance de concrétiser ces objectifs. Nous avons en effet uni l'ensemble des collectivités territoriales qui la composent, toutes tendances confondues – la communauté urbaine de Strasbourg, future métropole européenne, est à gauche –, et qui, depuis des années, travaillent ensemble sur des sujets stratégiques en y consacrant d'importants moyens financiers : enseignement supérieur, recherche, développement économique, innovation, tourisme, transport. Ces efforts partagés ont produit des résultats qui permettent à l'Alsace de peser, dans de nombreux domaines, bien plus lourd qu'elle ne devrait eu égard à son poids démographique. Cela n'est possible que si l'on travaille en cohérence, qu'on partage des objectifs et qu'on ne s'occupe pas exclusivement de politique.
Désormais, les chambres consulaires, les chambres de métiers, les agences de développement économique d'Alsace parlent d'une seule voix, et c'est pourquoi elles séduisent nos voisins suisses et allemands, avec lesquels nous travaillons à de nouveaux projets. La carte des régions issue des travaux du Sénat préserve et renforce cette efficacité, et adresse à tous ces partenaires un signe positif, les encourageant à poursuivre dans cette voie.
En faisant voler en éclat ces possibilités de concrétiser le développement économique – c'est-à-dire la croissance et l'emploi –, en diluant les compétences et les moyens dans une grande région, en nous privant de ces objectifs partagés, nous ne nous engagerions pas dans la voie du progrès et de la modernité, mais régresserions et renoncerions à défendre, non pas une identité particulière, mais la modernité et le progrès. J'espère que la majorité suivra ce bel exemple local de cohérence et, surtout, qu'elle entendra les Alsaciens, l'ensemble des élus du territoire et ses collègues du Sénat.
Je n'étais pas favorable à la création de grandes régions, car je pense, comme M. Piron, qu'elle rendrait ensuite difficile la suppression des départements.
Pour une région, la question des moyens législatifs et réglementaires est décisive. Nous ne sommes, hélas, pas en Nouvelle-Calédonie, où existent des lois du pays et un pouvoir réglementaire. De quel pouvoir disposeront les régions en matière d'impôt et de développement économique ?
Si le Sénat n'a que peu modifié la carte, il a toutefois préféré séparer Midi-Pyrénées et le Languedoc-Roussillon. Certains veulent absolument que ces deux régions fusionnent. J'avoue, pour ma part, ne pas avoir d'opinion arrêtée sur le sujet. En revanche, je crois que ce serait une erreur de ne pas laisser l'Alsace toute seule. Il faut, en la matière, écouter les voeux des élus et de la population. Je sais bien que certains craignent que l'Alsace ne se replie sur elle-même, mais j'ai visité plusieurs fois cette région et n'y ai vu aucun signe de repli. Au contraire, on peut parler d'une véritable eurorégion, très ouverte sur l'extérieur, notamment sur l'Allemagne et la Suisse. Le repli identitaire français, avec certaines idées qui ont obtenu 25 % des suffrages aux dernières élections, m'inquiète bien davantage !
À l'ouest, nous nous retrouvons avec trois régions. Je rappelle ma préférence pour une région Bretagne et une région Val de Loire. Je souhaite également que le droit d'option soit assez souple pour permettre à des départements comme la Mayenne, la Vendée ou la Sarthe de se déterminer. On a bien compris que le président du conseil général de la Sarthe et le maire du Mans regardent vers Tours, ce qui paraît relativement cohérent. Je conseille à nos amis du Maine-et-Loire de regarder aussi de ce côté. La Loire-Atlantique a autant de partenariats avec Lorient, qui n'est pas dans la même région, qu'avec Angers.
Il restera ensuite à régler certaines questions, comme le report des élections et le nombre de conseillers régionaux par département. Dans ces domaines, nous attendons les propositions du Gouvernement.
La dernière fois qu'il a été procédé à un découpage des régions, elles sont restées en place pendant cinquante ans. Ne négligeons donc pas l'importance de cette loi.
