COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mardi 4 novembre 2014
La séance est ouverte à seize heures vingt.
(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission, et de Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères, puis de M. Paul Giacobbi, vice-président de la commission des affaires étrangères)
La Commission des affaires sociales entend, conjointement avec la commission des affaires étrangères, M. le Professeur Jean-François Delfraissy, coordinateur interministériel de la lutte contre Ébola, M. Marc Meunier, directeur général de l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS), et M. Stéphane Mantion, directeur général de la Croix-Rouge, lors d'une table ronde sur les risques épidémiques du virus Ébola.
Nous poursuivons nos travaux sur les risques épidémiques du virus Ébola, que nous menons en coopération avec la commission des affaires étrangères. Alors que nous avons déjà auditionné la ministre de la santé, des affaires sociales et des droits des femmes – et la commission des affaires étrangères, Médecins sans frontières (MSF) –, cette table ronde nous permettra d'approfondir notre réflexion. Nous nous intéresserons pour commencer aux « effecteurs » qui se rendent là où Ébola frappe le plus fort. Cette première audition nous permettra d'entendre MM. Jean-François Delfraissy, coordinateur interministériel de la lutte contre Ébola, Marc Meunier, directeur général de l'EPRUS – établissement d'ores et déjà mobilisé sur le terrain –, et Stéphane Mantion, directeur général de la Croix-Rouge qui ouvre un centre en Guinée où seront utilisés des traitements innovants, notamment des tests rapides mis au point par le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). La deuxième partie de la table ronde sera plus spécifiquement sanitaire ; nous y entendrons des spécialistes – infectiologues et épidémiologistes – qui nous expliqueront en détail le fonctionnement de ce virus depuis qu'il est connu.
Je remercie Mme Catherine Lemorton d'avoir associé notre commission à cette audition. En effet, l'épidémie d'Ébola soulève un double enjeu : le souci d'éviter l'importation de la maladie en France et la nécessité d'aider les pays africains à améliorer leur système de santé dont la défaillance – le Libéria ne compte qu'un médecin pour 100 000 habitants – est responsable de la vitesse de propagation du virus.
Le docteur Mego Terzian, président de MSF – que nous avons auditionné le 7 octobre – nous a livré un diagnostic pessimiste. Selon lui, en dépit du déploiement d'équipes et de l'installation de centres de soins dans les trois pays les plus touchés, sans introduction rapide d'un vaccin de prévention – d'abord pour le personnel soignant, le plus exposé, puis pour la population –, l'épidémie sera très difficile à contenir et à contrôler en Afrique de l'Ouest, compte tenu de l'étendue des zones affectées. Depuis que nous l'avons auditionné, le bilan de l'épidémie s'est alourdi : selon l'OMS, le cap des 5 000 décès est atteint ; il y aurait aujourd'hui plus de 13 500 malades en Guinée, au Libéria et en Sierra Leone, et les effets de la réponse internationale semblent plus lents que prévu. Bien qu'elle travaille à marche forcée, la recherche avance moins vite que l'épidémie.
Le Président de la République a approuvé un plan global de lutte contre Ébola qui comprend plusieurs volets : un nouvel engagement financier de la France à hauteur de 20 millions d'euros ; l'ouverture en Guinée de deux cents lits de soins, dont certains dédiés à la prise en charge du personnel soignant ; la mise en place de deux centres de formation des soignants – l'un en France, l'autre en Guinée ; le lancement d'un premier essai thérapeutique mondial coordonné par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) en Guinée à partir de la mi-novembre ; l'évaluation de tests de diagnostic rapide élaborés par des entreprises françaises de biotechnologie. Chargé de la mise en oeuvre de ce plan, M. Jean-François Delfraissy nous en détaillera l'architecture et en précisera l'articulation avec les annonces faites par la France antérieurement.
Monsieur Meunier, pouvez-vous nous présenter le rôle de l'EPRUS et de ses volontaires dans la gestion de l'épidémie ? Comment vous coordonnez-vous avec d'autres acteurs sur le terrain – notamment le centre de crise du quai d'Orsay ? Ces dernières semaines, la presse a relayé des critiques quant au retard de la réponse française ; qu'en pensez-vous ? Peut-on faire plus, mieux et plus vite ? Comment situer l'action de la France par rapport à celle d'autres grands pays, notamment européens ?
Je tiens à saluer l'action et la communication du Gouvernement. La ministre de la santé s'est montrée très vigilante sans provoquer de réaction de peur à laquelle on aurait pu s'attendre dans un pays où l'on a rapatrié l'infirmière de MSF – qui depuis a été soignée – et qui vient d'accueillir un nouveau malade de l'OMS. Le test effectué par un journaliste – arrivé anonymement dans un hôpital en prétendant revenir d'un pays atteint par Ébola et pris en charge avec toutes les mesures nécessaires de sécurité – apparaît rassurant. La France figure parmi les pays les plus engagés dans la lutte internationale contre ce drame qui frappe l'Afrique de l'Ouest.
Établissement public, opérateur de l'État placé sous la tutelle de la ministre de la santé, l'EPRUS se présente comme un logisticien : en appui auprès des établissements de santé, il gère les moyens humains et matériels de préparation et de réponse aux urgences sanitaires exceptionnelles, en France comme à l'étranger. Pour remplir cette mission, il dispose de deux outils. Nous gérons tout d'abord le stock stratégique des produits de santé de l'État – antibiotiques, antiviraux et antidotes pour une somme de 500 millions d'euros –, que nous acquérons, conservons en différents points du territoire, transportons et distribuons en cas de nécessité. Nous gérons également la réserve sanitaire : un ensemble de 1 700 professionnels de santé volontaires – actifs ou retraités –, que nous recrutons, formons et mobilisons en cas de crise sanitaire exceptionnelle. Créé en 2007, l'EPRUS s'est depuis illustré dans toutes les grandes crises internationales – Haïti, Libye, Japon, actuellement Guinée –, mais il intervient également sur le territoire national, notamment dans les outre-mer où il aide les agences régionales de santé (ARS) et les établissements dans la lutte contre le chikungunya, la dengue ou le zika. Nous participons également aux dispositifs prudentiels ; nos équipes médicales étaient par exemple présentes lors des cérémonies du soixante-dixième anniversaire du débarquement en Normandie. Nous sommes enfin chargés de livrer les établissements de santé en produits rares tels que le vaccin contre la méningite ou l'antitoxine botulique.
Petite structure de trente personnes, nous sommes sollicités pour notre réactivité et notre expertise. Logisticiens, nous passons beaucoup de marchés et disposons d'un système informatique très performant. Notre réserve sanitaire comprend des professionnels de santé de tous horizons : médecins de toutes les spécialités, mais également infirmières, sages-femmes, aides-soignants, ambulanciers, directeurs d'hôpitaux, ingénieurs sanitaires, etc.
S'agissant d'Ébola, nous intervenons à la fois sur le front international et national. Mobilisés par la ministre de la santé dès le mois d'avril pour une première mission d'appui et d'expertise auprès du gouvernement guinéen, nous avons aidé à mettre en place un plan de lutte contre Ébola dans ce pays, qui comprend notamment un suivi épidémiologique et celui des patients et des « cas contact ». Cette mission a duré six semaines, deux épidémiologistes infectiologues s'étant succédé sur le terrain. Nous avons ensuite été à nouveau mobilisés au mois de septembre pour une action plus ciblée. Cinq réservistes de l'EPRUS sont partis à Conakry pour constater les progrès effectués dans la mise en place du plan et travailler à l'hôpital de Donka sur l'accueil et l'orientation des patients, l'organisation d'un centre 15 et la gestion de la pharmacie centrale. Un des membres de l'équipe, resté deux mois sur place, a participé à la conception et à l'élaboration du centre de traitement qui sera installé dans quelques jours en Guinée forestière. Après ces deux missions relevant du conseil et de l'appui, la ministre nous a chargés de fournir le gros des effectifs du personnel de soins dans le futur centre de traitement de Macenta. Avec la Croix-Rouge – chargée du pilotage de ce centre –, nous avons mobilisé et formé pendant dix jours douze professionnels de santé : cinq médecins, quatre infirmiers, un psychologue, un ingénieur du génie sanitaire et une pharmacienne hygiéniste. Cette équipe est partie samedi dernier pour Conakry où elle recevra pendant quinze jours une formation pratique au centre de traitement de MSF avant de prendre ses fonctions au centre de Macenta autour du 15 novembre. Faisant partie de la task force mise en place par le Premier ministre, nous avons mené ces différentes opérations en lien étroit avec le ministre des affaires étrangères et le centre de crise du quai d'Orsay.
