La séance est ouverte à onze heures.
Mes chers collègues, je suis heureux d'accueillir les représentants des syndicats des personnels civils de la défense, auxquels je souhaite la bienvenue.
Mesdames, et messieurs, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser la présidente Patricia Adam, malheureusement retenue dans sa circonscription.
Ce rendez-vous annuel est l'occasion pour nous tous d'avoir avec vous des échanges toujours fructueux. Nous souhaitons donc que vous nous fassiez part non seulement de vos avis sur le projet de loi de finances pour 2015 mais également, plus généralement, de vos préoccupations actuelles. Je ne doute pas que la question des conséquences de deux arrêts récents de la CEDH sera abordée.
Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de nous recevoir afin d'aborder devant vous le projet de loi de finances pour 2015 et ses applications pour le ministère de la Défense et ses personnels civils.
Fidèle à ses principes et opposée à toute idée de cogestion, Force ouvrière ne portera pas de jugement sur la politique de défense de la France, qui relève avant tout de votre responsabilité et de celle, en premier lieu, du chef de l'État.
Nous relevons que, comme c'est le cas depuis quelques années, ce budget est équilibré grâce aux recettes exceptionnelles, ce que d'aucuns qualifieraient de tour de passe-passe budgétaire, dans la mesure où, par définition, aucune garantie ne peut être apportée quant à leur réalisation et leur affectation.
Il est toujours un peu étrange de fixer le niveau de ces recettes à 2,3 milliards d'euros en 2015 alors qu'elles sont issues de ventes aux enchères de fréquences et de cessions d'emprises immobilières. En d'autres termes, alors qu'on ne sait ni ce qu'on vendra ni combien, on affecte toutefois 2,3 milliards d'euros au budget 2015. Nous ne sommes pas des spécialistes de la construction budgétaire : avouez néanmoins qu'il est légitime de s'interroger, voire de s'inquiéter.
Or, alors que nous faisons part de nos craintes sur le sujet, le ministre de la Défense, lors de la présentation du projet de loi de finances pour 2015 aux organisations syndicales, nous annonce son projet de création de sociétés privées à capitaux d'État qui acquerraient des matériels aux armées pour ensuite les leur louer jusqu'à leur acquisition. Ce serait, selon le ministre, de la « propriété différée ».
Au-delà du fait que même les gouvernements les plus libéraux de ce pays n'ont pas osé y penser, ce projet suscite pour notre organisation quelques interrogations. D'une part, chacun sait ici qu'une société à 100 % capitaux d'État peut ouvrir son capital au secteur privé : il suffit que vous le décidiez par voie législative – plusieurs exemples existent en la matière. D'autre part, nous comprenons fort bien que, dans ce cadre, le maintien en condition opérationnelle (MCO) serait assuré par la ou lesdites sociétés. En vérité, ce projet n'est qu'une externalisation de l'acquisition et de l'entretien de matériels qui ne dit pas son nom : il ne peut dès lors recueillir en aucun cas notre assentiment.
Ce n'est pas d'un concours d'idées prétendument innovantes que notre ministère a besoin, mais d'un budget lui permettant d'assurer ses missions et les ambitions de la France sur la scène internationale.
Même si nous nous félicitons de la légère progression des crédits d'équipement, tant ils conditionnent, d'une part, le niveau d'efficacité de nos armées et de protection de nos soldats sur les théâtres d'opération, et, d'autre part, la préservation de milliers d'emplois dans l'industrie de l'armement, il n'en demeure pas moins que l'équilibre est précaire. À ce titre, nous avons à plusieurs reprises évoqué devant vous la politique d'infrastructure du ministère et l'utilisation des crédits qui y sont consacrés. Alors que les conditions de vie et de travail des agents, militaires et civils, sont trop souvent déplorables du fait de l'état de délabrement des locaux, il serait grand temps que le ministère ait une vraie vision à moyen et long termes de son organisation, ce qui éviterait d'engager des opérations extrêmement coûteuses pour une ou deux années. Ainsi, était-il nécessaire, mesdames et messieurs les députés, d'engager 23 millions d'euros – plus 800 000 euros pour la rénovation de la villa du général – dans la construction de locaux pour installer le commandement des forces aériennes à Dijon, après la fermeture de la base aérienne de Metz voilà moins de deux ans, alors que ladite base de Dijon ferme à son tour et que le commandement des forces aériennes s'installe à Bordeaux ?
Des exemples de ce type, mesdames et messieurs les députés, nous en avons, hélas, trop souvent : ils démontrent le manque de visibilité criant dont souffrent le ministère de la Défense et nos armées. Il n'est pas rare aujourd'hui de découvrir que certaines unités du service d'infrastructure de la défense (SID) n'arrivent pas à engager la totalité des crédits dont elles disposent par manque d'effectifs. En effet, pour passer des marchés et suivre les travaux, il faut des agents compétents, notamment surveillants de chantier, ce dont nous manquons cruellement depuis la révision générale des politiques publiques (RGPP), et il y a fort à parier que la loi de programmation militaire et ses 24 000 suppressions de postes aggraveront encore la situation. En termes moins choisis, on appelle cela marcher sur la tête.
Force ouvrière le dit depuis plusieurs années : nous avons un problème de gouvernance des crédits d'infrastructure et il est plus que temps d'y apporter des solutions.
S'agissant toujours des crédits d'équipement, nous voulons appeler votre attention sur nos capacités en matière de maintien en condition opérationnelle, tant aéronautique que terrestre. Même si les reprises d'embauches d'ouvriers de l'État, qu'il faut péniblement arracher à Bercy chaque année, apporte une petite bouffée d'oxygène au service industriel de l'aéronautique (SIAé), celles-ci sont sans commune mesure avec ce qu'il conviendrait de faire pour assurer la pérennité du service. En cinq ans, la part du SIAé dans le MCO aéronautique est passée de 29 à 23 %, et ne cessera de décroître si on ne permet pas au service d'assurer de nouvelles charges. Tous louent les compétences du SIAé en matière de maintenance de matériels vieillissants, en oubliant que si le SIAé a acquis cette expertise, c'est parce qu'il a entretenu ces matériels lorsqu'ils étaient neufs. Cela doit conduire à prendre rapidement les décisions qui s'imposent en positionnant le SIAé comme acteur majeur du MCO de matériels tels que l'A400M ou le MRTT. Nous ne voulons pas croire que les armées veuillent confier la totalité de leur MCO au secteur privé, même si certains ex-généraux sont d'excellents VRP au service des industriels du secteur – que voulez-vous, il arrive parfois que l'on oublie d'où l'on vient…
La problématique pour le MCO terrestre est encore plus criante, tant le manque d'effectifs conduira inévitablement, si rien n'est fait, à une externalisation massive. C'est la raison pour laquelle Force ouvrière demande depuis plusieurs années qu'un débat soit rapidement initié sur l'avenir du MCO. Il n'est pas acceptable que, gouvernement après gouvernement, les ministres successifs laissent la situation s'aggraver sans même engager la moindre discussion avec les organisations syndicales sur le sujet. En MCO comme pour d'autres dossiers, posons les constats, définissons les missions, établissons les besoins et donnons-nous les moyens d'assurer aux armées la maintenance de leurs matériels. Et ce besoin criant en personnels hautement qualifiés que sont les ouvriers de l'État existe dans les secteurs d'activité liés à l'armement, y compris à la DGA. Il est dommage que celle-ci n'en ait malheureusement pas conscience ou ait abandonné le sujet.