Présidence de M. Dominique Raimbourg, vice-président de la Commission
Le président Schwartzenberg a identifié la plupart des problèmes que pose ce texte et dit tout le mal qu'il fallait en penser. Monsieur le rapporteur, ce que vous appelez « passion » et « excès de langage », c'est l'expression libre et indépendante d'une conviction.
Le texte du Gouvernement pose mal le débat. La question des compétences des différentes collectivités territoriales aurait été un meilleur point d'entrée, tout comme une réflexion préalable sur les différents niveaux de collectivités et d'intercommunalité – communes, départements, régions, communautés de communes, communautés urbaines, communautés d'agglomération et métropoles.
Tout en regrettant le processus engagé, je veux redire mon attachement à l'identité de la région Languedoc-Roussillon, tant d'un point de vue historique et humain qu'économique. Dans leur grande majorité, les élus régionaux l'ont défendue, la commission spéciale du Sénat, sur proposition des radicaux de gauche, s'y est déclarée favorable et le Sénat a accepté de laisser vivre, et donc libre, le Languedoc-Roussillon. Nous serions bien inspirés de suivre cette position qui me semble très sage.
Monsieur le rapporteur, est-il exact que le système électoral retenu pourrait voir un département privé de tout élu dans le conseil régional ? Cela pourrait, semble-t-il, être le cas de la Lozère qui ne compte aujourd'hui qu'un seul élu régional sur soixante-sept. Si c'était le cas, je souhaiterais que notre Commission puisse prévoir une représentation minimale par département.
À mon tour, je regrette que la réforme soit conduite de manière plus ou moins hasardeuse. Il est surprenant de définir les périmètres sans traiter des compétences. Que dirait-on d'entreprises qui attendraient d'avoir fusionné pour déterminer le marché auquel elles vont s'attaquer et les produits qu'elles vont fabriquer ? Les élections départementales risquent d'être assez cocasses, puisqu'il faudra présenter un projet départemental sans connaître les futures compétences des départements.
S'agissant de la région Alsace, Champagne-Ardenne et Lorraine, j'ai déposé un amendement qui vise à revenir au vote de l'Assemblée nationale en première lecture. J'étais initialement favorable au texte présenté par le Gouvernement, qui prévoyait simplement une fusion entre l'Alsace et la Lorraine, mais nos débats m'ont fait évoluer. Une région Alsace, Champagne-Ardenne et Lorraine permettra une nouvelle dynamique économique, universitaire et touristique, et un renforcement des liens européens. Ces trois régions forment une eurorégion singulière dans une configuration transfrontalière avec quatre pays : la Belgique, le Luxembourg, l'Allemagne et la Suisse. Les enjeux transfrontaliers seront essentiels. En effet, il est important de donner à ce nouvel espace territorial des moyens permettant d'organiser une offre de services quotidiens de dimension transfrontalière.
Les échanges entre les pôles métropolitains du sillon lorrain, d'Alsace et de Champagne-Ardenne ont montré la complémentarité de leurs fonctions. Leur articulation en réseau est susceptible d'attirer et de fixer des flux européens nord-sud actuellement peu exploités sur le territoire français. Ainsi, les trois pôles métropolitains réunis contribueront au développement économique et à la qualité de vie des habitants au sein de notre nouvelle région. De même, la complémentarité des pôles de compétitivité – Hydreos, Materalia, et, en Lorraine, le pôle Fibres qui est en train de fusionner avec Alsace Énergivie – participera au développement économique. Le potentiel de développement économique à l'échelle des trois régions fusionnées plaide en faveur de cette réalisation.
Je suis un adepte du localisme. Parmi les poisons du jacobinisme, il en est un dont la France n'a jamais cessé de s'étourdir : le centralisme. Celui-ci aime à prendre des habits de lumière : « rationnel », « économe », « républicain », « équitable », « citoyen », tout un lexique de mots vidés de leur contenu par le dirigisme parisien et par les très pauvres heures des réponses de notre Premier ministre.