Monsieur Delfraissy, vous êtes professeur d'immunologie clinique et de médecine interne, directeur de l'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales, directeur de l'Institut de microbiologie et des maladies infectieuses – INSERM-CNRS. Administrateur de l'Institut Pasteur, vous venez d'être nommé coordinateur de l'ensemble des opérations internationales et nationales de réponse à l'épidémie d'Ébola. Quel sera votre rôle exact ? Avec quels partenaires travaillez-vous à la mise en place de ce plan d'action ?
Médecin, j'ai été chargé de coordonner les quatre grands pôles qui structurent la réponse française à la crise d'Ébola. Certains d'entre eux fonctionnent déjà depuis longtemps. Géré par le ministère de la santé, le pôle santé – dont l'EPRUS représente un exemple – est très solide et prêt à prendre en charge les quelques cas que nous verrons probablement en France dans les semaines à venir. Piloté par une ambassadrice présente dans cette salle, le pôle diplomatique qui dirige l'action française en Guinée apparaît le plus difficile à organiser. Le pôle intérieur, qui dépend du ministre de l'intérieur, s'occupe des mesures de sécurité en lien avec la crise, notamment des contrôles aux frontières ; un préfet fait désormais le lien entre les directives de la santé et celles qui doivent être mises en oeuvre par les services de l'État. J'ai enfin fait ajouter un pôle recherche, car ce domaine – où la France possède d'importants atouts – me semble essentiel. Cette mission me fait découvrir les joies de l'action interministérielle, souvent complexe, que je m'efforce de faciliter.
À ces pôles verticaux s'ajoutent deux pôles transversaux : celui des relations avec les médias qui jouent dans cette crise un rôle important et pas toujours positif, et celui des liens avec la société civile. Nous devons nous appuyer sur des ONG du Nord telles que MSF qui a agi de façon exemplaire dans les premiers mois de cette épidémie, mais également sur la société civile du Sud. En effet, l'aide occidentale – y compris les centres de traitement – n'est pas forcément bien vue par la population africaine.
Le risque d'une épidémie d'Ébola en France m'apparaît personnellement très faible. Comme les États-Unis, nous verrons certainement quelques cas de jeunes médecins rapatriés ou bien de malades passant la barrière sanitaire durant la phase d'incubation asymptomatique qui dure entre cinq et dix-huit jours, où l'on peut traverser la frontière sans pouvoir être repéré. Cela peut arriver quelles que soient les précautions que l'on prenne. J'espère qu'il n'y aura pas de contamination de soignants sur notre territoire, mais les mesures de protection étant très complexes – on l'a vu aux États-Unis –, nous ne pouvons pas l'exclure. Pour y faire face, nous disposons d'un plan solide mis en place par le ministère de la santé. Globalement, il n'y aura pas d'épidémie large en France, mais le seuil de tolérance de la Nation risque de s'avérer très faible : dès qu'on aura dépassé quatre ou cinq cas, surtout rapprochés, l'agitation médiatique fera croire – à tort – à un début d'épidémie. Il faut s'y attendre et s'y préparer.
L'enjeu majeur se trouve dans les trois pays du Sud touchés par le virus. La France a choisi de se concentrer sur la Guinée en raison de ses liens avec ce pays francophone ; l'Angleterre intervient en Sierra Leone et les États-Unis, au Libéria. Notre pays manque pourtant de moyens pour agir seul en Guinée ; il devra s'appuyer sur des partenaires internationaux, tant pour le financement des opérations que pour la constitution des équipes qui animeront les centres de traitement. Trois objectifs guident notre action jusqu'à la fin de l'année. Nous voulons d'abord créer un centre de traitement des soignants. En effet, si nous rapatrions notre personnel touché par Ébola, les soignants africains sont mélangés avec les autres patients. Or, vous l'avez rappelé, le Libéria ne compte qu'un médecin pour 100 000 habitants ; dans les pays d'Afrique de l'Ouest, le personnel médical représente un bien précieux et le décès d'un médecin y constitue une perte considérable. Nous devons donc prendre en charge les soignants dans des conditions supérieures à celles des centres de soins standards. Il s'agit d'un choix stratégique – que les Britanniques et les Américains feront également. Ce centre de traitement se situera à côté de Conakry et disposera de dix à douze lits, ainsi que de quatre lits dédiés aux soins de pathologies autres qu'Ébola, car en soignant des patients atteints du virus, on peut tout aussi bien faire une crise grave de paludisme. Le centre sera entièrement piloté par le Service de santé des armées français, en partenariat avec son homologue guinéen – une façon d'amorcer la coopération et le transfert de savoir-faire.
Notre deuxième objectif est d'ouvrir un centre de formation à deux pôles : l'un au Nord, géré par la sécurité civile en partenariat avec l'EPRUS pour former des jeunes qui souhaiteraient partir en tant que soignants ; l'autre au Sud, en Guinée, à proximité de Conakry, où l'on formera, à partir de la mi-décembre, quelque 150 soignants par mois.
Le troisième objectif – le plus complexe – concerne l'installation en Guinée de centres de traitement dédiés à la prise en charge des patients atteints d'Ébola. L'épidémie se poursuit dans ce pays ; après une phase de régression en juin et en juillet, la maladie est réapparue lorsque les nombreux Guinéens qui travaillaient au Libéria – dont certains étaient infectés – ont été obligés de revenir chez eux. On prépare l'ouverture du centre de Macenta, en Guinée forestière. Située à trois jours de camion de Conakry et à six heures de la première piste d'avion, cette région – que j'ai bien connue dans le cadre de la lutte contre le VIH – est l'une des plus inaccessibles d'Afrique de l'Ouest. Contrairement aux Américains et aux Anglais qui se sont installés autour des grandes villes, nous avons choisi une zone difficile qui correspond au foyer originel de l'épidémie ; cet effort compense le retard que la France a pu prendre pour réagir. Le centre de Macenta sera animé par la Croix-Rouge, l'Institut Pasteur prenant en charge la partie biologique. Il proposera d'abord cinquante lits ; ce nombre peut ensuite augmenter, mais il n'est pas certain que cela soit souhaitable. En effet, on se rend compte actuellement que les gros centres – comme celui de MSF, qui a admirablement fait face à l'urgence – sont maintenant perçus par les populations africaines comme des mouroirs, des lieux d'isolation plus que de soins. De façon pragmatique, nous verrons comment les choses se passeront pour ce centre d'une cinquantaine de lits avant d'ouvrir deux autres centres plus petits – de trente à quarante lits – entre Conakry et la Guinée forestière, à la fois plus faciles à gérer pour les opérateurs et plus proches de la société civile. En effet, il serait illusoire de croire que face à Ébola, l'on peut se contenter d'une réponse uniquement médicale ; au contraire, les interactions avec la société civile apparaissent cruciales.
