Intervention de Guillaume Drago

Réunion du 12 novembre 2014 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Guillaume Drago, professeur à l'université Panthéon-Assas Paris II :

En tant qu'officier de réserve, je voudrais que mon intervention soit également une expression du lien armée-Nation.

Je m'efforcerai dans un premier temps de présenter la problématique mise en jeu par les deux arrêts de la Cour EDH, puis, dans un deuxième temps, d'en tirer les conséquences pour la France et de livrer mon analyse de cette jurisprudence et des questions de constitutionnalité qu'elle emporte.

Comme l'a rappelé mon collègue Olivier Gohin, l'article L. 4121-4 du code de la défense dispose que les groupements professionnels militaires à caractère syndical sont « incompatibles avec les règles de la discipline militaire ». L'article 11 de la CEDH établit quant à lui le principe de la liberté de réunion et d'association, lequel comprend la liberté de fonder un syndicat ou de s'y affilier, mais il admet, en son alinéa 2, des restrictions à ce droit. Les dispositions du code de la défense sont-elles en contradiction avec cet article ?

N'oublions pas que le Conseil d'État les a déjà jugées légitimes au sens de l'article 11 dans un arrêt du 11 décembre 2008 – Association de défense des droits des militaires – et un arrêt de section du 26 février 2010 concernant M. Jean-Hugues Matelly, chef d'escadron de la gendarmerie nationale, et énonçant que, « eu égard aux exigences qui découlent de la discipline militaire et des contraintes inhérentes à l'exercice de leur mission par les forces armées, les dispositions précitées de l'article L. 4121-4 du code de la défense, qui ne font en rien obstacle à ce que les militaires adhèrent à d'autres groupements que ceux qui ont pour objet la défense de leurs intérêts professionnels, constituent des restrictions légitimes au sens de ces stipulations de l'article 11 ». Ce sont ces arguments que la Cour européenne des droits de l'homme vient de dénoncer dans les deux arrêts du 2 octobre 2014.

Leur contenu ayant été détaillé par mon collègue, je m'attarderai sur l'opinion séparée formulée par le juge De Gaetano, à laquelle se rallie la juge Power-Forde. Selon le juge De Gaetano, « l'article L. 4121.4 du code de la Défense et la jurisprudence du Conseil d'État (…) ont en pratique pour effet combiné de proscrire totalement tous les groupes professionnels ou associations de membres de la gendarmerie (…), car ils sont ipso facto regardés comme des groupements ou associations “à caractère syndical” ». Selon lui, « il y a là effectivement une interdiction large et générale qui vide de sa substance même le droit pour les membres de la gendarmerie de s'organiser de manière à promouvoir et défendre leurs intérêts », et il fait référence à la jurisprudence « Demir et Baykam contre Turquie » de 2008.

Pour autant, ajoute-t-il, on ne doit pas « interpréter les paragraphes 56 à 58 de l'arrêt, et surtout le paragraphe 70, comme signifiant que les membres des forces armées ou de la police (…) ont nécessairement le droit de former un syndicat ou d'y adhérer ».

Remarquant qu'« il est très difficile, sinon impossible, de concilier l'action revendicative et les rôles et fonctions des membres des forces armées et des forces de police », le juge souligne que « le droit de former un syndicat et d'y adhérer n'est pas un droit spécial et indépendant : il ne s'agit que d'un aspect du droit plus large à la liberté d'association garanti par l'article 11 § 1. L'expression “pour la défense de ses intérêts” tout à la fin de l'article 11 § 1 renvoie à la finalité particulière d'une association de ce type, à savoir protéger les intérêts professionnels ou sociaux de ses membres, et aide à distinguer celle-ci, généralement appelée “syndicat”, des autres associations de nature politique, religieuse, sociale, académique, philanthropique, etc. Autrement dit, ce qui est important, ce n'est pas la dénomination de telle ou telle association (…), mais sa fonction et sa capacité à gérer les intérêts professionnels ou sociaux de ses membres.

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