Intervention de Catherine Lemorton

Réunion du 4 novembre 2014 à 16h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCatherine Lemorton, coordinateur interministériel de la lutte contre ébola :

Médecin, j'ai été chargé de coordonner les quatre grands pôles qui structurent la réponse française à la crise d'Ébola. Certains d'entre eux fonctionnent déjà depuis longtemps. Géré par le ministère de la santé, le pôle santé – dont l'EPRUS représente un exemple – est très solide et prêt à prendre en charge les quelques cas que nous verrons probablement en France dans les semaines à venir. Piloté par une ambassadrice présente dans cette salle, le pôle diplomatique qui dirige l'action française en Guinée apparaît le plus difficile à organiser. Le pôle intérieur, qui dépend du ministre de l'intérieur, s'occupe des mesures de sécurité en lien avec la crise, notamment des contrôles aux frontières ; un préfet fait désormais le lien entre les directives de la santé et celles qui doivent être mises en oeuvre par les services de l'État. J'ai enfin fait ajouter un pôle recherche, car ce domaine – où la France possède d'importants atouts – me semble essentiel. Cette mission me fait découvrir les joies de l'action interministérielle, souvent complexe, que je m'efforce de faciliter.

À ces pôles verticaux s'ajoutent deux pôles transversaux : celui des relations avec les médias qui jouent dans cette crise un rôle important et pas toujours positif, et celui des liens avec la société civile. Nous devons nous appuyer sur des ONG du Nord telles que MSF qui a agi de façon exemplaire dans les premiers mois de cette épidémie, mais également sur la société civile du Sud. En effet, l'aide occidentale – y compris les centres de traitement – n'est pas forcément bien vue par la population africaine.

Le risque d'une épidémie d'Ébola en France m'apparaît personnellement très faible. Comme les États-Unis, nous verrons certainement quelques cas de jeunes médecins rapatriés ou bien de malades passant la barrière sanitaire durant la phase d'incubation asymptomatique qui dure entre cinq et dix-huit jours, où l'on peut traverser la frontière sans pouvoir être repéré. Cela peut arriver quelles que soient les précautions que l'on prenne. J'espère qu'il n'y aura pas de contamination de soignants sur notre territoire, mais les mesures de protection étant très complexes – on l'a vu aux États-Unis –, nous ne pouvons pas l'exclure. Pour y faire face, nous disposons d'un plan solide mis en place par le ministère de la santé. Globalement, il n'y aura pas d'épidémie large en France, mais le seuil de tolérance de la Nation risque de s'avérer très faible : dès qu'on aura dépassé quatre ou cinq cas, surtout rapprochés, l'agitation médiatique fera croire – à tort – à un début d'épidémie. Il faut s'y attendre et s'y préparer.

L'enjeu majeur se trouve dans les trois pays du Sud touchés par le virus. La France a choisi de se concentrer sur la Guinée en raison de ses liens avec ce pays francophone ; l'Angleterre intervient en Sierra Leone et les États-Unis, au Libéria. Notre pays manque pourtant de moyens pour agir seul en Guinée ; il devra s'appuyer sur des partenaires internationaux, tant pour le financement des opérations que pour la constitution des équipes qui animeront les centres de traitement. Trois objectifs guident notre action jusqu'à la fin de l'année. Nous voulons d'abord créer un centre de traitement des soignants. En effet, si nous rapatrions notre personnel touché par Ébola, les soignants africains sont mélangés avec les autres patients. Or, vous l'avez rappelé, le Libéria ne compte qu'un médecin pour 100 000 habitants ; dans les pays d'Afrique de l'Ouest, le personnel médical représente un bien précieux et le décès d'un médecin y constitue une perte considérable. Nous devons donc prendre en charge les soignants dans des conditions supérieures à celles des centres de soins standards. Il s'agit d'un choix stratégique – que les Britanniques et les Américains feront également. Ce centre de traitement se situera à côté de Conakry et disposera de dix à douze lits, ainsi que de quatre lits dédiés aux soins de pathologies autres qu'Ébola, car en soignant des patients atteints du virus, on peut tout aussi bien faire une crise grave de paludisme. Le centre sera entièrement piloté par le Service de santé des armées français, en partenariat avec son homologue guinéen – une façon d'amorcer la coopération et le transfert de savoir-faire.

Notre deuxième objectif est d'ouvrir un centre de formation à deux pôles : l'un au Nord, géré par la sécurité civile en partenariat avec l'EPRUS pour former des jeunes qui souhaiteraient partir en tant que soignants ; l'autre au Sud, en Guinée, à proximité de Conakry, où l'on formera, à partir de la mi-décembre, quelque 150 soignants par mois.