Le centre de Macenta ouvrira d'ici deux à trois semaines, à la fin du mois de novembre ; la Croix-Rouge y travaille activement, dans des conditions difficiles. Dans les jours qui viennent, nous prendrons la décision définitive concernant la taille des deux autres centres ; des ONG françaises – telles que Médecins du Monde – s'impliqueront peut-être dans leur gestion. Plusieurs pays proposent de nous aider, tant financièrement qu'en envoyant du personnel médical pour animer les centres. En tant que médecin, j'insiste beaucoup sur la nécessité, pour les intervenants étrangers, de parler français. En effet, nous devons offrir aux malades – qui ont une chance sur deux de mourir – la possibilité d'être compris de ceux qui les entourent. Pour cette raison, nous essaierons de travailler en priorité avec les Suisses, les Belges et les Canadiens ; la visite du Président de la République au Canada contribue à agir en ce sens. Réunir les forces humaines – soignants et biologistes – pour s'occuper de ces centres représente une tâche très difficile et demande de gros efforts d'organisation.
La recherche offre une lueur d'espoir. À moyen terme, trois éléments peuvent changer la donne. Tout d'abord, il n'existe pas de médicament spécifique contre le virus Ébola, le meilleur traitement restant symptomatique : nutrition, alimentation et hydratation. Alors que cette dernière est particulièrement importante, la majorité des malades dans les gros centres ne bénéficient pas d'une transfusion, celle-ci représentant un risque supplémentaire pour les soignants. Nous disposons actuellement de deux ou trois médicaments antiviraux candidats que l'on a administrés aux soignants rapatriés en Europe et aux États-Unis ; avant la fin du mois, l'INSERM – où j'ai piloté cette recherche jusqu'à ma nomination en tant que coordinateur – lancera, dans un ou deux centres guinéens, un essai avec l'un d'entre eux : le Favipiravir. Le centre Macenta, qui s'ouvrira comme structure sanitaire, pourra ensuite contribuer à cette recherche clinique. On ne compte pas découvrir un médicament miracle ; mais si, à partir de trente ou quarante patients traités, on constate un signal positif, et que d'autres équipes en reçoivent également un avec un autre antiviral, on pourrait dès janvier administrer des combinaisons d'antiviraux, réalisant en trois mois ce qui avait pris cinq ans pour l'hépatite C ou pour le VIH.
Le deuxième élément qui pourrait changer la donne est l'utilisation de tests de diagnostic rapide basés sur la technique de Polymerase Chain Reaction (PCR) – quasiment au point en laboratoire, mais pas encore étudiés sur le terrain. Un test a été conçu par le CEA en association avec un laboratoire de biotechnologie ; un deuxième, racheté par l'Institut Mérieux, pourrait fournir une réponse en moins de quinze minutes : une véritable révolution qui évitera aux personnes dépistées – dont 90 % recevront une réponse négative – d'attendre les résultats une journée entière dans une tente où ils risquent d'être contaminés par ceux qui s'avéreront malades. Cela contribuera à atténuer la vision négative des centres de soins qui prévaut dans la population africaine.
Enfin, on se prépare à lancer une étude sur une cohorte de convalescents. Pourquoi 50 % des personnes infectées réussissent-elles à survivre ? Quelle est leur réponse immunitaire ? Présentent-elles des particularités ? Les survivants d'Ébola sont-ils ou non rejetés par la société ? Nous essaierons de répondre à toutes ces questions, avec la perspective d'aboutir éventuellement à des dons de sérothérapie. L'Établissement français du sang accompagnera un projet européen de ce type en Guinée.
Voilà où en est notre action. En matière de financement, au-delà des effets d'annonce où la France, l'Angleterre et les États-Unis rivalisent de millions théoriques promis dans les communiqués, il importe de disposer de sommes opérationnelles pour les mois de novembre et de décembre. J'ai demandé au Premier ministre et au Président de la République d'agir en ce sens, afin de garantir aux équipes auxquelles on confie la gestion des centres de soins sur le terrain que l'argent pour les aider à démarrer sera disponible dès que cela sera nécessaire.
Monsieur Mantion, je vous remercie d'avoir répondu aussi rapidement à notre invitation et de nous rejoindre après avoir été auditionné sur le même sujet par l'Académie nationale de médecine. Vous avez été directeur de l'Agence régionale de l'hospitalisation en Guadeloupe, chef de projet aux affaires européennes et internationales de la Direction générale de l'offre de soins et conseiller général des établissements de santé ; depuis juin 2013, vous êtes directeur général de la Croix-Rouge. Quel est le rôle de la Croix-Rouge dans la gestion de cette épidémie ? Où intervenez-vous ? Quel personnel envoyez-vous sur le terrain ? Sur quel traitement comptez-vous travailler ?
J'espère n'inquiéter personne en vous disant que je suis rentré hier matin de Conakry. Depuis, je prends ma température matin et soir, comme il faut. Les autorités guinéennes doivent être saluées pour leur effort et leur sérieux : au départ de Conakry, j'ai été testé trois fois, selon une règle qui fonctionne très bien et qui est appliquée pour tous les vols, vers d'autres pays d'Afrique ou vers l'Europe – cette dernière catégorie ne comptant plus que le vol quotidien et à peu près régulier d'Air France, le vol hebdomadaire de Brussels Airlines vers Bruxelles et quelques vols de Royal Air Maroc qui permettent de rejoindre l'Europe par Casablanca. On vous prend la température une première fois par caméra thermique, lorsque vous pénétrez dans l'aérogare ; puis des médecins et infirmiers guinéens le font une deuxième fois à l'aide d'un ThermoFlash. On vous fait remplir un questionnaire de santé – lu et tamponné par un médecin – où il faut avoir répondu « non » à toutes les questions : ne pas avoir passé un trop long moment en compagnie de malades, ne pas avoir mangé de la viande de brousse, ne pas avoir été pris de vertiges ou de température durant les vingt-quatre heures qui ont précédé le vol. La compagnie Air France garde ce questionnaire en échange de votre carte d'embarquement sur laquelle on indique votre température prise pour une troisième fois en passerelle. La Guinée offre ainsi un exemple de l'effort rapide pour rompre l'isolement qui conduit toujours – on l'a constaté sur bien des cas de pays atteints de ce type d'épidémies – à une catastrophe économique, politique et sanitaire. Côté Paris, à la demande de la zone de défense et de sécurité et de l'ARS Île-de-France, le dispositif de prise de température est assuré par les secouristes de la Croix-Rouge française.
Le 24 septembre dernier, le ministre des affaires étrangères nous a confié la gestion du centre de traitement Ébola de Macenta. Le professeur Delfraissy a rappelé la difficulté de l'opération dans cette zone de Guinée forestière à plusieurs jours de route de Conakry. La piste d'atterrissage de Macenta reste pour l'instant peu utilisable, ce qui pose des problèmes pour l'installation du laboratoire de l'Institut Pasteur qui nécessite un transport de matériel lourd dans les meilleurs délais. Pour répondre à la commande de l'État, la société nationale de la Croix-Rouge – qui est une auxiliaire des pouvoirs publics et non une ONG – utilisera l'ensemble des moyens mis à sa disposition et assumera un rôle de coordination. Deux tiers des équipes que j'ai accueillies samedi soir à Conakry viennent ainsi de l'EPRUS, le tiers restant étant composé du personnel de la Croix-Rouge française habitué aux missions humanitaires classiques en situation de catastrophes ou de conflits armés. Nous devrons également organiser toute la logistique, de l'approvisionnement en médicaments à l'installation d'une base vie dans une région hostile. Il a par exemple fallu s'assurer que la fourniture en électricité était parfaite car les machines de l'Institut Pasteur doivent bénéficier d'une très bonne qualité de courant.
