Intervention de Stéphane Mantion

Réunion du 4 novembre 2014 à 16h00
Commission des affaires sociales

Stéphane Mantion, directeur général de la Croix-Rouge :

J'espère n'inquiéter personne en vous disant que je suis rentré hier matin de Conakry. Depuis, je prends ma température matin et soir, comme il faut. Les autorités guinéennes doivent être saluées pour leur effort et leur sérieux : au départ de Conakry, j'ai été testé trois fois, selon une règle qui fonctionne très bien et qui est appliquée pour tous les vols, vers d'autres pays d'Afrique ou vers l'Europe – cette dernière catégorie ne comptant plus que le vol quotidien et à peu près régulier d'Air France, le vol hebdomadaire de Brussels Airlines vers Bruxelles et quelques vols de Royal Air Maroc qui permettent de rejoindre l'Europe par Casablanca. On vous prend la température une première fois par caméra thermique, lorsque vous pénétrez dans l'aérogare ; puis des médecins et infirmiers guinéens le font une deuxième fois à l'aide d'un ThermoFlash. On vous fait remplir un questionnaire de santé – lu et tamponné par un médecin – où il faut avoir répondu « non » à toutes les questions : ne pas avoir passé un trop long moment en compagnie de malades, ne pas avoir mangé de la viande de brousse, ne pas avoir été pris de vertiges ou de température durant les vingt-quatre heures qui ont précédé le vol. La compagnie Air France garde ce questionnaire en échange de votre carte d'embarquement sur laquelle on indique votre température prise pour une troisième fois en passerelle. La Guinée offre ainsi un exemple de l'effort rapide pour rompre l'isolement qui conduit toujours – on l'a constaté sur bien des cas de pays atteints de ce type d'épidémies – à une catastrophe économique, politique et sanitaire. Côté Paris, à la demande de la zone de défense et de sécurité et de l'ARS Île-de-France, le dispositif de prise de température est assuré par les secouristes de la Croix-Rouge française.

Le 24 septembre dernier, le ministre des affaires étrangères nous a confié la gestion du centre de traitement Ébola de Macenta. Le professeur Delfraissy a rappelé la difficulté de l'opération dans cette zone de Guinée forestière à plusieurs jours de route de Conakry. La piste d'atterrissage de Macenta reste pour l'instant peu utilisable, ce qui pose des problèmes pour l'installation du laboratoire de l'Institut Pasteur qui nécessite un transport de matériel lourd dans les meilleurs délais. Pour répondre à la commande de l'État, la société nationale de la Croix-Rouge – qui est une auxiliaire des pouvoirs publics et non une ONG – utilisera l'ensemble des moyens mis à sa disposition et assumera un rôle de coordination. Deux tiers des équipes que j'ai accueillies samedi soir à Conakry viennent ainsi de l'EPRUS, le tiers restant étant composé du personnel de la Croix-Rouge française habitué aux missions humanitaires classiques en situation de catastrophes ou de conflits armés. Nous devrons également organiser toute la logistique, de l'approvisionnement en médicaments à l'installation d'une base vie dans une région hostile. Il a par exemple fallu s'assurer que la fourniture en électricité était parfaite car les machines de l'Institut Pasteur doivent bénéficier d'une très bonne qualité de courant.

Nous réfléchissons aux moyens de redonner confiance à la population car comme l'a rappelé le professeur Delfraissy, sa méfiance envers les autorités sanitaires du pays et plus encore envers des humanitaires étrangers et blancs constitue une véritable difficulté. Forécariah – importante ville au nord de Conakry, frontalière de la Sierra Leone, où l'on envisage d'installer un centre de soins plus léger que celui de Macenta – abrite aujourd'hui un centre de transit inauguré il y a quelques semaines par notre ambassadeur ; ce centre est vide car les autorités sanitaires de la région n'arrivent pas à pénétrer dans les villages où on leur indique des cas probables d'Ébola. L'État s'abstient pour l'instant des mesures autoritaires ou militaires, bien que le président Alpha Condé ait souhaité renforcer l'obligation au signalement des cas probables et à leur isolement en centre de transit. On comprend la réticence de la population à s'y faire orienter : alors qu'on ne dispose pas pour l'instant de solution thérapeutique, le taux de létalité y est très élevé – 80 %, soit le double de ce qu'on pourrait obtenir si l'on réhydratait les patients dans les jours suivant la première suspicion de contamination.

La Croix-Rouge française fait partie d'un mouvement international important qui comprend, au niveau mondial, 189 sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. La société nationale guinéenne est très active, et nous l'avons soutenue dès l'apparition des premiers cas au mois de mars dernier. À la sollicitation du quai d'Orsay – et sur un budget du ministère des affaires étrangères –, nous sommes allés former nos collègues locaux qui paient un très lourd tribut à la maladie puisqu'ils s'occupent de la désinfection des maisons et des familles touchées, de la récupération et de l'inhumation des corps. Nous leur avons fourni le matériel roulant – des pick-up – pour effectuer ce travail. Parmi les exemples de difficulté culturelle que soulève l'aide internationale, les sacs mortuaires de couleur noire sont inutilisables en Guinée où la couleur du deuil est le blanc ; l'organisme international très connu qui les a fournis connaît normalement les coutumes locales et ne devrait pas faire ce genre d'erreur qui fait perdre du temps et prendre des risques aux équipes de la Croix-Rouge obligées de travailler avec un matériel non adapté. Nos collègues guinéens continuent cette mission et nous continuerons à les soutenir.

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