Quant aux crédits liés aux personnels prévus dans le PLF pour 2015, permettez-moi de vous dire qu'on atteint des sommets dans le manque de reconnaissance et, pour tout dire, le mépris envers les agents de ce ministère. Alors qu'ils auront subi en dix ans la suppression de près de 80 000 postes, la fermeture de nombreux établissements, des réorganisations et d'autres rationalisations, dont la cohérence est parfois sujette à caution, alors qu'ils subissent le gel de leur salaire depuis cinq ans, ce ministère en rajoute en divisant quasiment par trois les crédits alloués à la revalorisation de la condition des personnels civils – 9,9 millions d'euros en 2015 contre 24 millions en 2012 !
Ces crédits permettent en partie d'atténuer les effets des blocages de salaires par un régime indemnitaire et de mettre en place des mesures de requalification nécessaires à la reconnaissance des qualifications et des compétences des agents. Nous comprenons pourquoi un plan de requalification de la filière administrative promis par le ministre en 2013 nous est refusé aujourd'hui.
Il en est de même pour les crédits de l'action sociale, qui passent de 92, 7 millions d'euros en 2014 à 88, 3 millions en 2015.
Mesdames et messieurs les députés, nous aurions pu aborder dans cette déclaration tous les sujets qui inquiètent aujourd'hui les personnels civils, notamment l'annonce de fermetures d'établissements tels que l'hôpital d'instruction des armées du Val-de-Grâce. Cette déclaration est volontairement courte afin que nous puissions répondre à toutes vos questions.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, l'année 2014 est au carrefour d'enjeux sensibles et souvent contradictoires pour la défense, entre, d'une part, les menaces qui, en se développant et se complexifiant, appellent à renforcer les moyens techniques et humains de nos armées, et, d'autre part, les questions budgétaires qui rendent l'exercice de définition du PLF pour 2015 particulièrement difficile.
Si nous regardons le document présenté par le ministre, toutes les commandes et livraisons de matériels semblent préservées : tel n'est pas le cas en revanche du traitement social des personnels.
Le projet de loi s'inscrit, selon le ministre, dans la mise en oeuvre du Livre blanc de 2013 et de la loi de programmation militaire 2014-2019, qui a l'ambition de concilier, sur le long terme, notre autonomie stratégique et notre souveraineté budgétaire. Ce sont les mots du ministre. La CFDT privilégie une formule inverse en mettant l'autonomie budgétaire au service de la souveraineté stratégique.
La recherche effrénée d'économies, qui a sapé les moyens, les compétences et même le moral des troupes civiles et militaires, a servi de cap à la définition du nouveau modèle de défense, quoi qu'on en dise.
Ce modèle d'armée repose sur la capacité à faire face à la triple mission de la protection du territoire et de la population, de la dissuasion nucléaire contre les menaces visant nos intérêts vitaux et de l'intervention au titre de notre sécurité extérieure et de nos responsabilités internationales.
Après l'Ukraine, le Sahel et l'action contre le terrorisme islamiste au Moyen-Orient et ailleurs, les enjeux géostratégiques deviennent un casse-tête pour la France, alors que l'Europe n'a toujours pas défini de politique extérieure commune. L'Europe de la défense sur le plan politique n'est pas pour demain.
Il faut donc assurer notamment la protection des intérêts français. Or, face notamment au phénomène glissant de la piraterie maritime, protéger nos intérêts dans le deuxième espace maritime au monde relève de la gageure. En témoignent les moyens accordés à la marine nationale pour la mission de surveillance dans l'océan Indien et le récent incendie de la frégate de surveillance Nivôse.
Le fait que cette frégate soit hors service pour un bon moment est un coup dur pour la marine nationale en cette période de disette budgétaire. La Réunion est d'ailleurs l'une des zones où l'état de la flotte est le plus préoccupant, ce qui met en lumière le caractère vieillissant des unités basées dans cette partie de l'océan Indien.
Les marins basés à La Réunion font avec les moyens du bord pour remplir leurs nombreuses missions, dont certaines revêtent plus que jamais un caractère stratégique. Les opérations couvrent une zone qui s'étend du nord de l'océan Indien, en vue de protéger le trafic commercial de la piraterie et du terrorisme, jusqu'à l'océan Austral, où il faut faire respecter la souveraineté française autour des archipels de Kerguelen, Crozet et Saint-Paul et Amsterdam. Ces territoires offrent une zone économique exclusive aussi immense que convoitée pour ses ressources, notamment halieutiques. La marine nationale doit également veiller sur les îles Éparses et une bonne partie du canal du Mozambique jusqu'au nord de Madagascar. L'écosystème remarquable et le sous-sol marin abritent des réserves d'hydrocarbures et de gaz qui se révéleront cruciales dans l'avenir. Pour protéger son territoire et les richesses qui s'y trouvent, la France doit disposer de moyens suffisants, ce qui n'est clairement pas le cas aujourd'hui.
J'ai pris l'exemple de la marine ; d'autres illustreraient les carences existant dans les autres armées. Les cache-misère ne tiennent plus.
À la défense, tout est vieillissant : les matériels, les compétences et les personnels. Si le rayonnement de la défense française tient à l'héritage, aux investissements du passé et à l'effort permanent des femmes et des hommes qui la composent, le renouvellement insuffisant, en termes de recrutements ou de R & D, gage la défense de demain.
Le ministre a présenté les programmes d'équipement qui seront lancés d'ici à la fin 2014 : Scorpion, dans le domaine du combat terrestre, le MRTT, dans le cadre du renouvellement de la capacité de ravitaillement en vol, le missile balistique M51 pour le développement d'une nouvelle version, et le Barracuda, pour la commande du quatrième sous-marin.
Le PLF pour 2015 intègre l'arrivée d'avions A400M, d'hélicoptères NH90 et Tigre, d'avions Rafale, une frégate multimission FREMM et les derniers VBCI : 2015 est donc une année importante pour le renouvellement de nos capacités.