Nous réfléchissons aux moyens de redonner confiance à la population car comme l'a rappelé le professeur Delfraissy, sa méfiance envers les autorités sanitaires du pays et plus encore envers des humanitaires étrangers et blancs constitue une véritable difficulté. Forécariah – importante ville au nord de Conakry, frontalière de la Sierra Leone, où l'on envisage d'installer un centre de soins plus léger que celui de Macenta – abrite aujourd'hui un centre de transit inauguré il y a quelques semaines par notre ambassadeur ; ce centre est vide car les autorités sanitaires de la région n'arrivent pas à pénétrer dans les villages où on leur indique des cas probables d'Ébola. L'État s'abstient pour l'instant des mesures autoritaires ou militaires, bien que le président Alpha Condé ait souhaité renforcer l'obligation au signalement des cas probables et à leur isolement en centre de transit. On comprend la réticence de la population à s'y faire orienter : alors qu'on ne dispose pas pour l'instant de solution thérapeutique, le taux de létalité y est très élevé – 80 %, soit le double de ce qu'on pourrait obtenir si l'on réhydratait les patients dans les jours suivant la première suspicion de contamination.
La Croix-Rouge française fait partie d'un mouvement international important qui comprend, au niveau mondial, 189 sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. La société nationale guinéenne est très active, et nous l'avons soutenue dès l'apparition des premiers cas au mois de mars dernier. À la sollicitation du quai d'Orsay – et sur un budget du ministère des affaires étrangères –, nous sommes allés former nos collègues locaux qui paient un très lourd tribut à la maladie puisqu'ils s'occupent de la désinfection des maisons et des familles touchées, de la récupération et de l'inhumation des corps. Nous leur avons fourni le matériel roulant – des pick-up – pour effectuer ce travail. Parmi les exemples de difficulté culturelle que soulève l'aide internationale, les sacs mortuaires de couleur noire sont inutilisables en Guinée où la couleur du deuil est le blanc ; l'organisme international très connu qui les a fournis connaît normalement les coutumes locales et ne devrait pas faire ce genre d'erreur qui fait perdre du temps et prendre des risques aux équipes de la Croix-Rouge obligées de travailler avec un matériel non adapté. Nos collègues guinéens continuent cette mission et nous continuerons à les soutenir.
Monsieur le professeur Delfraissy, la maîtrise de la situation par les pouvoirs publics français a permis d'éviter le vent de panique qu'ont connu les États-Unis, et il importe de maintenir cette sérénité face à l'épidémie. Pour l'avenir, les espoirs reposent sur la mise au point d'un vaccin et de traitements. Il faut également se préoccuper des répercussions de l'épidémie sur les autres problèmes sanitaires : vous l'avez souligné, les Africains hésitent à se rendre dans les centres pour des suspicions d'Ébola, mais aussi pour d'autres pathologies telles que le paludisme, la tuberculose, le SIDA ou le choléra, la crainte d'Ébola les conduisant à se méfier de tous les centres de soins.
Où en sont les données sur les anticorps humanisés utilisés en cocktail et sur les antiviraux ? Mène-t-on, en Europe et aux États-Unis, des recherches sur l'association de molécules – prévue par au moins six laboratoires pharmaceutiques – qui promet d'accroître l'efficacité des traitements ?
Alors que nous sommes confrontés à Ébola depuis plus de vingt ans, très peu de chercheurs européens – en dehors du laboratoire P4 Jean Mérieux de Lyon – ont travaillé sur ce virus, ce qui explique notre impréparation à l'épidémie au moment où elle se déclare. La même chose se produira pour d'autres maladies, y compris d'autres fièvres hémorragiques telles que Lassa ou Marburg. Tirera-t-on la leçon de l'histoire et encouragera-t-on la recherche sur les autres agents infectieux sans attendre les épidémies ?
Madame la présidente, je vous remercie d'avoir organisé ces auditions. Je vous avais proposé une mission d'information sur le risque Ébola, mais nous avons finalement fait le choix d'entendre d'abord la ministre, puis aujourd'hui MM. Delfraissy, Meunier et Mantion et les virologues infectiologues qui s'exprimeront plus tard. Il est très important que les parlementaires soient informés de la situation et des prévisions pour l'avenir.
Chaque virus a une vie, et chaque épidémie, une histoire. Nous avons vécu avec le virus Ébola depuis 1976 ; partie d'un enfant, l'épidémie actuelle a désormais dépassé le seuil de 5 000 morts pour quelque 12 000 cas. La situation dans la région reste explosive et je suis très satisfait, monsieur Delfraissy, de votre nomination en tant que coordinateur interministériel de la lutte contre Ébola. Lors de la menace de la grippe H5N1, la gestion de la Délégation interministérielle de lutte contre la grippe aviaire (DILGA) – qui recoupait les ministères de la santé, de l'intérieur et de la recherche – avait été confiée à M. Didier Houssin ; cette fois, c'est vous qui coordonnerez l'action.
Dès le début de l'épidémie, on nous a fait part de l'inquiétude des ressortissants français qui vivent et travaillent dans les pays touchés. Quelle est aujourd'hui leur situation ?
L'état catastrophique du système sanitaire local ainsi que les us et coutumes des populations africaines ont facilité l'explosion de l'épidémie. Comment rétablir le système de santé de ces pays ?
Quel est le rôle joué par l'OMS ? L'organisation semble en retard sur l'actualité.
Les financements apparaissent-ils à la hauteur des besoins ? Certains ont suggéré qu'il faudrait au minimum un milliard de dollars pour arriver à résoudre le problème ; pouvez-vous confirmer ce chiffre ?
Monsieur Meunier, combien de réservistes de l'EPRUS sont-ils partis sur le terrain ?
Monsieur Delfraissy, comme vous l'avez rappelé, l'épidémie se poursuit. Quels dispositifs avez-vous mis en place pour les pays voisins comme le Burkina Faso ou la Côte d'Ivoire qui comptent un grand nombre de ressortissants français ?
La Banque mondiale a réalisé une étude sur l'impact économique du virus si celui-ci continue à se propager. Les chiffres sont éloquents : dans le pire des scénarii, le coût de l'épidémie pour les pays de l'Afrique de l'Ouest pourrait s'élever en 2014 et 2015 à plus de 32 milliards de dollars, soit plus de deux fois et demie les PIB additionnés de la Guinée, du Libéria et de la Sierra Leone. Quelles actions pouvons-nous mener, au-delà des mesures sanitaires, pour permettre à ces États de mieux résister aux conséquences économiques de l'épidémie ?
Monsieur le professeur, quelle est votre analyse de l'évolution de l'épidémie en Afrique de l'Ouest ? Que se passe-t-il dans les pays voisins des trois États les plus touchés ? Votre diagnostic optimiste sur le faible risque d'importation de la maladie en France ne semble valable que si l'épidémie est stoppée localement. Lors d'un voyage à Washington début octobre, j'ai entendu votre collègue du Center for Desease Control and Prevention (CDC), conseiller de Barack Obama, avancer le chiffre de un million et demi de morts si l'épidémie n'est pas contenue en Afrique d'ici à la fin de l'année. Ce chiffre vous semble-t-il fantaisiste ?
À ma question concernant l'action européenne, vous avez répondu mieux que le Gouvernement. Pour l'instant, l'Europe ne fait pas grand-chose, la France commence à agir, mais vous avez rappelé que nous n'avons pas assez de moyens financiers et humains pour répondre au problème en Guinée. Il y a déjà eu 500 morts parmi le personnel soignant et le nombre des victimes est probablement sous-estimé en raison de la méfiance de la population envers les centres de traitement et de la porosité des frontières. A-t-on une chance d'endiguer l'épidémie et avec quels moyens européens ? Les Américains au Libéria, ainsi que les Anglais, utilisent beaucoup leurs forces armées, mais on évoque assez peu les ressources militaires de la France ; le ministère de la défense ne figure d'ailleurs pas parmi les pôles de votre action interministérielle.