Tout a été dit sur ce projet de loi : ses économies seront inconsistantes, sa méthode est parfaitement oublieuse de l'histoire de France et ses négociations furent pour le moins hasardeuses si ce n'est plus proches du copinage que de l'échange démocratique. Je me souviens avoir reçu dans la même enveloppe des fascicules prônant, d'un côté l'union des Pays de la Loire à la Bretagne, et de l'autre faisant de cette fusion une horreur inacceptable. Il faut être souverainement méprisant pour les identités terriennes et provinciales pour traiter de la sorte les contours de nos territoires.
Tous nos médias, tous nos experts célébraient hier le sacrifice héroïque de la France des provinces dans les tranchées et l'honneur de ceux qui y ont offert leur vie. Nombre d'entre eux doivent se retourner dans leur tombe quand on vend leurs pierres sur l'autel des injonctions bruxelloises et leurs clochers en réponse à des impératifs budgétaires nés d'une crise organisée pour et par le cosmopolitisme financier. Le labeur et l'identité seront une nouvelle fois les victimes du cortège d'énarques qui a préparé à la va-vite ce qui ressemble davantage à un mauvais songe d'administrateurs médiocres qu'à la recherche de la concorde sur les territoires français.
Je défendrai deux amendements qui montrent que les auteurs de cette farce gravissime ont bien conscience qu'elle n'aura d'assentiment que dans les couloirs de quelques ministères. Le premier souligne qu'il est tout à fait délirant de laisser au Conseil d'État le soin de désigner un chef-lieu pour une nouvelle région. Comment peut-on, en effet, imaginer que la classe politique, après tant d'années à vanter la décentralisation, en soit encore à demander à la haute administration de déterminer pour les provinces leur métropole ? En agissant de la sorte, la représentation politique ne fait que creuser sa tombe, trop heureuse par la suite de pleurer sur la désaffection des Français pour son action.
Vous laissez la possibilité de ne pas installer l'hôtel de région à l'endroit du chef-lieu de région. C'est à n'y plus rien comprendre. Voulez-vous inciter les collectivités à réaliser des économies ou n'agitez-vous qu'un nouveau monstre froid médiatique que l'on décrira dans dix ans comme une insulte au bon sens ? Laisser une telle possibilité au coeur de votre texte, c'est au moins inviter à la suspicion. Est-ce une possibilité laissée aux barons régionaux mécontents ? Cherchez-vous à éviter des échauffourées au bureau politique du parti socialiste ?
Dans l'idée de décentralisation, un grand Français a donné il y a longtemps déjà le programme de toute réelle décentralisation. Il écrivait : « Pour sauver le patriotisme, il faut réformer la patrie, comme il faut réformer l'État pour sauver la notion de gouvernement. L'État français sera conçu non pas moins un, sans doute, mais uni suivant des principes plus souples, plus conformes aux richesses de sa nature, plus convenables à nos moeurs et qui établiront une meilleure division du travail politique. Aux communes les affaires proprement communales, les provinciales aux provinces ; et que les organes supérieurs de la nation, dégagés de tout office parasitaire, président avec plus d'esprit de suite et de vigueur à la destinée nationale ». C'est en grand lecteur de mon compatriote provençal que François Mitterrand voulut s'y employer, mais ce texte trahit toutes les vertus qu'il faut pour retrouver l'énergie nationale. Il faut que les bureaux parisiens priment sur les territoires, préférer l'agitation du Premier ministre à la sagesse d'une paix réelle. En définitive, on n'a qu'une ambition : faire de l'État un parasite dans la vie de notre territoire plutôt que de l'encourager à se gorger des dynamiques régionales pour développer le bien commun, pourtant la seule chose qui justifie notre présence ici.
Telle qu'elle résultait des travaux de notre assemblée, la région Alsace, Champagne-Ardenne et Lorraine était plus grande que la Suisse ou la Belgique. Les électeurs et les centres de décision s'éloignent les uns des autres, ce qui sera préjudiciable à notre région. Je ne vois pas comment on pourrait ignorer les délibérations concordantes des conseils généraux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin et de la région Alsace, qui souhaitent, au titre de l'expérimentation, fusionner en une entité pour créer un conseil d'Alsace.