Or, dans le même temps, le ministre de la Défense nous apprend le lancement d'une nouvelle initiative pour pallier le manque de recettes exceptionnelles et gérer un lissage du budget : il est décidé à lancer une ou plusieurs sociétés de projets, qui lui permettront de dégager de nouvelles marges de manoeuvre financières. Cette opération compenserait l'absence en 2015 du produit de la vente des fréquences, soit 2,1 milliards d'euros. Abondée par les cessions de participations de l'État dans des entreprises publiques, la société de projet achètera des équipements aux industriels et les mettra à disposition des armées contre un loyer.
Pour certains, c'est le recours à une sorte de « crédit revolving » tandis que d'autres parlent du lancement d'un Kiloutou à la défense…
Comme d'habitude, le calendrier de la mise en oeuvre de cette société est tendu, puisqu'elle doit intervenir avant le 14 juillet, sans qu'on sache encore si ce sera une société exclusivement à capitaux publics ou si des capitaux privés interviendront.
« On va regarder », a expliqué le délégué Laurent Collet-Billon, une formule qui n'est pas sans rappeler celle du général Rouzeau lors du lancement des bases de défense : « On verra en marchant ».
La CFDT est réservée sur ces initiatives à l'emporte-pièce. Les personnels et les missions de la Défense en ont subi d'autres : je rappellerai les externalisations et les partenariats public-privé qui n'ont jamais fait leur preuve, bien au contraire, que ce soit en termes d'efficacité ou de coût.
Quant à la réforme de la gouvernance et de l'organisation du ministère, qui se poursuivra en 2015, cinq domaines prioritaires ont été retenus : la gestion des ressources humaines, l'organisation de la chaîne financière, l'organisation des soutiens en bases de défense, le maintien en condition opérationnelle des matériels et les relations internationales et stratégiques. Au total, trente et un projets sont lancés, avec un objectif central : rationaliser l'administration et mutualiser les soutiens tout en maintenant la qualité de service.
La CFDT ne peut approuver cette cadence infernale, subie par des personnels déboussolés et victimes de risques psychosociaux au sein de services déjà en sous-effectifs et en surcharge de travail. Car, à la clé, le ministre l'a annoncé devant vous, mesdames et messieurs les députés, les deux tiers des déflations nouvelles décidées en 2013 visent le soutien et l'administration, à la hauteur de 15 500 postes.
Le PLF pour 2015 poursuit donc la contribution de la Défense au redressement des finances publiques, qui se traduit en premier lieu par des réductions d'emplois – 7 500 en 2015 –, la trajectoire de la loi de programmation militaire prévoyant une diminution totale de 34 000 emplois sur la période 2014-2018. La contribution du ministère se traduit également par des réorganisations profondes et de nouvelles restructurations, dont le détail est rendu public aujourd'hui.
Les quelques éléments dont nous disposons ne peuvent que nous inquiéter, en raison notamment du choix de l'échenillage qui supprime entre deux et dix personnels civils dans de nombreux secteurs. Cette méthode, qui dilue plusieurs milliers de postes au total, aggravera encore les difficultés que rencontrent les personnels civils et militaires dans l'accomplissement de leurs missions. De plus, près de 2 500 postes seront supprimés dans le cadre d'une vaste réorganisation par le biais de ce qu'il est convenu d'appeler la « manoeuvre RH ».
Le MCO terrestre et aéronautique sera concerné. Pour le renforcer ? Nous en doutons. Les centres ministériels de gestion devraient également être revus et corrigés alors que leurs effectifs auraient besoin d'être renforcés.
Que dire du service de santé des armées à propos duquel un grand nombre de rumeurs ont filtré dans la presse depuis plusieurs semaines ? L'arrêt des prestations hospitalières du Val-de-Grâce et le projet d'y recentrer la formation et la recherche sont à l'ordre du jour. C'est un cataclysme pour cet établissement vitrine, que les responsables successifs ont laissé à l'abandon alors qu'il aurait fallu maintenir à niveau ses infrastructures.
Je tiens aussi à évoquer le groupe industriel Nexter, engagé dans un projet ambitieux. Après plusieurs mois d'empoignades avec le ministère des Finances, nous apprécions particulièrement de voir figurer la première tranche de la commande Scorpion dans le PLF pour 2015. Ce programme, très attendu par les industriels de la défense terrestre, voit enfin le jour. Il apportera de la charge de travail au groupement momentané d'entreprises constitué de Nexter, RTD et Thales et servira de socle au projet KANT pour Nexter et KMW – Krauss-Maffei Wegmann GmbH & Co. S'agissant de KANT, il nous semble indispensable de préciser le contenu de l'accord du 1er juillet, notamment les principes directeurs de la future alliance. Il nous semble également important de clarifier la position du politique allemand en matière d'autorisation de ventes à l'export.
Enfin, parallèlement à la publication de la loi de privatisation en cours d'élaboration, nous demandons que des garanties industrielles en termes de maintien des sites, et sociales, en termes de maintien et de développement des emplois, soient apportées aux salariés, garanties intégrant, entre autres, le statut des personnels relevant du ministère de la Défense – ouvriers sous décret et fonctionnaires détachés – ainsi que le maintien de la représentation des salariés dans les différentes instances de gouvernance.
Si la CFDT est favorable à la constitution d'une Europe industrielle de la défense terrestre, ne serait-ce que pour permettre à l'industrie française d'échapper au risque d'isolement, cette Europe doit se construire en toute transparence et tenir compte de l'avis des salariés, pour permettre le développement de ce secteur stratégique d'activité et garantir un avenir aux personnels qui le composent.
Nous sommes, comme tous les ans reçus, devant la commission de la Défense et des forces armées pour être écoutés sur le budget de la Défense. Nous savons que vous souhaitez nous entendre sur la situation des personnels civils ; nous évoquerons également d'autres points.
Le budget pour 2015 est celui de la deuxième année d'exécution de la loi de programmation militaire. Comme vous nous recevez le jour même où le ministre de la Défense doit annoncer les unités restructurées pour cette année, nous ne pourrons guère en parler dans le détail.
Rappelons toutefois le cadre général, à savoir le maintien du gel des rémunérations pour les personnels, qui est insoutenable pour les salariés du ministère comme pour tous ceux de la fonction publique, et la suppression de 7 500 postes – 1 117 emplois de personnels civils, dont 1 017 personnels ouvriers de l'État –, sans oublier, depuis des années et pour des années encore, une situation de restructurations permanentes, qui n'est pas sans répercussion sur la santé physique et psychique des salariés du ministère de la Défense.
Je tiens également à évoquer des efforts de restructuration ciblés surtout sur le soutien des forces, qui rendent la projection en opération extérieure toujours plus périlleuse. Tout en observant, dans un rapport récent sur le maintien en condition opérationnelle, qu'il faudra assurer le maintien des compétences des personnels, la Cour des comptes, par entêtement idéologique, prône le recrutement de personnels contractuels à la place des ouvriers d'État : elle ne propose pas le statut de fonctionnaire parce qu'elle est bien consciente de l'inadaptation des grilles de rémunération de la fonction publique pour des personnels ouvriers et techniciens à forte qualification.