Enfin, si nous échouons et que l'épidémie continue à se développer, quid de la protection du territoire national ? J'ai écrit au ministre des transports et attends toujours sa réponse sur le nombre d'avions provenant d'Afrique qui atteignent des hubs aériens – les aéroports de France, de Belgique et de plus en plus celui d'Istanbul. Selon vous, le système de prise de température représente-t-il une mesure de précaution suffisante ? Faut-il prévoir d'aller au-delà ?
Il est de notre devoir de vous poser ces questions tout en nous félicitant de la mobilisation française sur cette question.
Le président de MSF nous a dit que seule la découverte rapide d'un vaccin permettrait d'endiguer véritablement cette épidémie ; où en sont les recherches sur ce point ? Que peut-on espérer et à quel horizon ?
A-t-on avancé sur la mise à disposition par les pays européens d'un avion affrété pour rapatrier nos soignants qui pourraient être contaminés sur place ? Notre infirmière atteinte d'Ébola – qui depuis a guéri – a, me semble-t-il, été rapatriée par un avion de MSF.
(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales, et de M. Paul Giacobbi, vice-président de la commission des affaires étrangères)
Entre 1976 et 2012, différents pays d'Afrique ont connu un peu plus de 2 000 cas d'Ébola – tantôt quelques-uns, tantôt plusieurs centaines – avec 80 % de décès. Qu'a-t-on fait durant ces vingt-cinq ans en termes d'aide au développement, de recherche et de vigilance pour pouvoir réagir si le virus devait sortir sur le devant de la scène ? Il est important d'avoir un regard lucide et critique sur ces années.
La presse se fait écho du débat qui agite certains pays autour de l'idée de confinement des soignants qui reviennent sur le sol européen ou américain – proposition notamment avancée aux États-Unis, contre l'avis du président Obama, par les gouverneurs de New York et du New Jersey. J'aimerais vous entendre confirmer qu'il s'agit d'une idée folle qu'il faut définitivement écarter.
Pour rebondir sur la question de Pierre Lellouche, au vu de l'accélération de la pandémie, le directeur général adjoint de l'OMS avance également le chiffre de 1,4 million de malades – et non de décès – au début de l'année 2015. Confirmez-vous ce pronostic ?
Une autre souche du virus Ébola aurait fait son apparition en Afrique centrale, notamment au RDC ; la maladie y semble davantage contenue, mais si l'épidémie vient à toucher Kinshasa, il sera très difficile de l'enrayer. Confirmez-vous qu'à côté de l'Afrique occidentale, l'Afrique centrale est également concernée ?
Enfin, où en est la recherche française sur le vaccin ? Des chercheurs du laboratoire P4 Jean Mérieux ont récemment affirmé dans un article de presse qu'ils manquaient de financements pour arriver à l'élaboration d'un vaccin à très brève échéance – problème qu'Alain Mérieux a confirmé il y a moins d'une semaine. Qu'en dites-vous ?
Député des Français établis dans la région touchée par l'épidémie – en Côte d'Ivoire, au Libéria, en Sierra Leone, en Guinée –, je ne crois pas qu'il faille distinguer les communautés étrangères – notamment française – des populations locales qui vivent au même endroit et qui sont tout autant préoccupées par les dispositifs sanitaires de sécurité. Les consignes données par les autorités consulaires françaises sont parfaitement adressées et respectées par leurs destinataires.
Je m'interroge sur la coordination entre différents pays concernés, dont les plus avancés – comme la Côte d'Ivoire – disposent des capacités d'intégrer les processus de coopération en matière sanitaire, géopolitique et de sécurité.
Pouvons-nous vous être utiles dans la plaidoirie que vous porterez au-delà de la coordination de la réponse à la crise ? Tant que des pays resteront dans un état de sous-développement insupportable, l'épidémie continuera à se propager ; les mêmes causes produisant les mêmes effets, ce scénario ne cessera de se répéter. On peut comprendre les angoisses médiatiques générées par les grandes crises sanitaires, mais le débat public deviendra chaque jour plus médiocre et plus pauvre si on ne leur oppose pas la seule solution valable : des plans massifs de coopération et de développement visant la construction d'infrastructures durables et la mise en oeuvre de politiques publiques de santé dans ces pays. Tant que nous n'agirons pas en ce sens, nous serons coresponsables des catastrophes de ce type.
Connaissez-vous la répartition des 20 millions d'euros dont on a annoncé le déblocage immédiat ? Cette somme se traduit-elle par un soutien financier concret à vos institutions – l'EPRUS ou la Croix-Rouge ? Sert-elle à l'investissement, au fonctionnement, voire pour l'EPRUS à la rémunération des personnes que vous faites intervenir et dont le recrutement, compte tenu des risques, semble difficile ?
Monsieur Delfraissy, vous avez évoqué les joies de l'action interministérielle ; quel conseil donneriez-vous pour améliorer dès à présent l'efficacité du pilotage de notre action ?
S'agissant du traitement d'Ébola, la couverture médiatique des événements donne l'impression qu'une infirmière rapatriée doit forcément guérir ; vous-même ne promettez d'ailleurs que quelques cas dans notre pays. Pourtant les chiffres que vous avez rappelés – nombre de personnes touchées, taux de mortalité de 50 % – sont très inquiétants. J'aimerais comprendre ce décalage.
Professeur Delfraissy, vous avez mentionné que les centres devaient être installés au plus près de la société civile ; pourquoi ?
Les hôpitaux français – à Paris et hors Île-de-France – sont-ils prêts à accueillir les personnes atteintes du virus Ébola ou que l'on soupçonne de l'être ?
Monsieur le professeur, il est rassurant de vous entendre affirmer qu'il n'y aura pas d'épidémie en France. Ce pronostic est certainement lié au mode de transmission du virus, par voie sécrétoire et non respiratoire.
Entre le début de l'épidémie et la mise au point de la réponse thérapeutique, il existe toujours un temps de latence durant lequel la morbidité – voire, dans ce cas, la mortalité – est très élevée. La recherche médicale internationale se caractérise-t-elle actuellement, comme souvent, par la concurrence et la jalousie ou bien par la mutualisation et l'échange entre les pays et les centres de recherche ?
Si on parle beaucoup de nos soignants qui partent à l'étranger puis reviennent sur le sol national, on n'évoque jamais nos compatriotes installés dans les pays touchés par le virus. Monsieur le vice-président de la commission des affaires étrangères, dispose-t-on d'une cartographie de ces communautés ? Quelles relations nos compatriotes entretiennent-ils avec les autorités consulaires ? Ces dernières arrivent-elles à leur faire passer le message ? Quels sont les risques dans ce domaine ?
Même si les risques apparaissent limités, la France s'est préparée à faire face à l'épidémie. Douze hôpitaux – dont le centre hospitalier régional universitaire de Nancy dans ma circonscription – sont prêts à accueillir les patients atteints du virus Ébola. Comment s'organiseraient la gestion, la coordination et le suivi entre les douze établissements ?
Les Français sont inquiets. Avant-hier, un grand quotidien gratuit les rassurait, arguant que le risque de l'épidémie était plus que minime dans l'Hexagone. Monsieur le professeur, l'effort de communication pour informer nos concitoyens sur la nature de cette maladie et son mode de transmission – sur lequel on entend beaucoup de choses contradictoires – vous semble-t-il suffisant ?
La ministre de la santé a annoncé le 20 octobre dernier la tenue d'un exercice grandeur nature dans les services d'urgence pour vérifier leur capacité à accueillir les éventuels malades. Tous les services d'urgence des hôpitaux sont-ils concernés ? Tous les établissements sont-ils aujourd'hui prêts à faire face à l'accueil d'une personne infectée ?
Alors qu'Ébola fait l'objet de toutes les attentions, la Guinée souffre de bien d'autres infections qui tuent autant, voire plus, que ce virus : le paludisme, les maladies respiratoires aiguës ou le choléra. La tuberculose par exemple, qui tue un million et demi de personnes par an dans le monde, n'est pas du tout médiatisée. Comment parvenez-vous à trouver un juste équilibre entre la lutte contre Ébola et la gestion des autres épidémies ?