L'Alsace a une identité très forte, née de son histoire : depuis 1870, elle a subi quelques turbulences. Cela ne veut pas dire, pour autant, qu'elle soit refermée sur elle-même. Son développement économique montre qu'elle est ouverte sur ses voisins. Mais, pour relever ses défis économiques, elle se tourne davantage vers le Bade-Wurtemberg ou les cantons suisses. Cela ne veut pas dire que la transfrontaliarité doive se traiter partout de la même manière : sinon, il faudrait fusionner du Nord jusqu'aux Alpes-Maritimes. Laissons l'Alsace poursuivre son expérimentation. Les départements auront ensuite la possibilité de se rattacher à la région de leur choix en fonction des voeux des uns et des autres.
La réforme qui nous est soumise le prouve : depuis deux ans et demi, le Gouvernement patauge. Nous pourrions nous en satisfaire ; au contraire, nous en sommes attristés, car notre pays a besoin d'une réforme territoriale ambitieuse. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, en 2010, nous avions créé le conseiller territorial qui permettait, d'une part, de diviser par deux le nombre d'élus territoriaux et, d'autre part, de reclasser les compétences entre l'échelon régional et l'échelon départemental, avec des configurations différentes selon les régions, car il faut cesser d'administrer la France de façon jacobine. Cette même loi, ne l'oublions pas, créait également les métropoles.
Par ailleurs, je déplore votre approche idéologique du sujet. En 2012, la nouvelle majorité s'est empressée d'abroger cette loi de 2010. Depuis, on ne sait pas où l'on va, c'est le bateau ivre ! Le Premier ministre a changé plusieurs fois de langage. Ainsi, en ce qui concerne le rôle des départements, le discours ne cesse de varier : au mois de janvier 2014, le Gouvernement transmettait au Conseil d'État un projet de loi visant à renforcer les compétences des départements, notamment en matière sociale ; un mois plus tard, le Premier ministre annonçait la suppression des départements à l'horizon 2020 ; depuis, de déclaration en déclaration, nous ne savons plus trop où nous en sommes. Le simple bon sens aurait voulu que l'on examine les compétences avant de modifier la cartographie.
Enfin, le découpage des régions procède de deux idées fausses, dont la prétendue trop petite taille des régions françaises. La taille moyenne des régions françaises est plus grande que celle des régions européennes. Elle est même plus grande que plusieurs États européens. Certes, certaines régions doivent être regroupées, parce qu'elles n'ont pas une masse critique suffisante, mais, en voulant faire d'immenses régions – par exemple la fusion entre la région Rhône-Alpes et l'Auvergne –, on n'apporte pas les bonnes réponses au souci de proximité des Français.
Quand on ouvre la boîte de Pandore du redécoupage régional, il ne faut pas s'étonner de déclencher des tempêtes, avec la question du rattachement de la Loire-Atlantique à la région Bretagne – et l'effet qu'il peut avoir par contrecoup sur la région Pays de la Loire et sur la région Centre –, avec la question alsacienne, avec les contestations de Mme Aubry sur la fusion des régions Nord-Pas-de-Calais et Picardie.
Vous ne tiendrez sans doute pas compte de la contribution de nos collègues sénateurs. Mais ce n'est pas parce que vous êtes majoritaires à l'Assemblée nationale et que ce redécoupage sera probablement adopté que ce sera une bonne réforme pour la France.
L'Alsace a une chance extraordinaire : elle a des amis dans tout le pays. Il est vrai que c'est un peu dur à supporter quand ceux-ci veulent penser à sa place. Faut-il répéter que 96 % des conseillers généraux et régionaux d'Alsace souhaitent la fusion des trois collectivités, et que c'est aussi le souhait de la population ? Pour avoir participé à dix commémorations ces jours derniers, je peux vous dire que, partout, nos concitoyens m'ont interpellé à propos de la fusion-dilution de l'Alsace dans une grande région. Ils sont inquiets. Les braises de la colère sont chaudes. Certes, ils ne manifesteront pas, ils ne sont pas violents. Mais je crains – je le dis solennellement – un immense accident électoral lors des élections régionales. Sommes-nous là pour faire le lit du Front national ?