Quant au projet de fermeture du Val-de-Grâce, évoqué ces derniers jours, il provoque notre colère : en effet, c'est l'absence d'entretien régulier qui conduit aujourd'hui à proposer la fermeture de cet hôpital prestigieux et utile aux armées, mais aussi aux populations civiles qui bénéficient des soins qui y sont dispensés. On nous parle souvent de la capacité de résilience du pays en cas d'attaque de son territoire ou de ses intérêts : or le service de santé des armés en est une composante importante. C'est pourquoi la CGT, aux côtés des personnels et, nous l'espérons, de la population, s'y opposera par tous les moyens à sa disposition.
La CGT revendique une autre politique budgétaire, qui ne sacrifie plus l'action publique au prétexte d'un équilibre des comptes jamais atteint. Elle demande la fin des politiques d'austérité qui touchent les dépenses publiques et sociales tout en augmentant les transferts non ciblés en direction des entreprises, au nom d'une prétendue politique de l'offre. Or cette politique conduit à la stagnation de notre économie et à la diminution de l'efficacité des impôts et des prélèvements sociaux.
Ce jugement peut paraître général : il trouve une illustration dans le projet de budget de la Défense. Sanctuarisé dans la LPM, dit-on, à hauteur de 31,4 milliards d'euros, il connaît un déficit de financement à hauteur de 2, 3 milliards d'euros, correspondant aux financements exceptionnels, qui ne sont en 2015 qu'une monnaie de singe. Il est également menacé en raison du sous-financement des opérations extérieures. Pour 2014, le chiffre de 650 millions d'euros est évoqué, dont 130 millions resteraient à la charge du budget de la Défense, le reliquat étant financé par les autres budgets de l'État. À quel chiffre devons-nous nous attendre pour 2015 ? Tous les autres contributeurs financiers seront-ils au rendez-vous ?
Que dire également des sociétés de projets qui ne concerneraient pas les armes ? Elles représentent à nos yeux la concrétisation capitalistique des groupements formés lors des périodes de dialogue compétitif et de développement de certains partenariats public-privé. Ces solutions renforcent l'endettement public selon les normes comptables européennes et ont à terme un coût plus élevé pour le budget de la Défense. Nous y sommes donc évidemment opposés : le symbole politique est funeste et la pratique financièrement inefficace. Il est toutefois difficile de se prononcer plus en détail sur un thème encore si mal défini, qui vise à transformer la monnaie de singe des ressources exceptionnelles en une dette supplémentaire à long terme.
En tant que syndicalistes du ministère de la Défense, nous ne pouvons pas éviter de revenir sur le jugement de la Cour européenne des droits de l'homme : la France ne respecte pas le droit à se syndiquer des militaires, reconnu par la Convention européenne. La CGT, comme toutes les organisations ici présentes, est signataire depuis 2001 d'une plateforme intersyndicale pour la syndicalisation des militaires dans des organisations confédérées, seule solution pour échapper au corporatisme et à ses excès. La représentation actuelle des militaires est inefficace et insatisfaisante. Aucun bricolage autour du droit de réunion ou d'association ne réglera le problème. Il faut avancer sur ce point et se mettre, avec rigueur et responsabilité, en conformité avec la Convention européenne des droits de l'homme. La CGT y est prête.
Le budget de la Défense à de lourdes répercussions sur les industriels de la défense et leurs 165 000 salariés, dont nous nous ferons brièvement les porte-parole en tant qu'organisation confédérée. La loi de programmation militaire, taillée au plus juste, est menacée chaque année dans son exécution. Le volume des armées, impliquant celui de leur équipement et des commandes à l'industrie, est revu à la baisse, retardé ou étalé hors de tout bon sens. Le programme Scorpion est maintenu : nous nous en félicitons. La commande des VBMR et EBRC devrait être notifiée à la fin de l'année, voire dès le mois prochain, mais elle serait découpée en un trop grand nombre de tranches conditionnelles, avec des échéanciers de livraison parfois très improbables, comme les EBRC livrés à raison de deux par mois jusqu'en 2030. Le dernier AMX 10RC, retiré du service à cette date, aura quarante ans : ses coûts de soutien ne pourront qu'augmenter en proportion des obsolescences rencontrées. Quelle modernisation est-il possible d'envisager pour un matériel certes valeureux, mais aussi âgé ? Comment, par ailleurs, assurer la formation des unités qui recevraient deux engins par mois ? C'est inconcevable. Or c'est tout ce que les LPM telles que nous les connaissons nous permettent d'acheter, pour autant qu'elles soient respectées. La réduction des livraisons de FREMM à la marine nationale est maintenant actée, alors que la disponibilité de notre flotte est sous tension, une tension aggravée par l'incendie du Nivôse qui immobilisera sans doute pour longtemps une de nos six frégates de surveillance.
Rappelons que la LPM est toujours mise sous tension par la nécessité d'assurer un plan de charge lissé pour Dassault en ce qui concerne le Rafale – une LPM dont vous activerez, l'été prochain, sa clause de revoyure : nous sommes en droit de craindre le pire.
Ces incertitudes révèlent combien il est risqué de dimensionner son outil de défense en privilégiant l'exportation. Encore la société Dassault est-elle largement diversifiée vers l'aviation civile ! La société Nexter Systems, elle, une fois qu'elle aura fini de livrer les VBCI, n'aura plus à produire sur son site de Roanne que des Aravis pour l'Arabie Saoudite. Cela pose le problème du maintien des compétences et des moyens de production, dans l'attente de la mise en production des VBMR en 2018, si la commande ne subit aucun retard. Nexter Systems une société trop faiblement diversifiée, qui n'a emporté aucune commande export dans les systèmes blindés depuis trop longtemps, tout en subissant les contrecoups des étalements de commande de l'État qui devraient structurer son activité. Nous aurons l'occasion d'évoquer à nouveau prochainement cette société puisque le projet de privatisation doit être présenté au Parlement cet hiver : il aboutirait, s'il était mené à son terme, à la disparition, d'ici à dix ans, du blindé en France et à une fragilisation d'EURENCO, fabricant national de poudre et explosifs, qui se retrouverait de nouveau isolé et en danger.
Vous le comprendrez, mesdames et messieurs les députés, la CGT refuse ce projet de budget qui ne permet ni à la France de disposer des moyens suffisants pour assurer sa défense, ni de répondre aux besoins de ses salariés tant militaires que civils – des personnels civils à même de voir que les mesures catégorielles ne sont pas au rendez-vous et qui notent la constante augmentation des sommes visant à accompagner les restructurations, c'est-à-dire la casse de leur outil de travail.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, nous tenons d'abord à vous remercier de permettre aux organisations syndicales représentatives du ministère de s'exprimer sur le budget pour 2015 de la Défense.
