Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de nous recevoir afin d'aborder devant vous le projet de loi de finances pour 2015 et ses applications pour le ministère de la Défense et ses personnels civils.
Fidèle à ses principes et opposée à toute idée de cogestion, Force ouvrière ne portera pas de jugement sur la politique de défense de la France, qui relève avant tout de votre responsabilité et de celle, en premier lieu, du chef de l'État.
Nous relevons que, comme c'est le cas depuis quelques années, ce budget est équilibré grâce aux recettes exceptionnelles, ce que d'aucuns qualifieraient de tour de passe-passe budgétaire, dans la mesure où, par définition, aucune garantie ne peut être apportée quant à leur réalisation et leur affectation.
Il est toujours un peu étrange de fixer le niveau de ces recettes à 2,3 milliards d'euros en 2015 alors qu'elles sont issues de ventes aux enchères de fréquences et de cessions d'emprises immobilières. En d'autres termes, alors qu'on ne sait ni ce qu'on vendra ni combien, on affecte toutefois 2,3 milliards d'euros au budget 2015. Nous ne sommes pas des spécialistes de la construction budgétaire : avouez néanmoins qu'il est légitime de s'interroger, voire de s'inquiéter.
Or, alors que nous faisons part de nos craintes sur le sujet, le ministre de la Défense, lors de la présentation du projet de loi de finances pour 2015 aux organisations syndicales, nous annonce son projet de création de sociétés privées à capitaux d'État qui acquerraient des matériels aux armées pour ensuite les leur louer jusqu'à leur acquisition. Ce serait, selon le ministre, de la « propriété différée ».
Au-delà du fait que même les gouvernements les plus libéraux de ce pays n'ont pas osé y penser, ce projet suscite pour notre organisation quelques interrogations. D'une part, chacun sait ici qu'une société à 100 % capitaux d'État peut ouvrir son capital au secteur privé : il suffit que vous le décidiez par voie législative – plusieurs exemples existent en la matière. D'autre part, nous comprenons fort bien que, dans ce cadre, le maintien en condition opérationnelle (MCO) serait assuré par la ou lesdites sociétés. En vérité, ce projet n'est qu'une externalisation de l'acquisition et de l'entretien de matériels qui ne dit pas son nom : il ne peut dès lors recueillir en aucun cas notre assentiment.
Ce n'est pas d'un concours d'idées prétendument innovantes que notre ministère a besoin, mais d'un budget lui permettant d'assurer ses missions et les ambitions de la France sur la scène internationale.
Même si nous nous félicitons de la légère progression des crédits d'équipement, tant ils conditionnent, d'une part, le niveau d'efficacité de nos armées et de protection de nos soldats sur les théâtres d'opération, et, d'autre part, la préservation de milliers d'emplois dans l'industrie de l'armement, il n'en demeure pas moins que l'équilibre est précaire. À ce titre, nous avons à plusieurs reprises évoqué devant vous la politique d'infrastructure du ministère et l'utilisation des crédits qui y sont consacrés. Alors que les conditions de vie et de travail des agents, militaires et civils, sont trop souvent déplorables du fait de l'état de délabrement des locaux, il serait grand temps que le ministère ait une vraie vision à moyen et long termes de son organisation, ce qui éviterait d'engager des opérations extrêmement coûteuses pour une ou deux années. Ainsi, était-il nécessaire, mesdames et messieurs les députés, d'engager 23 millions d'euros – plus 800 000 euros pour la rénovation de la villa du général – dans la construction de locaux pour installer le commandement des forces aériennes à Dijon, après la fermeture de la base aérienne de Metz voilà moins de deux ans, alors que ladite base de Dijon ferme à son tour et que le commandement des forces aériennes s'installe à Bordeaux ?
Des exemples de ce type, mesdames et messieurs les députés, nous en avons, hélas, trop souvent : ils démontrent le manque de visibilité criant dont souffrent le ministère de la Défense et nos armées. Il n'est pas rare aujourd'hui de découvrir que certaines unités du service d'infrastructure de la défense (SID) n'arrivent pas à engager la totalité des crédits dont elles disposent par manque d'effectifs. En effet, pour passer des marchés et suivre les travaux, il faut des agents compétents, notamment surveillants de chantier, ce dont nous manquons cruellement depuis la révision générale des politiques publiques (RGPP), et il y a fort à parier que la loi de programmation militaire et ses 24 000 suppressions de postes aggraveront encore la situation. En termes moins choisis, on appelle cela marcher sur la tête.
