Il n'y a jamais eu d'équivalence entre zones tampon et zones kurdes, quels que soient les projets de délimitation qui ont pu nous être présentés. Aux yeux du PYD, l'objectif de la Turquie a toujours été de contrôler les cantons kurdes. Cette vision me paraît contestable, car les Turcs veulent limiter leur exposition dans une telle zone. Aujourd'hui, le tracé de la zone envisagé par le gouvernement épouse celui de la frontière et du 36éme parallèle. Le PYD n'avait aucune envie de voir la Turquie voler à son secours à Kobané, car cela aurait symbolisé une prise de contrôle turc d'un territoire sur lequel les Kurdes ont réussi à instaurer une forme de souveraineté, même limitée.
Je n'ai pas évoqué l'assassinat des trois militants du PKK, car il commence à dater ; une procédure judiciaire est en cours dont je ne suis, évidemment, pas tenu informé en raison du secret de l'instruction. Si certains soupçons, évoqués par la presse, concernent l'implication possible des services secrets turcs, je n'arrive toutefois pas à comprendre pourquoi le gouvernement turc aurait commandité ce meurtre en plein processus de paix, alors même qu'il n'a pas procédé à de telles actions à l'étranger dans les périodes les plus dures du conflit avec le PKK.
Les frontières turques sont poreuses – surtout celle avec l'Irak que la Turquie n'a jamais réussi à complètement contrôler à cause du relief. L'une des forces du PKK est de bénéficier de bases arrière dans le nord de l'Irak. La contrebande a toujours existé, mais des efforts importants ont été opérés pour que le trafic de pétrole diminue, et l'on ne peut pas parler de complicité turque en la matière.
La France a développé des vues convergentes avec la Turquie sur le conflit syrien et, notamment, sur la nécessité du départ de M. el-Assad. Cette logique ne nous a pas empêchés de marquer l'absence de lisibilité de la stratégie turque sur Kobané. La chute de cette ville serait un symbole comme l'a été le martyr de Guernica pendant la guerre d'Espagne, et l'on doit tout entreprendre pour l'éviter.
Il y a quinze ans, la laïcité turque était antireligieuse et relativement brutale. Le gouvernement de M. Erdoğan a procédé à une normalisation de la place de l'islam dans la société qui n'a pas posé de problème jusqu'en 2011. Depuis cette date et le retrait des militaires du jeu politique, certains milieux en Turquie considèrent que le curseur va trop loin dans l'autre sens. Cette peur, réelle, est-elle fondée ? Il est difficile de répondre à cette question ; l'autorisation du port du voile à l'école dès neuf ans peut constituer une pression sur les filles, mais elle incitera également certaines familles du sud-est anatolien à envoyer leurs filles à l'école. Au total, il convient d'être vigilant, mais il faut comprendre que la situation précédente n'était ni normale ni démocratique, même si elle nous paraissait plus familière.