Je tiens à réaffirmer en préambule que l'UNSA-Défense est attachée à une capacité de défense et de sécurité nationale permettant d'assurer la souveraineté de la France, tout en étant consciente de la nécessité de préserver les finances publiques. Trouver un équilibre entre ces deux dimensions justifie une réelle modernisation du ministère qui ne peut reposer, de la part de la représentation nationale comme de toutes les parties prenantes, que sur une réelle volonté de changement se traduisant par des décisions courageuses et des actions volontaristes, à la fois opportunes et réalisables. Néanmoins, soulignons-le d'emblée, le ministère de la Défense ne peut plus continuer à supporter sans dommage irréversible la plus grande partie de l'effort national.
Nous tenons à rappeler ici même l'action de votre commission pour moderniser le dialogue social au sein du ministère, dans le cadre de l'article 43 de la loi de programmation militaire, qui l'a ouvert plus largement aux questions d'organisation et de fonctionnement des services. L'examen des décrets et arrêtés d'application présentés lors du dernier comité technique ministériel montre toutefois que du chemin reste à parcourir pour que les employeurs accompagnent la dynamique. Le soutien de votre commission sera important et nous comptons sur vous pour vérifier la bonne application de cette mesure tant dans la lettre que dans l'esprit.
La volonté politique de maintenir le financement des équipements est pour l'UNSA Défense un signe fort que nous soutenons : nous n'oublions pas, en effet, le nombre élevé de nos soldats engagés sur les théâtres d'opérations comme l'importance des industries d'armement pour notre pays. L'effort porté sur la cyberdéfense est un enjeu stratégique et nous nous félicitons de la démarche engagée, notamment au sein de la direction générale de l'armement.
Cette volonté politique est toutefois confrontée à un contexte budgétaire qui nous fait assister, année après année, au sacrifice du budget de la Défense. Certes, l'UNSA-Défense a bien entendu les propos de M. Eckert, secrétaire d'État chargé du Budget, selon lesquels les opérations extérieures seraient financées par le budget général et non par celui du seul ministère de la Défense. Il n'en reste pas moins qu'en voulant, dans un tel contexte budgétaire, maintenir sa capacité d'investissements en équipements, le ministère est réduit, d'une part, à évoquer à la hâte des expérimentations que nous n'espérons pas hasardeuses comme la création de sociétés de projet, et, d'autre part, à exercer une pression sur les services de soutien devenue difficilement supportable.
L'UNSA-Défense ne peut donc que dénoncer l'inconséquence des politiques qui se sont succédé depuis plusieurs décennies et qui ont simplement consisté à reporter sans cesse des mesures en profondeur et à raisonner en termes purement comptables.
Si le pays va mal et le ministère de la Défense très mal, le personnel, militaire et civil, qui la sert avec dévouement et un sens du service indiscutable, va encore plus mal. Pourtant la Nation attend beaucoup de ce ministère et de ses agents, dès lors que la sécurité intérieure ou extérieure est menacée, ce qui est un paradoxe pour un ministère « non prioritaire », pour reprendre la classification « politiquement correcte » du Gouvernement. Tout le monde attend, voire exige, beaucoup de lui ; mais, lorsqu'il s'agit de faire des économies, tout le monde se retourne également vers lui… Trop docile probablement de par sa forte culture hiérarchique, trop soucieux surtout de remplir les missions qui sont les siennes, le ministère de la Défense est depuis de nombreuses années soumis à d'incessantes restructurations qui, par couches successives, le placent désormais dans une situation de chaos.
Le budget pour 2015 de la Défense ne saurait nous rassurer : déjà très contraint, il sera assorti de ressources exceptionnelles à hauteur de 2,3 milliards, qui ne seront pas disponibles en temps nécessaire. Nous le savons, vous le savez ! À tel point que vous envisagez de mettre en place des sociétés de projet, sorte de sociétés de leasing d'armements pour pallier le manque de financement. Ce faisant, l'État aggrave la fuite en avant dans laquelle il engage la défense. Si l'affichage de la tenue de la loi de programmation militaire 2014-2019 peut se faire au prix d'acrobaties de construction budgétaire, la défense et la sécurité nationale perdront en capacité à mesure que les programmes d'armement s'étaleront dans le temps. Ils coûteront à la fin bien plus chers, et plus encore si les armements sont acquis en leasing, sans compter les risques inhérents à ce type de société à capitaux mixtes publics-privés. Nous attendons de votre commission qu'elle nous informe non seulement de la manière dont ces sociétés de projet seront financées et gérées à court et moyen termes, mais surtout de la vision stratégique à long terme qui préside à leur mise en place.
L'analyse fonctionnelle que les politiques demandent à la défense pour cibler les économies gagnerait à être appliquée à toute la fonction publique sans exception. Dans de nombreux secteurs de vraies économies sont à réaliser, s'agissant des coûts de structure ou de dépenses indécentes ou improductives.
Notre premier message sera donc : cherchez les économies ailleurs, le ministère de la Défense a assez donné. La capacité de défense de la Nation en dépend. Les 2,3 milliards de ressources exceptionnelles, prévues mais manquantes, doivent être abondés à même hauteur par des ressources budgétaires pour garantir la bonne exécution de la LPM sans hypothéquer l'avenir.
En raison de la pression qui lui est imposée, le ministère, et singulièrement ses services de soutien, verra encore ses effectifs fondre de 7 500 emplois en 2015. Il est, pour ne pas changer, le principal contributeur avec environ 65 % des emplois supprimés dans la fonction publique au titre de cette année. En revanche, ses missions restent identiques. Le « faire toujours plus avec chaque fois moins de moyens » a atteint ses limites : les services de la défense ont maintenant pour consignes de « faire ce qu'ils peuvent avec moins » …
Il y a quelques années encore, ce discours aurait été perçu comme excessif, car tenu par des syndicats corporatistes campés sur leurs avantages. Or, mesdames et messieurs les députés, ce discours est aujourd'hui tenu au sein même du ministère, dans les services de soutien comme au sein des forces. Il ne peut rester sans réponse, ni du ministre, ni de votre commission. Les dysfonctionnements au sein du ministère ne cessent de s'aggraver. Quant aux personnels qui subissent directement la pression, ils atteignent la limite humainement acceptable. Les conditions de travail se dégradent et la montée des risques psychosociaux atteint un niveau d'alerte que seule leur inconséquence conduit les autorités à ne pas vouloir regarder en face. Et que dire de la reconnaissance, sinon qu'elle devient nulle, en raison d'un management inadapté de parcours professionnels qui se ferment et de revalorisations catégorielles et de taux de promotion insuffisants ?