Force ouvrière le dit depuis plusieurs années : nous avons un problème de gouvernance des crédits d'infrastructure et il est plus que temps d'y apporter des solutions.
S'agissant toujours des crédits d'équipement, nous voulons appeler votre attention sur nos capacités en matière de maintien en condition opérationnelle, tant aéronautique que terrestre. Même si les reprises d'embauches d'ouvriers de l'État, qu'il faut péniblement arracher à Bercy chaque année, apporte une petite bouffée d'oxygène au service industriel de l'aéronautique (SIAé), celles-ci sont sans commune mesure avec ce qu'il conviendrait de faire pour assurer la pérennité du service. En cinq ans, la part du SIAé dans le MCO aéronautique est passée de 29 à 23 %, et ne cessera de décroître si on ne permet pas au service d'assurer de nouvelles charges. Tous louent les compétences du SIAé en matière de maintenance de matériels vieillissants, en oubliant que si le SIAé a acquis cette expertise, c'est parce qu'il a entretenu ces matériels lorsqu'ils étaient neufs. Cela doit conduire à prendre rapidement les décisions qui s'imposent en positionnant le SIAé comme acteur majeur du MCO de matériels tels que l'A400M ou le MRTT. Nous ne voulons pas croire que les armées veuillent confier la totalité de leur MCO au secteur privé, même si certains ex-généraux sont d'excellents VRP au service des industriels du secteur – que voulez-vous, il arrive parfois que l'on oublie d'où l'on vient…
La problématique pour le MCO terrestre est encore plus criante, tant le manque d'effectifs conduira inévitablement, si rien n'est fait, à une externalisation massive. C'est la raison pour laquelle Force ouvrière demande depuis plusieurs années qu'un débat soit rapidement initié sur l'avenir du MCO. Il n'est pas acceptable que, gouvernement après gouvernement, les ministres successifs laissent la situation s'aggraver sans même engager la moindre discussion avec les organisations syndicales sur le sujet. En MCO comme pour d'autres dossiers, posons les constats, définissons les missions, établissons les besoins et donnons-nous les moyens d'assurer aux armées la maintenance de leurs matériels. Et ce besoin criant en personnels hautement qualifiés que sont les ouvriers de l'État existe dans les secteurs d'activité liés à l'armement, y compris à la DGA. Il est dommage que celle-ci n'en ait malheureusement pas conscience ou ait abandonné le sujet.
Quant aux crédits liés aux personnels prévus dans le PLF pour 2015, permettez-moi de vous dire qu'on atteint des sommets dans le manque de reconnaissance et, pour tout dire, le mépris envers les agents de ce ministère. Alors qu'ils auront subi en dix ans la suppression de près de 80 000 postes, la fermeture de nombreux établissements, des réorganisations et d'autres rationalisations, dont la cohérence est parfois sujette à caution, alors qu'ils subissent le gel de leur salaire depuis cinq ans, ce ministère en rajoute en divisant quasiment par trois les crédits alloués à la revalorisation de la condition des personnels civils – 9,9 millions d'euros en 2015 contre 24 millions en 2012 !
Ces crédits permettent en partie d'atténuer les effets des blocages de salaires par un régime indemnitaire et de mettre en place des mesures de requalification nécessaires à la reconnaissance des qualifications et des compétences des agents. Nous comprenons pourquoi un plan de requalification de la filière administrative promis par le ministre en 2013 nous est refusé aujourd'hui.
Il en est de même pour les crédits de l'action sociale, qui passent de 92, 7 millions d'euros en 2014 à 88, 3 millions en 2015.
Mesdames et messieurs les députés, nous aurions pu aborder dans cette déclaration tous les sujets qui inquiètent aujourd'hui les personnels civils, notamment l'annonce de fermetures d'établissements tels que l'hôpital d'instruction des armées du Val-de-Grâce. Cette déclaration est volontairement courte afin que nous puissions répondre à toutes vos questions.