Intervention de Gérard Cherpion

Séance en hémicycle du 20 novembre 2014 à 21h30
Désignation des conseillers prud'hommes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérard Cherpion :

Rien n’y a fait, vous avez parfaitement raison. Mais nous aurions également pu réfléchir au mode de scrutin des élections prud’homales ou à la concordance de ces élections avec les élections professionnelles qui, elles, ont lieu tous les quatre ans. J’ai d’ailleurs bien noté, monsieur le ministre, la proposition que vous vous apprêtez à faire sur ce dernier point. Tout cela permettrait certainement une plus grande participation, et serait possible et souhaitable, et pourtant, le Gouvernement a choisi l’urgence et les ordonnances.

Les condamnations de la France pour non-respect du délai raisonnable prévu par l’article 6, alinéa 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont souvent mises en avant pour justifier cette réforme. Pourtant, les délais observés sont rarement de la responsabilité des juges prud’homaux.

La première raison de la lenteur des procédures est le manque de moyens humains et matériels. À l’heure actuelle, les conseils prud’homaux sont déficitaires de plus de deux cents greffiers, qui ont souvent été transférés vers les tribunaux civils. Or, sans greffier, les séances ne peuvent avoir lieu. Le nombre de juges départiteurs est lui aussi bien trop faible. De plus, lors d’ajouts de séances, les disponibilités de salles d’audience sont rares, et les audiences ne peuvent donc se tenir.

La seconde raison tient aux parties, qui souvent ne se présentent pas avec toutes les pièces, voire ne se présentent pas du tout aux audiences, ce qui entraîne de fait le report des jugements. Je crois savoir que la loi Macron prévoit un certain nombre de mesures sur le sujet.

Avec le projet actuel, vous supprimez la légitimité du juge, non seulement parce qu’il ne sera plus élu, mais aussi parce que sa base électorale se rétracte.

Jusqu’à maintenant, les juges prud’homaux, côté salarial, étaient élus par un collège de 19 millions d’électeurs représentants tous les actifs, y compris les demandeurs d’emploi. Même si le taux d’inscription sur les listes électorales des demandeurs d’emploi était faible, ils avaient la possibilité de voter. Si cette loi est adoptée, seuls les salariés seront pris en compte à travers les voix qu’ils apportent aux syndicats salariaux, ce qui exclura de la base électorale près de 5 millions de personnes.

L’argument selon lequel les résultats aux élections prud’homales pourraient être différents des résultats d’audience, et donc être source de contestations entre les syndicats, ne paraît par ailleurs pas fondé. Les partis politiques, par exemple, obtiennent des scores différents en fonction de chacune des élections et du moment. Certains peuvent être considérés comme prééminents à un moment donné puis s’effondrer à d’autres : cela n’obère pas pour autant le fonctionnement de notre démocratie. Il en est de même pour la démocratie sociale.

Enfin, en ce qui concerne la répartition des sièges, et donc la mesure d’audience : comment sera-t-elle calculée ? Sur quel périmètre ? Sera-t-il possible de le faire au plus près du terrain ? Au niveau d’un bassin d’emploi, d’une cour d’appel, d’un département, d’une région ?

La logique voudrait une mesure d’audience et donc une répartition des sièges au plus proche du terrain, par exemple à l’échelle des départements. Pourtant la plupart des départements vont être supprimés dans quelques années. Nous pourrions alors penser à la région, mais selon quel découpage ? Celui qui vient d’être adopté par notre Assemblée ? Dans ce cas, les circonscriptions seraient beaucoup trop larges, et l’élection n’aurait plus beaucoup de sens.

Un problème supplémentaire se pose s’agissant de la comptabilisation des votes aux élections professionnelles et de la mesure de l’audience. Dans certains groupes nationaux, les votes des salariés sont pris en compte au niveau du siège. Le vote d’un salarié travaillant sur le site lorrain d’un grand groupe alimentaire, par exemple, pourra être comptabilisé à Saint-Étienne.

En ce qui concerne la formation, toutes les organisations syndicales et patronales sont favorables à une meilleure formation des conseillers prud’homaux. Mais toutes sont opposées à la proposition actuelle parce que le terme de formation initiale n’a pas vraiment de sens en l’espèce – rien n’empêche de le modifier, il est vrai –, et parce qu’ils souhaitent un tronc commun de formation pour les salariés et les employeurs.

Par ailleurs, ils redoutent la formation à l’École nationale de la magistrature. Malgré toutes les qualités des formations dispensées par l’ENM, et malgré les bonnes intentions du Gouvernement d’en faire bénéficier les conseillers prud’hommes, je crains que cette grande institution n’ait pas les moyens, tant humains que matériels, de former les 14 500 juges prud’homaux.

Enfin, les juges prud’homaux, qu’ils soient salariés ou employeurs, auront-ils la possibilité de s’absenter de leur entreprise pour suivre une telle formation ?

Nous assistons dans le même temps à une professionnalisation et à une judiciarisation de la justice prud’homale. Les juges seront bientôt soumis à un code de déontologie, ce qui est justifié ; ils seront formés à l’École nationale de la magistrature ; et c’est le ministère de la justice qui présentera les dispositions relatives à la prud’homie du projet de loi Macron. Or tous les partenaires sociaux se sont dits attachés au caractère paritaire du conseil des prud’hommes, issu de l’entreprise et destiné aux acteurs de l’entreprise.

La comparaison que j’ai déjà évoquée avec les tribunaux des affaires de Sécurité sociale nous laissent penser que le Gouvernement s’engage dans la voie de l’échevinage. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous indiquer les intentions du Gouvernement ? Le caractère unique des prud’hommes, sur lequel vous avez insisté dès la première phrase de votre intervention, sera-t-il préservé ? Resteront-ils sous la responsabilité du ministère du travail, ou seront-ils du ressort du ministère de la justice ?

Enfin, l’article 2 de ce projet de loi prévoit un nouveau report de l’élection des conseils de prud’hommes. Il était nécessaire en l’absence de décisions prises depuis deux ans, mais il ne sera pas sans conséquence. Il existe actuellement des sections de prud’hommes qui ne peuvent plus siéger en raison de l’épuisement des listes. Certains renouvellements ne peuvent avoir lieu : en cas de vacance d’un conseiller, et en l’absence du suivant sur la liste, il est en effet impossible, faute d’une démission du précédent, de désigner la personne venant à la suite. De même, certains juges doivent exercer leur responsabilité dans d’autres sections que celle dans laquelle ils ont été élus.

Je rappelle que les juges prud’homaux sont actuellement élus pour cinq ans, et sont en place depuis 2008. Leur mandat été reconduit en 2013 pour deux ans, et une nouvelle fois prorogé jusqu’en 2017. Il aurait été nécessaire de prévoir un système de renouvellement partiel – une question qui pourrait d’ailleurs soulever un autre problème de constitutionnalité.

Monsieur le ministre, si nous ne remettons pas en cause le principe même de la réforme, la méthode et les moyens utilisés, tant sur le fond que sur la forme, nous amèneront à voter contre ce texte.

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