Notre deuxième message sera donc : arrêtez d'accentuer la pression sur la défense par des réductions d'effectifs qui deviennent insupportables et laissez-la respirer pour répondre aux enjeux qui sont les siens.
J'en dégagerai quatre.
Le premier vise à maintenir la capacité à renouveler les équipements, à assurer leur soutien et à engager des actions stratégiques de long terme. C'était le premier volet de mon intervention : la Nation doit prendre conscience qu'elle ne peut attendre de ses forces des interventions répétées dans un contexte international incertain sans maintenir l'effort budgétaire permettant de les équiper et de les soutenir. Elle doit également intégrer les nouvelles menaces dont la cybercriminalité, voire le cyber-terrorisme. Il s'agit bien d'un enjeu national, voire international, imposé par les menaces qui visent notre pays et le monde et auquel le Gouvernement doit répondre par un budget à la hauteur. Au-delà de ces aspects essentiels, le soutien ne doit pas demeurer de facto, comme il l'est aujourd'hui, la variable d'ajustement, voire devenir la variable sacrifiée. Des forces mal soutenues sont des forces mal préparées à intervenir, mises en danger dans leurs interventions et non reconnues dans leur capacité d'action.
Permettez-nous d'évoquer rapidement le service de santé des armées, qui ne doit pas être réduit à sa seule composante « hôpital public ». Le SSA a un rôle essentiel dans le soutien des forces sur le territoire national comme sur les théâtres d'opérations extérieures. Il doit donc disposer des moyens d'assurer cette mission, à moins que, là aussi, le dessein ne soit de l'externaliser. Il convient de faire le même raisonnement s'agissant des services à caractère technique dont la perte de compétences, qui résulte de la pression et de la réduction des effectifs, ne sera pas sans conséquence sur le futur. Or ces services sont toujours soumis à l'obligation de réduire leurs effectifs.
Deuxième enjeu : assurer un meilleur équilibre entre personnels civils et militaires. Nous l'avons souvent évoqué ici devant vous, nous sommes convaincus de l'importance de cette voie de modernisation du ministère. De précédents rapports de votre commission, qu'ils aient été rédigés par Mme Gosselin-Fleury, M. Cornut-Gentille ou d'autres éminents parlementaires, nous ont fourni les arguments. Il ne s'agit pas d'opposer les personnels civils aux personnels militaires, les premiers soutenant les seconds, mais d'engager des réformes de structure permettant de dégager des gains financiers significatifs sur le titre 2, au profit de l'équipement des forces et de l'amélioration des conditions du personnel en évaluant au mieux le format opérationnel des armées et en attribuant les emplois à caractère non opérationnels au personnel civil. Or, les chiffres le montrent, hélas ! cet axe de transformation, dont les fondements datent de 1994, n'a jamais trouvé à se réaliser. Le ratio personnels civils-personnels militaires a même régressé au cours de la précédente LPM. Et ce ne sont pas les travaux en cours au titre de l'actuelle LPM, qui manque singulièrement d'ambition dans le domaine, qui nous engageront dans cette voie à nos yeux incontournable.
À défaut de s'y être engagé, la pression qui pèse sur la réduction des effectifs est génératrice de déséquilibres dans les services de soutien. La nécessité de préserver les forces projetables amène les employeurs, contraints, à supprimer principalement des postes de personnels civils et ainsi à obérer leurs capacités à assurer pleinement les tâches de soutien, ce qui affaiblira irrémédiablement notre capacité d'intervention. La suppression de postes, vous l'avez compris, peut impliquer la nécessité d'externaliser des missions. De précédentes expérimentations hasardeuses en matière d'externalisation et de coûts induits doivent amener le ministre et le législateur à une grande prudence en la matière, d'autant que, s'agissant de spécialités très techniques, le point de non-retour peut vite être atteint, surtout lorsque l'État ne garde même pas les compétences pour contractualiser ou vérifier le service fait.
Au-delà du recentrage du personnel militaire sur les emplois opérationnels et des gains sur le titre 2, le processus doit intégrer la nécessaire complémentarité des emplois militaires et civils dans les politiques de recrutements, de gestion, de parcours professionnels et d'évolutions statutaires.
Quant aux deux autres enjeux, ils consistent à tenir un dialogue social ouvert et constructif et à mener une politique d'accompagnement à visage humain. Il y a beaucoup de marge de progrès dans ce domaine mais nous ne les détaillerons pas ici puisque vous nous demandez de conclure Monsieur le président. Vous pourrez en prendre connaissance dans le texte que nous vous remettons.
Notre dernier message sera : concentrez vos efforts sur le pilotage des réformes engagées en gardant en ligne de mire ces quatre enjeux et en veillant à ce qu'elles ne soient pas dévoyées au nom de dogmes qui ont toujours la vie dure au sein du ministère.
Dans ce cadre, l'UNSA-Défense, fidèle à ses engagements, défendra un dialogue responsable, innovant, toujours constructif mais sans faiblesse et résolument tourné vers l'engagement collectif, qui cherchera toujours à concilier développement économique, service public, progrès social et développement durable, sans parti pris ni corporatisme.
Vous nous avez interpellés sur les sociétés de projet : nous nous posons les mêmes questions que vous et nous aussi, nous attendons des réponses…
Nous vous remercions, mesdames et messieurs les députés, de recevoir les organisations syndicales dans le cadre du débat sur le projet de budget pour 2015.
Défense-CGC tient tout d'abord à souligner combien elle est attachée à préserver une capacité de défense assurant la souveraineté de la France, tout en étant consciente de la nécessité de préserver les finances publiques. Trouver un équilibre entre ces deux enjeux pour la Nation implique la mise en place de modèles de gestion modernisés et efficients.
Ne dit-on pas que c'est face aux difficultés qu'on devient créatif ?
Ainsi, devant les insuffisances du budget pour 2015, on a envisagé la transformation de la DGA en EPIC afin de lui permettre de récupérer plusieurs milliards du programme d'investissement d'avenir (PIA). Devant la lenteur de sa mise en oeuvre, cette hypothèse aurait été abandonnée au profit de la création d'une société de projet, à laquelle la DGA vendrait les systèmes d'armes qui seraient ensuite loués aux forces armées. L'intérêt économique à long terme du dispositif, du fait du coût de la location, laisse Défense-CGC très dubitative. L'exemple des partenariats public-privé devrait nous alerter : combien le grand Balard coûtera-t-il au contribuable ?
Cette créativité ne s'applique pas encore à la gestion des personnels. Le budget pour 2015 nous ressert les mêmes recettes que les précédents. Le point d'indice et le bordereau ouvrier restent gelés, ce qui entraîne une érosion du pouvoir d'achat de plusieurs millions d'agents publics qui contribuent, il ne faudrait pas l'oublier, au fonctionnement de l'économie.