Depuis la fin de la guerre, l'État a toujours encouragé la construction d'une Alsace rhénane, symbole politique de la paix entre la France et l'Allemagne. Les résultats de cette démarche sont bien réels : un salarié alsacien sur douze travaille en Allemagne ou en Suisse. La majorité des industries de notre territoire sont à capitaux rhénans, allemands ou suisses. Face au projet de redécoupage régional, l'anxiété économique est donc considérable. Strasbourg est plus proche de la frontière tchèque que de Paris ou des communes les plus éloignées de la Champagne, et elle le restera, demain, si une grande région devait voir le jour. La géographie est une réalité que l'on ne peut changer à son gré.
L'Alsace a exprimé le souhait quasi unanime de créer un conseil d'Alsace par la fusion des trois collectivités. Elle ne demande aucun pouvoir particulier, elle veut seulement être un laboratoire pour la République.
Quelles que soient les différences que nous exprimions, nous nous accordons tous sur la nécessité d'une réforme. Plusieurs rapports ont d'ailleurs conclu en ce sens. Le débat porte tant sur la question du millefeuille que sur la maîtrise des dépenses publiques et sur la réorganisation territoriale. En termes de méthode, convient-il d'abord de réformer les compétences ou bien de procéder au redécoupage des régions ? À ce propos, Sébastien Denaja a fait une métaphore sur le déménagement, tandis que Roger-Gérard Schwartzenberg a regretté que nous mettions la charrue avant les boeufs. Pour ma part, j'estime que cela revient à s'interroger sur le point de savoir qui, de la poule ou de l'oeuf, est apparu en premier !
D'autre part, rendons hommage au Gouvernement, qui a su écouter les uns et les autres, y compris sur la question des départements. Votre attitude est paradoxale, chers collègues de l'opposition : vous reprochez au Gouvernement d'avoir évolué par rapport à sa position initiale sur les départements tout en estimant qu'il n'a pas entendu les élus ! S'agissant de la méthode, je salue aussi le travail du rapporteur : la carte que nous avons adoptée en première lecture est issue des consultations qu'il a menées avec l'ensemble des présidents de région.
Certes. En tout cas, la discussion a eu lieu.
En entendant nos débats de ce matin, j'ai eu l'impression d'assister à une partie de ping-pong entre l'Alsace et la Bretagne sur la dimension identitaire. Quant à moi, je suis élu dans la région Pays de la Loire, dont personne ne voulait il y a quarante ans lorsqu'elle a été créée ! Or, aujourd'hui, les cinq départements qui la composent veulent rester ensemble. Car, on l'oublie trop souvent, au-delà des identités régionales, certes respectables, il y a le projet politique, c'est-à-dire la capacité des élus à travailler ensemble et à construire l'avenir d'une région. Il faut défendre cette vision plutôt que le réflexe identitaire. D'ailleurs, je n'ai toujours pas compris pourquoi le champagne et le gewurztraminer ne pourraient pas se marier au sein d'une même grande région viticole !
Je suis au fait des discussions qui se sont déroulées au Sénat. Mais la sagesse des sénateurs me semble à géométrie variable : lorsque la majorité est de droite au Sénat et qu'elle est de gauche à l'Assemblée, ou inversement, ne dit-on pas que le Sénat bloque ? Quoi qu'il en soit, il est très positif que le Sénat ait proposé – enfin ! – sa propre carte et que nous puissions en discuter. À cet égard, c'est néanmoins la carte adoptée par l'Assemblée en première lecture qui me paraît inspirée par la sagesse : elle est issue de la concertation que j'ai mentionnée et prend en compte tous les éléments pertinents.