Les questions posées montrent que cette épidémie représente un enjeu non seulement médical, mais également politique et géopolitique, voire psychologique et social. Apparu en 1976 au Soudan du Sud, le virus Ébola a depuis connu une trentaine d'apparitions avec des variations considérables du nombre de personnes touchées et du taux de mortalité – entre 25 et 90 %. Aujourd'hui, on est confronté à une fièvre médiatique considérable, les journalistes dépourvus de bon sens et de connaissances médicales criant volontiers au risque et exhibant des projections alarmistes. Cela rappelle l'épisode H1N1 où les statistiques officielles basées sur le calcul géométrique – une personne pouvant en contaminer dix – semblaient condamner un quart de l'humanité à être atteint par le virus. Il faudrait modérer ce type de projections sans fondement scientifique que l'on retrouve à chaque épidémie pour les voir aussitôt démenties par les faits. Quelle est votre position sur cette question ?
Alors que la maladie est connue depuis 1976, on a l'impression que la recherche sur les traitements et les tests d'Ébola ne démarre qu'aujourd'hui. Est-ce parce que cette dernière apparition du virus s'est révélée plus massive que d'autres ou parce que pour la première fois on se demande si elle ne va pas toucher l'Occident ? Un malade aux États-Unis, en Espagne ou en France prend des proportions infiniment plus grandes que mille malades quelque part au Congo. A-t-on réalisé des études depuis 1976 ?
Vous êtes nombreux à m'interroger sur les fondements de mon pronostic optimiste quant à l'improbabilité d'une épidémie sévère d'Ébola en France et sur les projections du nombre de cas. Tout d'abord, les recherches ayant été limitées, il y a beaucoup plus de choses qu'on ne sait pas sur Ébola que de choses qu'on sait, et il faut rester modeste et prudent à la fois en matière scientifique et en prenant des décisions de santé publique. Au cours des mois de septembre et d'octobre, les équipes de projecteurs – généralement composées de biomathématiciens – ont avancé des prévisions de trois ordres de grandeurs pour fin 2014 : plusieurs dizaines de milliers de cas, plusieurs centaines de milliers et 1,5 million. Personnellement, je pense que le nombre de personnes touchées dans les pays d'Afrique de l'Ouest ne dépassera pas 100 000 à la fin de 2014 et se situera plutôt autour de 70 000 ou 80 000. Pour cela, la mobilisation doit cependant être organisée dès maintenant.
S'agissant des pays voisins de la Guinée forestière, le scénario noir qui changerait complètement la donne serait l'atteinte massive de la Côte d'Ivoire. En effet, ce grand pays en partie désorganisé par la guerre civile possède une importante communauté française qui pourrait succomber à la panique et être tentée par le retour sur le sol national. J'ai demandé au pôle santé de réaliser en urgence, pour le début de la semaine prochaine, une étude qui envisage toutes les options, y compris ce scénario auquel je ne crois pas, afin d'en tirer les leçons. À vrai dire, on ne comprend pas pourquoi les pays limitrophes ne sont pas davantage touchés. On a longtemps mis en cause la sous-déclaration des cas et la négation du problème ; mais cette explication semble de moins en moins probante au vu de la médiatisation de l'épidémie qui rend improbable la dissimulation d'un nombre important de malades. On peut éventuellement l'expliquer par l'effet de la ceinture sanitaire, même imparfaite, mise en place dans les zones difficiles à la frontière entre la Guinée et la Côte d'Ivoire. Le Mali n'est pas touché non plus alors que la « place des Guinéens » à Bamako, où arrivent les cars en provenance de Guinée, pourrait devenir un lieu important de contagion. Cependant, plus que le Mali, l'enjeu majeur reste la Côte d'Ivoire.
L'armée française prendra en charge le centre de traitement des soignants ; mobilisée sur beaucoup de théâtres d'opérations militaires et victime des restrictions budgétaires, elle se trouve pourtant au bout de ses moyens et ne saurait assumer davantage. Cela dit, la réserve des militaires – gens solides et sérieux qui ont l'habitude des crises – me semble s'expliquer par leur désir de préserver leur capacité de réaction en cas d'événement grave en Côte d'Ivoire.
En matière de recherche, peu d'équipes ont travaillé sur ce type de virus en France et dans le monde. En effet, comme en RDC où le virus apparu en septembre n'a toujours pas conduit à une explosion, les épidémies se sont toujours arrêtées d'elles-mêmes. Ébola était donc vu comme un problème essentiellement sanitaire. Néanmoins, quelques chercheurs français – dont Éric Leroy – ont travaillé sur cette maladie ; le virus a été séquencé et son fonctionnement, étudié. Les recherches sont cependant restées à petite échelle, sauf aux États-Unis et en Russie où elles ont bénéficié d'un financement par les autorités militaires dans le cadre des travaux sur le bioterrorisme. C'est là que trouve son origine le premier vaccin contre Ébola élaboré par National Institutes of Health (NIH) et GSK.
Monsieur Touraine, on dispose actuellement de cinq à six médicaments candidats. La majorité d'entre eux ont toutefois été produits en toute petite quantité, dans le cadre de recherches militaires, loin de toute vision industrielle ou sanitaire. Ainsi, il ne reste plus d'anticorps neutralisants de type ZMapp et seulement une vingtaine de doses de ZMAb dont la forme injectable les rend difficiles d'utilisation. Une série d'autres médicaments permettrait de traiter vingt ou trente patients. Les deux seuls médicaments d'administration orale disponibles en grande quantité sont le Favipiravir – qui sera utilisé en Guinée dans le cadre de l'essai de l'INSERM – et le Brincidofovir, développés contre la grippe grave, comme le précisent leurs autorisations de mise sur le marché. Les premiers essais détermineront leur efficacité.
Si ces médicaments candidats ont d'abord été administrés aux ressortissants des pays du Nord rapatriés, leur transfert au Sud se fera dans un délai beaucoup plus rapide que pour d'autres pathologies. Les patients africains y auront d'abord accès en quantité limitée, dans le cadre d'essais, puis massivement si ceux-ci donnent des signaux positifs. Le premier essai démarrant fin novembre, le délai s'élèvera donc à quelques mois – à comparer aux six ou sept années qu'il a fallu attendre pour voir arriver au Sud les médicaments contre le SIDA.
S'agissant des recherches françaises sur le vaccin, méfions-nous des effets d'annonce de la part de chercheurs – population farouchement indépendante – qui cherchent à faire du bruit autour de leur travail. D'excellentes équipes d'infectiologues travaillent à Lyon autour du laboratoire P4 ; mais en matière de vaccin, la France se situe en second plan. Trois vaccins sont actuellement en route : celui de NIH et GSK – un adénovirus –, celui d'un institut de recherche canadien qui a été financé par l'armée américaine et enfin un vaccin élaboré par la société Johnson & Johnson. Aux États-Unis, les premières personnes ont été vaccinées le 8 septembre ; on disposera donc des données d'immunogénicité de ce vaccin dans les quinze jours qui viennent. Les premières vaccinations au Canada ont eu lieu le 10 octobre ; les données seront donc disponibles fin décembre. Enfin, les premières injections du vaccin de Johnson & Johnson n'interviendront qu'à la mi-février, voire début mars. On a affaire à des stratégies très différentes : GSK étant une grande compagnie pharmaceutique anglaise, le gouvernement britannique pousse, pour des raisons économiques, à commander plus de trois millions de doses de son vaccin, sans rien savoir de son efficacité éventuelle, comme lors de l'épisode H1N1 il y a quelques années. Je ne saurais cautionner cette approche ; s'il est possible de faire des paris en recherche médicale, il faut quand même s'appuyer sur des preuves empiriques. Inversement, les Américains partent sur un grand essai de phase III randomisé, contre placebo, sur 28 000 personnes dans les trois pays d'Afrique de l'Ouest, qui rendrait des résultats en mars 2016. Cette stratégie basée sur des essais très lourds ne peut pas non plus être acceptée. Il faut tabler sur une voie intermédiaire : l'OMS ayant finalement réussi à prendre la tête de la stratégie vaccinale, un comité indépendant des politiques et des industriels analysera les résultats des deux premiers vaccins sur lesquels on aura des données pour en apprécier l'apport d'immunogénicité. Parce qu'il semble aujourd'hui qu'il sera relativement facile de trouver un vaccin contre Ébola, mais qu'une seule dose risque de ne pas se révéler suffisante, trois équipes travaillent en France sur le procédé prime-boost qui consiste à faire suivre la première injection d'un rappel. Dans cette optique, plusieurs vaccins candidats sont portés par les équipes françaises de l'Institut Pasteur, du Vaccine Research Institute et du laboratoire P4 de Lyon.