Les mesures catégorielles qui devraient permettre d'adapter le système global de rémunération des agents aux évolutions de la société seront, elles aussi, fortement limitées. C'est ainsi qu'aucune mesure nouvelle ne sera engagée. Le ministère se contente de poursuivre les mesures minimales décidées l'an dernier. Défense-CGC constate d'ailleurs qu'aucune mesure n'est prévue pour le personnel civil d'encadrement et le regrette vivement.
Les effectifs se réduisent au rythme des départs à la retraite non remplacés et des programmes d'incitation aux départs, sans toutefois que les missions du ministère soient significativement réduites.
Nous ne pouvons terminer cette déclaration liminaire sans parler des restructurations, avec leurs lots de fermetures, qui seront annoncées aujourd'hui.
Mesdames et messieurs les députés, moins d'un an après son entrée en vigueur, la LPM n'est déjà plus tenable. Il est de la responsabilité de la représentation nationale de prendre les décisions courageuses qui s'imposent pour empêcher que notre capacité de défense ne soit une nouvelle fois mise à mal.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, si c'est un honneur de venir vous rencontrer chaque année, nos déclarations sont de plus en plus complexes car c'est aujourd'hui que notre ministre annonce son plan de restructuration, maintes et maintes fois reporté. Comme d'habitude, grâce à quelques fuites, nous avons appris dès ce matin sur RTL la dissolution du 1er régiment d'artillerie de marine, créé en 1692, à peine installé en 2012 à Châlons-en-Champagne et qui provoque la suppression de 960 personnels et laisse en jachère près de quarante-deux hectares – le Quartier Corbineau. Cette dissolution entraînera également une restructuration du soutien afférent et augmentera le nombre de postes de commandement touchés. Ce n'est qu'un exemple et nous attendons de connaître l'ampleur des dégâts après le conseil des ministres de ce matin et la réunion avec les autorités centrales d'emploi du ministère de la Défense que M. Le Drian a prévue pour demain après-midi avec les organisations syndicales.
Le 1er octobre dernier au soir, nous demandions au ministre de la Défense que notre ministère redevienne budgétairement, et non pas seulement négativement en termes de déflation des effectifs, un des ministères prioritaires de la République. Aurions-nous été entendus par le secrétaire d'État chargé du Budget, M. Christian Eckert ? Il vous a expliqué il y a quelques jours à l'Assemblée nationale, dans le cadre du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014-2019 et du PLF pour 2015, que les engagements du pacte de solidarité – 41 milliards d'allégement pour les entreprises et cinq milliards pour les ménages – soient intégralement tenus et que soient maintenues les priorités défense, éducation, sécurité, justice, transition énergétique. Et d'annoncer que le surcoût des opérations extérieures, qui atteindra 1,1 milliard d'euros en 2014, devra être mutualisé entre les ministères au-delà de la provision budgétaire des 430 millions. C'est pour nous une satisfaction, mais plutôt une demi-satisfaction, car c'est la France qui éponge seule ce surcoût. Et l'Europe ? Le Gouvernement dépose le PLF pour 2015 sur le bureau de la Commission de Bruxelles aujourd'hui : vous rappelez-vous que depuis un an, voire plus si on considère les travaux du Livre blanc, la CTFC a répété inlassablement que le pacte de stabilité européen adopté dans le cadre du traité de Maastricht devait tenir compte, dans ses six critères, de l'effort de défense sans précédent opéré par la France seule, ou presque, pour calculer son pourcentage de déficit rapporté au PIB – les fameux 3 % : nous en sommes à 4,3 %.
Ni le Gouvernement ni sa majorité parlementaire n'ont réussi à le faire comprendre à nos partenaires européens comme à la Commission européenne lors du Conseil européen de décembre 2013. Cette piste a-t-elle encore quelque chance de se concrétiser un jour, au vu des tensions actuelles qui ne baissent pas ?
Les crédits de la mission Défense, qui en comprennent deux autres – Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation, recherche et enseignement supérieur : ne les oublions pas –, augmentent légèrement entre 2014 et 2017, avec des à-coups, comme cela était prévu dans la loi de programmation militaire pour 2014-2019. Ils passent de 31,37 milliards d'euros hors pensions cette année à 31,4 en 2015, 32, 34 en 2016 et 32,75 en 2017.
C'est la mission Défense qui est la plus touchée en termes de suppressions de postes : 7 500. Le personnel paie cher sa contribution au redressement des finances publiques. Le point d'indice, gelé depuis 2010, ne sera pas augmenté jusqu'en 2017. De plus, les enveloppes de mesures catégorielles sont fortement réduites. Un plan d'économies de 7,7 milliards d'euros est programmé sur l'ensemble des dépenses de l'État et de ses agences pour l'année 2015, donc 1,4 milliard sur la masse salariale. Sa progression sera limitée à 0,6 %, un niveau largement inférieur à l'inflation prévisionnelle, qui s'établit à 0,9 % en 2015.
Par ailleurs, et comme prévu, le ministère, et singulièrement la DGA, restera le premier investisseur de l'État avec près de 16,7 milliards d'euros courants en 2015.
Nous remercions Mme la présidente Patricia Adam d'avoir fait inviter les syndicats de la défense pour la première fois aux universités de la défense qui se sont tenues à Bordeaux, les 8 et 9 septembre dernier – c'étaient les douzièmes. Trois organisations syndicales de la défense ont pu s'y rendre et prendre connaissance notamment du fameux rapport sur les exportations d'armements à la fin de 2013, ce qui me permet d'apporter un peu de baume au coeur pour finir mon intervention puisque les prises de commande à l'export d'armement ont enregistré une hausse de 43 %, pour un montant de 6,87 milliards d'euros, ce qui représente une progression de 30 % par rapport à la moyenne 2002-2012.
La CFTC est fière et satisfaite que les exportations d'armement engendrent des bénéfices pour la société française tout d'abord sur les plans économique et social – plus de 40 000 emplois sont directement liés aux exportations de défense, soit près de 25 % des emplois de l'industrie de la défense qui s'élèvent à 165 000, principalement en Île-de-France, région Centre, Bretagne, Aquitaine, Midi-Pyrénées, PACA, Rhône-Alpes. Les bénéfices sont également d'ordre technologique et industriel avec des retombées civiles en termes d'innovation.
Le projet de société de leasing de matériels de la défense – le létal excepté – que le ministre de la Défense s'apprête à créer avant la fin du premier semestre 2015 nous laisse dubitatifs. S'agirait-il d'un tour de passe-passe budgétaire ? La CTFC-Défense a d'ores et déjà demandé au ministre une réunion de concertation approfondie sur le sujet.
Mesdames et messieurs, j'ai pris acte de vos légitimes remarques et revendications. J'en tiendrai compte dans le cadre de mes interventions sur le PLF pour 2015.