S'agissant du droit d'option des départements, j'ai bien entendu les arguments de Thierry Benoit. Pour ma part, j'estime indispensable que la région de départ soit consultée et puisse donner son avis si un département souhaite la quitter pour une autre région. On peut discuter de la question de la majorité qualifiée, mais il est absolument nécessaire que la région de départ soit consultée, afin qu'elle puisse mesurer pleinement les enjeux d'une telle opération. Si la Loire-Atlantique devait rejoindre la Bretagne après avoir travaillé pendant quarante ans avec quatre autres départements au sein des Pays de la Loire, les conséquences économiques, financières et budgétaires seraient considérables.
Rappelons donc les enjeux fondamentaux de ce texte. Certes, les identités existent. L'un d'entre nous a même été tenté d'employer la notion de « peuple alsacien ».
Qui avait voté en faveur de la notion de « peuple corse » ? N'était-ce pas votre majorité ?
Je n'étais pas député à l'époque, mon cher collègue. Quoi qu'il en soit, nous sommes tous des représentants de la nation, y compris ceux d'entre nous qui sont élus en Alsace et en Lorraine, et nous devons réfléchir à la nouvelle carte des régions en tant que tels.
Je regrette à mon tour la façon dont se déroule ce débat : l'improvisation est de mise, et le mécontentement est général. Les tergiversations gouvernementales quant aux compétences des régions et au rôle futur des départements n'ont fait qu'ajouter à la confusion.
Le Sénat a adopté, à une large majorité – 65 % –, un découpage territorial qui s'appuie sur les réalités économiques et sociales de notre pays. Celui-ci maintient l'Alsace dans ses contours actuels, en tant que région à part entière. La réforme territoriale voulue par le Gouvernement aura des conséquences dans l'organisation des collectivités territoriales, départements et régions. La majorité des grands électeurs qui se sont exprimés lors des dernières élections sénatoriales – qui ont concerné la moitié des départements – sont issus de ces collectivités. Le texte issu du Sénat traduit donc, de la manière la plus démocratique qui soit, les souhaits de nos concitoyens en matière de réforme territoriale. En l'absence d'étude d'impact précise, c'est la volonté des élus locaux qu'exprime le vote du Sénat.
En Alsace, la quasi-unanimité des élus ruraux – la majorité étant sans doute un peu moins nette au sein de la métropole – est favorable à une assemblée unique issue de la fusion du conseil régional et des deux conseils généraux. Certes, les électeurs alsaciens ont failli lors du référendum du 7 avril 2013, lequel aurait pu et dû devenir un tournant historique. Du reste, les conditions du succès étaient difficiles à réunir. Rappelons néanmoins que 58 % des suffrages exprimés se sont portés sur le oui. Aujourd'hui, de nombreux Alsaciens regrettent de ne pas s'être déplacés pour voter : « Ah, si l'on avait su ! », disent-ils. Mais c'est maintenant de l'histoire ancienne.
L'Alsace souhaite avancer sur la voie d'un projet novateur de fusion des collectivités et servir d'exemple à d'autres territoires. Nous revendiquons le droit à l'expérimentation et à l'innovation. Ne cherchez pas, avec votre réforme territoriale, à faire le bonheur de nos concitoyens contre leur gré ! Dans ma circonscription, les personnes favorables à une très grande région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne sont très rares. Et il ne s'agit nullement d'un quelconque repli sur nous-mêmes : notre région est forte de son identité, de son histoire tourmentée, de sa diversité, de sa culture et de son droit local ; elle est ouverte sur les régions limitrophes – françaises bien sûr, mais aussi suisses et allemandes –, ainsi que sur l'Europe dans son ensemble. Nous sommes persuadés que l'Alsace saura se montrer exemplaire dans l'organisation de son territoire et jouer une belle partition dans le concert des grandes régions européennes.
