Monsieur l'ambassadeur, j'aurais tendance à décrire l'évolution de la Turquie comme une dérive islamo-nationaliste ottomane, doublée d'une « poutinisation » du régime. L'éviction de M. Abdullah Gül et la nomination de son ancien ministre des affaires étrangères, M. Ahmet Davutoğlu, à la tête du gouvernement donnent au président Erdoğan les pleins pouvoirs dans un système qui rappelle la répartition des rôles entre MM. Vladimir Poutine et Dimitri Medvedev. Ce mouvement est inquiétant et conduit la Turquie dans un chemin opposé à celui d'un rapprochement avec l'Europe.
J'ai interrogé les responsables turcs la semaine dernière sur le fait de savoir pourquoi un pays ami et allié laissait passer des familles entières de ressortissants européens allant effectuer le djihad en Turquie. Qui est responsable de la défaillance ayant conduit à attendre nos trois ressortissants djihadistes dans le mauvais avion ? Où étaient les officiers de sécurité français à Istanbul et à Ankara ce jour-là ? Nous avons demandé une commission d'enquête sur ces désordres. Où en est la coopération franco-turque dans ce domaine, et notamment dans le fonctionnement des fichiers de police ?
Les Turcs recyclent le pétrole de Daech comme celui des Kurdes irakiens et multiplient les livraisons d'armes à des groupes suspects en Syrie.
La coopération en matière de base aérienne se révèle indispensable, car nous ravitaillons trois fois en vol pour chaque frappe en Irak. Des négociations sur l'utilisation par nos avions des bases de l'OTAN en Turquie sont-elles conduites ?
Je n'ai pas compris la position de la France sur la question de la zone tampon. On peut en comprendre la création du point de vue turc – elle vise à isoler les Kurdes et à les placer sous la férule de l'armée turque –, mais, du côté français, elle revient à faire la guerre à la fois au camp de M. el-Assad et à celui des djihadistes. Qui sont nos alliés ?
Le Kurdistan existe aujourd'hui en Irak, dans la région d'Erbil et la dislocation de la Syrie rendra la reformation d'un État syrien dans les frontières de 1916 très difficile. Il existe de vices tensions entre les composantes turque, irakienne et syrienne des Kurdes, mais a-t-on réfléchi à la création d'un ensemble kurde ? La France devrait avoir une idée sur cette question, les Kurdes ayant été les grands laissés pour compte des traités de Versailles et de Sèvres après la Première guerre mondiale. Les États créés il y a 100 ans – l'Irak, la Syrie, la Jordanie, le Liban et même Israël avec la Déclaration Balfour – connaissent des évolutions de frontières importantes, et la question kurde, qui concerne 35 millions de personnes, réapparaît de manière pressante.