Il s'agit d'un débat philosophique, mais le « petit peuple anatolien » s'est senti comme une population colonisée dans son propre pays pendant des décennies. La démographie donne un poids supérieur à cette partie du peuple – qui va jusqu'à la mer Noire et au sud-est du territoire – dans le corps électoral par rapport à celle du littoral. Nous devons vivre avec cette situation, tout en marquant les limites que ne peut pas franchir un État souhaitant adhérer à l'UE. Mais pouvoir porter un voile à l'université ne constitue pas une islamisation de la société. Celle-ci est d'ailleurs très dynamique : de plus en plus de jeunes font des études supérieures et inventent un nouveau modèle de vie, différent de celui de leurs parents. Il y a quinze ans, certaines femmes étaient cloîtrées alors qu'elles sortent aujourd'hui, même si certaines d'entre elles sont voilées.
Comme M. Erdoğan est un conservateur pieux, il peut dépasser les dogmes nationalistes et, donc, les blocages sur la question kurde. Ce gouvernement s'avère ainsi plus ouvert que ses prédécesseurs dans ce domaine. Nous ignorons jusqu'où iront les discussions avec M. Öcalan, mais les mentalités évoluent. Il y a vingt-cinq ans, j'ai connu des gens qui affirmaient qu'il n'y avait pas de Kurdes en Turquie, puis qu'il n'y avait pas de problème kurde. Aujourd'hui, on dit qu'il existe un problème kurde et qu'un processus politique doit le régler ; celui-ci aboutira à une reconnaissance de droits et à un minimum de décentralisation – probablement autour de grandes municipalités plutôt que des régions. Les deux parties souhaitent trouver une solution, qui s'inscrira sans doute dans le cadre des États nationaux, mais la reconnaissance d'une dimension kurde de la Turquie, l'existence d'une entité kurde déjà presque indépendante dans le nord de l'Irak, l'autonomie de cantons kurdes en Syrie, la présence de Kurdes en Iran et la natalité près de deux fois plus dynamique chez les Kurdes de Turquie que dans l'ouest du pays constituent, certes pour un avenir assez lointain, les germes d'une évolution.
Le président, conservateur pieux, a fréquenté beaucoup de personnes proches des Frères musulmans quand il était dans l'opposition voire en prison. Néanmoins, M. Erdoğan est également un homme pragmatique et un nationaliste turc.
Le respect des minorités religieuses s'avère mieux assuré depuis que M. Erdoğan est au pouvoir. Des propriétés religieuses ont été restituées et des discussions sont en cours sur le séminaire de Halki, même si elles tardent à aboutir.