Je souhaite – peu d'entre nous l'ont fait ce matin – apporter mon soutien au Gouvernement et au Premier ministre, et saluer le travail du rapporteur. J'entends les nombreuses remarques que suscite ce projet de loi, et je peux comprendre qu'il bouscule beaucoup d'habitudes. Mais il est indispensable, car il correspond aux besoins du pays. Nos discussions montrent que nous pourrions discuter de ces sujets éternellement ! En effet, dès que nous modifions un aspect du projet de loi, nous en faisons bouger beaucoup d'autres et, à ce moment-là, une autre logique est à l'oeuvre. Or il revient justement au Gouvernement de faire des propositions. Celles-ci ont d'ailleurs été améliorées il y a quelques mois par notre rapporteur, à l'issue des discussions qu'il a pu avoir.
J'ai entendu parler d'innovation, notamment de l'opportunité de faciliter la mise en oeuvre du droit d'option pour les départements. Mais faisons très attention : qu'adviendrait-il d'une région qui serait progressivement quittée par la plupart des départements qui la composent ? Dans ce débat, nous devons adopter une attitude républicaine : nous sommes des représentants de la nation, pas seulement des intérêts de la Bretagne, du Centre…
Un commissaire membre du groupe UMP. …ou de Marseille !
En effet ! De même qu'en 1792, les Marseillais doivent défendre non pas les intérêts de leur ville, mais ceux de la République ! Nous avons intérêt à en terminer avec ce débat et à faire confiance aux propositions du Premier ministre.
Les sujets que vous avez évoqués au cours de cette discussion, mes chers collègues, se rapportent généralement à des articles précis du projet de loi. Nous aurons donc l'occasion de les aborder de manière plus approfondie au cours de l'examen des amendements. Néanmoins, je crois utile d'apporter dès maintenant quelques premières réponses.
Je regrette que plusieurs d'entre vous continuent à invoquer l'argument – certes avec moins de véhémence que lors de la première lecture – d'une prétendue impréparation de la réforme et de la discussion sur la carte des régions.
Je n'en doute pas, mon cher collègue. Mon rôle consiste néanmoins à vous répondre, et je vais tenter de ne pas me départir de mon calme.
Combien d'années une « bonne » préparation doit-elle durer selon vous, mes chers collègues ? Combien vous faut-il de rapports prônant la réduction du nombre de régions avant qu'un président de la République et un Gouvernement puissent enfin engager, au-delà des déclarations d'intention, cette réforme que chacun juge nécessaire ? Le moment est venu de la faire ! Notre travail s'appuie non seulement sur l'étude d'impact, mais aussi sur les nombreux rapports produits par l'Assemblée nationale et par le Sénat à ce sujet, avec le soutien des différentes familles politiques qui y sont représentées.
Personne ne conteste que la carte ait pu surprendre ou susciter des interrogations. Le débat a eu lieu tant au sein du groupe majoritaire que de notre Commission ou de la commission spéciale du Sénat, en première comme en deuxième lecture. Il se poursuit aujourd'hui. Cependant, j'ai le sentiment que la carte adoptée par notre Assemblée en première lecture représente un point d'équilibre. Elle a d'ailleurs recueilli des votes favorables sur tous les bancs. Certes, elle ne fait pas l'unanimité, mais je crois qu'il n'existe pas de carte consensuelle.
Chers collègues, si vous continuez à user de l'argument de l'impréparation – vous êtes tout à fait libres de le faire –, je continuerai à rappeler, avec d'autres, que la représentation nationale réfléchit depuis longtemps à cette question et qu'il est temps que cette réforme aboutisse.
Selon un deuxième argument, nouveau celui-là, il conviendrait d'écouter nos collègues sénateurs, qui seraient la voix de la sagesse. Il n'est guère étonnant que cette idée soit davantage défendue par nos collègues de l'opposition : il n'a échappé à personne que des élections sénatoriales se sont tenues récemment. D'ailleurs, une partie des sénateurs est sortie d'une forme d'ambiguïté, alors que, en première lecture, les alliances les plus improbables avaient empêché le Sénat d'adopter une carte, sur laquelle le débat aurait pu s'engager sereinement. Nous disposons désormais d'une telle carte, et l'Assemblée doit écouter les arguments de nos amis sénateurs. Vous pourrez d'ailleurs constater, au cours du débat en commission cet après-midi ou en séance publique la semaine prochaine, que nous tiendrons compte de certains d'entre eux. Pour autant, nous ne retiendrons pas la totalité des propositions du Sénat, notamment celles qui concernent la carte des régions. Telle est en tout cas la position que je défendrai au nom de la commission des Lois.