Quelles leçons doit-on tirer de cette épidémie ? Voilà des années, monsieur Touraine, que je milite en faveur de l'organisation de la recherche hors périodes de crise – mission qui vient enfin d'être confiée à l'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (AVIESAN). En effet, quel que soit le germe, beaucoup de dispositifs peuvent être préparés à l'avance afin d'avancer plus vite en situation d'urgence. Notre expérience a d'ailleurs permis à la France de bien se situer dans la compétition internationale. Ainsi, dans le cadre de l'appel d'offres lancé fin septembre par la direction générale de la recherche de la Commission européenne, cinq des huit projets retenus sont français, les équipes qui les animent venant s'ajouter aux huit autres sélectionnées au titre du programme Horizon 2020. Ces succès français souffrent pour l'heure d'un déficit de médiatisation, mais dès que l'essai sera lancé, l'information circulera rapidement parmi les scientifiques.
L'Europe joue correctement son rôle en matière de recherche. Elle annonce également un financement de un milliard d'euros ; il faut pourtant attendre le versement réel de ces sommes. Notre ambassadrice essaie de persuader les pays européens qui ne souhaitent pas intervenir directement sur le terrain de cofinancer l'effort coordonné par la France. Ce n'est pas facile, notamment parce que la langue française doit être au coeur de notre action en Guinée, mais nous avons des contacts forts avec la Suisse, la Belgique, le Canada et l'Allemagne – qui est prête à envoyer dans nos centres des Allemands francophones. La semaine dernière, un des membres de la nouvelle Commission a été nommé coordinateur européen sur Ébola ; des réunions de tous les coordinateurs nationaux – européens et américains – sont prévues à court terme.
La recherche internationale combine compétition – qui favorise les avancées scientifiques – et addition des résultats. Devant une crise sanitaire aussi grave, si chaque équipe et chaque pays souhaitent conserver leur visibilité, les chercheurs se parlent ; l'OMS organise deux fois par semaine des réunions où l'on partage, au plus haut niveau, des résultats non encore publiés.
À la différence de la Côte d'Ivoire, la Guinée ne compte que quelque 3 000 ou 4 000 ressortissants français. À la décision de notre ambassadeur, un lycée français y reste ouvert. Les autorités françaises y communiquent avec les entreprises ; une réunion est organisée la semaine prochaine par le MEDEF Afrique. Le coût économique de l'épidémie est en effet évalué à environ 25 ou 30 milliards de dollars, et on cherche à recueillir l'information concernant les grandes entreprises qui ont des employés sur place.
La gestion de la crise par l'OMS a au début été très critiquée. Il y a deux ans, l'organisation avait pris la décision, concernant les pays du Sud, de transférer une partie de son budget dédié aux maladies infectieuses vers les maladies non transmissibles telles que la malnutrition, les maladies cardio-vasculaires ou le cancer. Ce choix stratégique, qui lui a été énormément reproché, n'était pourtant pas dénué de fondement. Face à Ébola, l'OMS a d'abord tardé à réagir ; depuis fin juin, elle se montre cependant très active et s'efforce – contrairement aux anglo-saxons – d'organiser la réponse à la crise dans un large esprit de coopération avec nos collègues du Sud, afin d'assurer un transfert de savoir-faire. En effet, deux centres de traitement américains au Libéria restent à moitié vides ; à quoi servent les annonces et les financements massifs si les dispositifs qu'ils permettent de construire ne sont pas acceptés par les populations locales ? L'aspect sociétal apparaît essentiel ; c'est pourquoi je soumettrai la task force au regard critique des spécialistes en sciences humaines et sociales – anthropologues et géographes – pour éviter de reproduire la mauvaise expérience de l'épidémie de H1N1 où on ne les avait pas suffisamment écoutés. On se soumettra au feu souvent destructeur de leurs questions qui interpellent tant les politiques que les médecins et les chercheurs.
En France, le plan monté par le ministère de la santé apparaît très solide et les hautes autorités de l'État sont extrêmement mobilisées. Cependant, tout plan peut receler une faille ; ainsi, quelque formation que l'on donne aux soignants, on ne peut pas exclure qu'un d'entre eux soit contaminé. Les douze hôpitaux en première ligne sont bien armés ; l'inquiétude concerne davantage les services d'urgence. Voici le message essentiel qu'il faut diffuser : toute personne qui arrive d'Afrique de l'Ouest et qui présente de la température dans les jours qui suivent ne doit se rendre ni aux urgences, ni chez son médecin traitant, mais appeler le 15. À partir de là, le système de santé français est bien préparé à prendre ces cas en charge.
À la demande de la ministre de la santé et du ministre des affaires étrangères, l'EPRUS est présent en Guinée depuis le mois d'avril. Entre mai et juin, il s'est agi de missions de conseil, un réserviste sanitaire – infectiologue ou épidémiologiste – étant envoyé en appui du gouvernement guinéen. Ensuite, cinq réservistes ont mené une action plus pointue à l'hôpital de Conakry. Trois réservistes de l'EPRUS sont également présents en ce moment à l'aéroport de Conakry pour superviser les contrôles sanitaires et épauler les équipes guinéennes. Enfin, douze réservistes – pour le moment en formation complémentaire au sein du centre de MSF – iront animer le centre de Macenta. Cette équipe, complétée par le personnel médical de la Croix-Rouge et des soignants locaux, sera renouvelée toutes les quatre semaines – durée optimale sur place.
Parce que certains d'entre eux manquent soit de qualification soit d'expérience humanitaire, tous les 1 700 réservistes sanitaires de l'EPRUS ne sont pas habilités à aller en Guinée, mais nous travaillons en lien avec l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (APHP), le Groupe d'intérêt public « Ensemble pour une solidarité thérapeutique hospitalière en réseau » (GIP ESTHER), les caisses de retraite – puisqu'on peut faire appel à de jeunes retraités –, la Fédération hospitalière de France (FHF) et d'autres organismes qui sont prêts à nous aider si nous avons besoin de compétences supplémentaires. En effet, le centre de Macenta a vocation à s'inscrire dans la durée pour six ou neuf mois, voire un an.
En matière de financement, lorsqu'il s'agit d'une opération internationale telle que les interventions en Haïti, au Japon ou ailleurs, nos coûts sont en général remboursés par le ministère des affaires étrangères. C'était également le cas pour l'appui au gouvernement guinéen entre avril et juin derniers. En revanche, à partir du mois de septembre, la crise fait l'objet d'un traitement interministériel et la répartition des financements et des remboursements n'a pas encore été arrêtée. Lorsque nous faisons appel à des réservistes sanitaires actifs, nous les envoyons sur le terrain avec l'accord de leur employeur, le centre hospitalier continuant à les payer pendant qu'ils sont en formation ou en mission pour le compte de l'EPRUS ; nous remboursons ensuite à l'établissement de santé la rémunération du réserviste correspondant à la durée de sa mobilisation. Pour les retraités et les libéraux, on s'inspire des grilles de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) qui définissent la rémunération moyenne d'un médecin pour chaque spécialité et secteur géographique.