Le troisième objectif – le plus complexe – concerne l'installation en Guinée de centres de traitement dédiés à la prise en charge des patients atteints d'Ébola. L'épidémie se poursuit dans ce pays ; après une phase de régression en juin et en juillet, la maladie est réapparue lorsque les nombreux Guinéens qui travaillaient au Libéria – dont certains étaient infectés – ont été obligés de revenir chez eux. On prépare l'ouverture du centre de Macenta, en Guinée forestière. Située à trois jours de camion de Conakry et à six heures de la première piste d'avion, cette région – que j'ai bien connue dans le cadre de la lutte contre le VIH – est l'une des plus inaccessibles d'Afrique de l'Ouest. Contrairement aux Américains et aux Anglais qui se sont installés autour des grandes villes, nous avons choisi une zone difficile qui correspond au foyer originel de l'épidémie ; cet effort compense le retard que la France a pu prendre pour réagir. Le centre de Macenta sera animé par la Croix-Rouge, l'Institut Pasteur prenant en charge la partie biologique. Il proposera d'abord cinquante lits ; ce nombre peut ensuite augmenter, mais il n'est pas certain que cela soit souhaitable. En effet, on se rend compte actuellement que les gros centres – comme celui de MSF, qui a admirablement fait face à l'urgence – sont maintenant perçus par les populations africaines comme des mouroirs, des lieux d'isolation plus que de soins. De façon pragmatique, nous verrons comment les choses se passeront pour ce centre d'une cinquantaine de lits avant d'ouvrir deux autres centres plus petits – de trente à quarante lits – entre Conakry et la Guinée forestière, à la fois plus faciles à gérer pour les opérateurs et plus proches de la société civile. En effet, il serait illusoire de croire que face à Ébola, l'on peut se contenter d'une réponse uniquement médicale ; au contraire, les interactions avec la société civile apparaissent cruciales.

Le centre de Macenta ouvrira d'ici deux à trois semaines, à la fin du mois de novembre ; la Croix-Rouge y travaille activement, dans des conditions difficiles. Dans les jours qui viennent, nous prendrons la décision définitive concernant la taille des deux autres centres ; des ONG françaises – telles que Médecins du Monde – s'impliqueront peut-être dans leur gestion. Plusieurs pays proposent de nous aider, tant financièrement qu'en envoyant du personnel médical pour animer les centres. En tant que médecin, j'insiste beaucoup sur la nécessité, pour les intervenants étrangers, de parler français. En effet, nous devons offrir aux malades – qui ont une chance sur deux de mourir – la possibilité d'être compris de ceux qui les entourent. Pour cette raison, nous essaierons de travailler en priorité avec les Suisses, les Belges et les Canadiens ; la visite du Président de la République au Canada contribue à agir en ce sens. Réunir les forces humaines – soignants et biologistes – pour s'occuper de ces centres représente une tâche très difficile et demande de gros efforts d'organisation.

La recherche offre une lueur d'espoir. À moyen terme, trois éléments peuvent changer la donne. Tout d'abord, il n'existe pas de médicament spécifique contre le virus Ébola, le meilleur traitement restant symptomatique : nutrition, alimentation et hydratation. Alors que cette dernière est particulièrement importante, la majorité des malades dans les gros centres ne bénéficient pas d'une transfusion, celle-ci représentant un risque supplémentaire pour les soignants. Nous disposons actuellement de deux ou trois médicaments antiviraux candidats que l'on a administrés aux soignants rapatriés en Europe et aux États-Unis ; avant la fin du mois, l'INSERM – où j'ai piloté cette recherche jusqu'à ma nomination en tant que coordinateur – lancera, dans un ou deux centres guinéens, un essai avec l'un d'entre eux : le Favipiravir. Le centre Macenta, qui s'ouvrira comme structure sanitaire, pourra ensuite contribuer à cette recherche clinique. On ne compte pas découvrir un médicament miracle ; mais si, à partir de trente ou quarante patients traités, on constate un signal positif, et que d'autres équipes en reçoivent également un avec un autre antiviral, on pourrait dès janvier administrer des combinaisons d'antiviraux, réalisant en trois mois ce qui avait pris cinq ans pour l'hépatite C ou pour le VIH.

Le deuxième élément qui pourrait changer la donne est l'utilisation de tests de diagnostic rapide basés sur la technique de Polymerase Chain Reaction (PCR) – quasiment au point en laboratoire, mais pas encore étudiés sur le terrain. Un test a été conçu par le CEA en association avec un laboratoire de biotechnologie ; un deuxième, racheté par l'Institut Mérieux, pourrait fournir une réponse en moins de quinze minutes : une véritable révolution qui évitera aux personnes dépistées – dont 90 % recevront une réponse négative – d'attendre les résultats une journée entière dans une tente où ils risquent d'être contaminés par ceux qui s'avéreront malades. Cela contribuera à atténuer la vision négative des centres de soins qui prévaut dans la population africaine.

Enfin, on se prépare à lancer une étude sur une cohorte de convalescents. Pourquoi 50 % des personnes infectées réussissent-elles à survivre ? Quelle est leur réponse immunitaire ? Présentent-elles des particularités ? Les survivants d'Ébola sont-ils ou non rejetés par la société ? Nous essaierons de répondre à toutes ces questions, avec la perspective d'aboutir éventuellement à des dons de sérothérapie. L'Établissement français du sang accompagnera un projet européen de ce type en Guinée.

Voilà où en est notre action. En matière de financement, au-delà des effets d'annonce où la France, l'Angleterre et les États-Unis rivalisent de millions théoriques promis dans les communiqués, il importe de disposer de sommes opérationnelles pour les mois de novembre et de décembre. J'ai demandé au Premier ministre et au Président de la République d'agir en ce sens, afin de garantir aux équipes auxquelles on confie la gestion des centres de soins sur le terrain que l'argent pour les aider à démarrer sera disponible dès que cela sera nécessaire.

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