De nombreuses interventions ont porté sur cette carte, en particulier celles de collègues députés de la République, élus dans les départements alsaciens. Néanmoins, je relève des contradictions entre les déclarations faites ce matin par les collègues élus dans les trois régions concernées – Alsace, Lorraine et Champagne-Ardenne –, pourtant tous membres du même groupe politique. Or la carte – qui est non pas élaborée in abstracto, mais votée par la représentation nationale – doit constituer un point d'équilibre. Et je suis convaincu que ce point d'équilibre n'a pas varié depuis l'adoption de l'article 1er du projet de loi par notre Assemblée en première lecture. Nous le vérifierons cet après-midi en commission et la semaine prochaine en séance publique. Néanmoins, nous continuerons les uns et les autres à présenter nos arguments, et je reste à l'écoute. Peut-être – qui sait ? – ce point d'équilibre évoluera-t-il.
Il n'est pas étonnant que le droit d'option des départements continue à faire l'objet de longs débats devant notre Commission, comme cela avait été le cas devant chacune des deux assemblées et comme ce sera encore probablement le cas la semaine prochaine en séance publique. À l'instar d'une grande majorité de collègues, je souhaite trouver là aussi un point d'équilibre, qui peut être soit celui auquel nous étions parvenus en première lecture, soit celui que nous serions capables de déterminer au cours de la deuxième lecture. En tout cas, il faut que la région de départ, la région d'accueil et le département qui souhaite changer de région formulent chacun un avis non pas consultatif, mais qui s'impose. Nous disposons en effet d'un point de comparaison – et d'un seul – dans le code général des collectivités territoriales : pour qu'une commune puisse exercer son droit d'option et changer d'intercommunalité, il faut que la décision recueille l'accord des deux tiers au moins des conseils municipaux des communes concernées représentant la moitié de la population, ou de la moitié au moins des conseils municipaux des communes représentant les deux tiers de la population. J'ai le sentiment de ne pas être sorti de cette épure en proposant, en première lecture, que les régions et le département concernés par l'exercice du droit d'option adoptent leurs avis respectifs à la majorité des trois cinquièmes. Mon amendement avait d'ailleurs été accepté par notre Assemblée. Néanmoins, je suis disposé à écouter les uns et les autres, et à rechercher, le cas échéant, un autre point d'équilibre. Quoi qu'il en soit, il me paraît impossible de ne pas solliciter l'avis de la région de départ, dont il convient de respecter la cohésion.
Enfin, Pierre Morel-A-L'Huissier a soulevé la question de la proximité à propos de la Lozère. Les départements les plus ruraux et les moins peuplés risquaient en effet d'être les plus touchés par la réforme territoriale. C'est pourquoi, en première lecture, aux termes d'un amendement que j'ai proposé, le nombre minimal de conseillers régionaux élus au titre d'un département a été relevé de un à deux. Certains objecteront que ce n'est pas suffisant. Telle a été la position du Sénat, qui a porté ce seuil à cinq, au mépris de la Constitution – je le dis avec tout le respect que je dois à nos collègues sénateurs : il est impossible, nous le savons, qu'une telle disposition passe la barrière du Conseil constitutionnel. Car nous devons affirmer notre volonté de préserver les intérêts des départements ruraux tout en respectant le principe constitutionnel d'égale représentation des citoyens. Ce seuil sera donc ramené à deux. Ainsi, aucun département ne sera représenté par moins de deux conseillers régionaux à l'issue des élections régionales de décembre 2015.
Je compléterai mes réponses cet après-midi au cours de l'examen des articles.
La séance est levée à 12 heures 35.