Au niveau national, dans le cadre du plan mis en place par la direction générale de l'offre de soins et la direction générale de la santé, les douze établissements de santé de référence et tous les centres hospitaliers sièges de SAMU – une centaine en France – ont reçu des directives précises pour se préparer à l'accueil de personnes contaminées, qui leur enjoignent notamment d'effectuer des exercices. L'EPRUS a pour mission d'acquérir et de distribuer tout le matériel nécessaire. Ainsi, nous avons acquis plus de 10 000 tenues de protection – appelées équipements de protection individuelle (EPI) – destinées au personnel soignant, dont une partie a déjà été livrée aux établissements de santé. La dotation est de cinquante tenues par établissement de santé de référence et de cinq tenues par établissement siège de SAMU. Nous gardons l'essentiel du stock national et restons en mesure de livrer, dans des délais très rapides, n'importe quel établissement qui en aurait besoin. Dès le mois d'août, nous avons également acquis le matériel de transport pour les personnes hautement contaminantes ou supposées telles, notamment deux caissons d'isolement – structures en dur, en pression négative, pouvant être installées à l'intérieur de tout moyen de transport : ambulance, hélicoptère ou avion. Nous venons enfin d'équiper tous les établissements de santé de référence, ainsi que les établissements des outre-mer, de housses d'isolement – plus souples et plus faciles à manipuler que les caissons – qui permettent, à l'intérieur du territoire national, de transporter des personnes contaminées ou susceptibles de l'être.
Formés à l'utilisation des caissons et des housses de transport, les réservistes de l'EPRUS interviennent non seulement à l'extérieur, mais aussi sur le territoire national. Une trentaine d'entre eux ont été préparés à aider les établissements de santé de référence qui accueilleraient des personnes contaminées par Ébola. La prise en charge de ces patients étant très consommatrice de moyens humains et génératrice de stress, nos réservistes spécialement entraînés aux techniques d'habillage et de déshabillage sont susceptibles de se rendre, dans des délais très courts, dans un établissement de santé qui en aurait besoin.
Enfin, si un cas d'Ébola survient sur le territoire national, les réservistes de l'EPRUS sont prêts à appuyer l'Institut de veille sanitaire (INVS) ou les ARS pour le suivi des « cas contact », travail qui demande beaucoup de temps puisqu'il implique d'appeler tous les jours les personnes qui ont été en contact avec le malade.
Les effets collatéraux de l'épidémie sur le système de santé des pays touchés sont ambivalents. Ainsi la Guinée, qui connaît habituellement deux épidémies de choléra par an, n'en a-t-elle pas connu cette année, sans doute grâce aux mesures importantes d'hygiène mises en place à Conakry. En revanche, les Guinéens se soignent en effet moins pour d'autres pathologies. Le président Alpha Condé souhaite que le centre de traitement Ébola que MSF a installé au sein du CHU – dispositif phare de la prise en charge de la maladie en Guinée – déménage le plus rapidement possible. On peut comprendre cette volonté : samedi, j'ai trouvé le CHU – habituellement très actif – vide de toute activité, déserté des petits marchands, des patients et des familles. L'hôpital ne fonctionne plus correctement : on n'y vient plus se soigner pour le paludisme, ni chercher ses médicaments. Un autre établissement de la zone – l'hôpital chinois de Kipé, ouvert il y a un peu plus d'un an et pas du tout préparé à accueillir des malades atteints du virus – a fermé car un trop grand nombre de soignants sont décédés d'Ébola.
En matière financière, juste après que notre ambassadeur a signé un contrat de désendettement et de développement (CDD) pour 5 millions d'euros avec le ministère de l'économie et des finances de la République de Guinée, la Croix-Rouge française a signé un contrat de prestation de services du même montant avec le ministère de la santé de ce pays. La cérémonie s'est déroulée sous les auspices de l'Agence française de développement (AFD) qui nous a beaucoup aidés à mettre en place ces deux dispositifs. Vendredi dernier, le cabinet de M. Laurent Fabius nous a fourni la garantie que la Croix-Rouge sera couverte pour l'ensemble des frais qu'occasionnera l'ouverture du centre de Macenta – soit 12 millions d'euros environ –, la différence devant être financée par des crédits de l'État français.
L'équipe arrivée samedi soir à Conakry est composée de personnes d'origine et de profession variée, les hospitaliers y côtoyant les humanitaires de la Croix-Rouge et les logisticiens. Sans savoir qui était qui, j'ai rapidement eu le sentiment d'avoir affaire à une équipe France porteuse d'un excellent état d'esprit – peut-être renforcé par les péripéties du vol qui l'a amenée en Guinée.
À ce propos, les vols d'Air France qui peuvent accueillir entre 230 et 250 passagers sont actuellement occupés par soixante à quatre-vingts personnes ; celui que j'ai pris dimanche soir en comptait quatre-vingt-huit. D'une part, les équipages – actuellement formés de volontaires qu'il convient de féliciter – ont du mal à se constituer ; d'autre part, il n'y a plus assez d'activité économique pour remplir les avions. Maintenir ces vols représente un effort important pour Air France, qu'il faut saluer car sans liaison régulière avec Conakry, nous ne pourrions pas travailler dans de bonnes conditions.
En Côte d'Ivoire, nous gérons des dispensaires à la frontière avec le Libéria et avec la Guinée. Un financement obtenu dans le cadre d'un des objectifs du millénaire pour le développement – l'amélioration de la santé maternelle et infantile – nous a permis de faire progresser le niveau de ces structures et de les équiper pour l'accueil éventuel des cas d'Ébola, en relation avec le ministère de la santé ivoirien. Le président de l'Assemblée nationale s'est récemment rendu en Côte d'Ivoire et a pu constater la mobilisation de ce pays. Si l'épidémie devait passer la frontière, l'inquiétude serait légitime, mais contrairement aux États actuellement touchés, la Côte d'Ivoire s'y prépare.
Au centre de Macenta, le rapport entre les équipes étrangères et locales est d'un à dix : nous y déploierons entre vingt et vingt-cinq expatriés pour deux cents à deux cent cinquante locaux. En effet, nous reprendrons la totalité du personnel actuellement employé par MSF au centre de transit de Macenta qui fermera dès que nous pourrons ouvrir le centre de traitement.
Au nom de la Croix-Rouge française – et j'imagine qu'il en va de même pour le ministère de la santé français et pour l'EPRUS –, nous avons posé comme condition de notre intervention une garantie absolue de rapatriement de notre personnel. Nous avons obtenu l'assurance d'une évacuation sanitaire dans les cinquante heures, ce qui est déjà beaucoup ; nous souhaitons le rapatriement le plus rapide possible, sachant que celui de l'infirmière de MSF Belgique a été un peu long. À ce propos, elle n'a pas été rapatriée par un avion de MSF, mais par un avion affrété. Actuellement nous devons faire appel aux appareils de deux compagnies américaines – dont l'utilisation est soumise à l'autorisation du département d'État des États-Unis – dans lesquels on met un caisson d'isolement. On nous a fait comprendre que les moyens militaires français étaient très limités ; de plus, y recourir impliquerait des vols avec des escales dont il faudrait obtenir l'autorisation. En cas de problème à Macenta – situé à plusieurs heures de route des aéroports de proximité de Guéckédou et de Nzérékoré, deux pistes fonctionnant de manière relativement aléatoire –, nous comptons sur le rapatriement en cinquante heures garanti par notre Gouvernement.
La séance est levée à dix-huit heures dix.