Une somme de 204 millions d'euros est prévue pour les mesures d'accompagnement liées aux suppressions de postes : est-elle suffisante à vos yeux ? Je ne le pense pas.
Par ailleurs, la CGT a évoqué le jugement de la Cour européenne des droits de l'homme relatif à l'exercice de nouveaux droits dans les armées. Le ministre en a pris acte. Une expertise est menée. Que pensez-vous de ce jugement ?
Je me réjouis que, depuis plusieurs années, notre commission tienne à auditionner les représentants des syndicats des personnels civils du ministère de la Défense sur le PLF, même si cela ne débouche pas systématiquement sur les conclusions que vous souhaiteriez voir adopter.
M. Goulm a évoqué des économies possibles en rappelant que 23 millions d'euros avaient été dépensés de manière imprudente à Dijon : pouvons-nous en savoir un peu plus sur le sujet ? Je suis en tout cas heureux que des syndicats de personnels se soucient d'économies et ne critiquent pas uniquement les recettes exceptionnelles. Les entreprises privées attendent elles aussi leurs recettes sans connaître l'avenir.
Il faut rappeler que, dans d'autres pays, les économies sont réalisées de manière différente. En Espagne, au Portugal ou en Grèce, les traitements des fonctionnaires de l'État ont été considérablement réduits, ce qui n'est pas le cas de la France. Il faudrait en prendre acte, ce qui n'est jamais fait. Le Gouvernement a choisi une autre voie, qui me paraît la bonne. Qu'en pensez-vous ?
Quelles réformes souhaitez-vous voir apporter à la chaîne logistique du MCO ? Quelles sont par ailleurs les conséquences sur l'emploi de la montée en puissance de la cyberdéfense ?
Le projet de loi de finances précise qu'un rééquilibrage entre les effectifs militaires et civils a été engagé avec l'objectif, pour 2015, de transformer 200 postes militaires en postes civils : qu'en pensez-vous ?
Quel bilan tirez-vous de la mise en oeuvre des objectifs de rééquilibrage, précédemment qualifiés de « civilianisation », au cours de ces dernières années ?
Comment analysez-vous la difficulté que rencontre actuellement le ministère de la Défense à recruter des personnels pour les postes qu'il a créés dans le secteur de la cyberdéfense ?
Vous l'avez compris, la CGT est opposée au blocage des salaires et à la casse des emplois et de l'outil de travail. Dans un pays riche comme le nôtre, les fonctionnaires et les ouvriers de l'État, entre autres, n'ont pas à payer les conséquences des cadeaux offerts au patronat. Les budgets devraient être consacrés à l'investissement et à la revalorisation des salaires, et non à des mesures d'accompagnement.
En outre, à l'heure où les matériels équipant nos forces vont entrer dans un nouveau cycle, il serait légitime de reprendre les recrutements des fonctionnaires et des ouvriers de l'État, sachant que la durée de vie d'un matériel neuf est de quarante ans, ce qui correspond à la carrière complète d'un agent.
Force ouvrière a négocié la mise en place d'un plan d'accompagnement des restructurations, qui va au-delà de ce que prévoit la fonction publique. Sans nous féliciter des suppressions de postes, nous estimons que ces crédits d'accompagnement permettent d'amortir le choc pour les agents qui perdent leur emploi.
Pour ce qui est de l'arrêt de la CEDH, en tant que représentant syndical des personnels civils, je ne suis pas le mieux placé pour évoquer la syndicalisation des militaires. Je ne suis pas du genre à racoler… C'est aux militaires eux-mêmes de savoir s'ils veulent être syndiqués !
Je n'ai pas parlé d'économies, monsieur le député Boisserie, mais bien de dépenses stupides. Dépenser 23 millions d'euros pour l'installation du commandement des forces aériennes à Dijon, qui deux ans plus tard est transféré à Bordeaux, témoigne soit d'une réelle incompétence, soit d'un manque de visibilité fort dommageable.
Certes, nous pouvons nous féliciter que les salaires n'aient pas diminué, mais, comme l'a dit un grand humoriste, ce n'est pas plus mal que si c'était pire ! En fait, les salaires, c'est comme le vélo : quand on n'avance pas, on tombe… En réalité, le pouvoir d'achat de nos personnels diminue inéluctablement.
Le ministre a fait de la cyberdéfense un sujet prioritaire, sans que cela se traduise par une augmentation significative des personnels civils. Le recrutement sur ces métiers très spécifiques pose quelques difficultés, mais la reconversion des personnels militaires est prévue à l'article L. 4139-2 du code de la défense.
Enfin, nous nous félicitons du léger rééquilibrage opéré entre personnels civils et personnels militaires. Nous ne sommes pas opposés à la reconversion des militaires en personnels civils, et donc à l'objectif de civilianisation. Néanmoins, nous pensons que l'utilisation de l'article L. 4139-2 du code de la défense ne suffira pas ; nous préconisons également la requalification des personnels civils pour leur permettre de travailler dans des filières techniques et administratives, mais aussi le recrutement externe qui permettra de renouveler et donc de rajeunir les effectifs des personnels civils.
Les mesures d'accompagnement ne sont jamais satisfaisantes car elles sont synonymes de suppressions de postes.
Pour ce qui est du rééquilibrage entre personnels civils et militaires, la CFDT n'est pas opposée à l'article L. 4139-2, mais elle l'est sur le nouveau texte qu'on a essayé de faire passer en catimini, dans le cadre des négociations actuelles sur les parcours professionnels dans la fonction publique, sur la reconversion sans mobilité. Si la mobilité est prévue pour un fonctionnaire qui change de grade, elle doit l'être également pour les militaires. Il n'y a rien de pire pour un civil de voir partir un militaire un vendredi et de le voir revenir en civil le lundi : ce n'est pas ce que nous appelons la civilianisation. Nous ne sommes pas contre le principe d'une deuxième partie de carrière pour les militaires, mais la mesure doit être encadrée.
Quant aux concours externes, ils sont indispensables pour rajeunir les troupes et intégrer de nouvelles compétences. Les nouvelles compétences requises pour la cyberdéfense n'existent d'ailleurs pas forcément en interne. Les difficultés de recrutement dans ce domaine s'expliquent par le caractère non attractif des statuts du ministère de la Défense – je pense au statut contractuel. Les personnes spécialisées dans la cyberdéfense trouveront sans peine des postes mieux payés qu'à la Défense…
Enfin, nous sommes évidemment favorables à la possibilité pour les militaires de s'organiser en associations et de faire valoir leur droit d'expression. Nous avons l'habitude de dire que civils et militaires forment une communauté au sein du ministère, et nous pouvons tout à fait leur apporter notre expertise.
Je ne reviendrai pas sur l'excellent exposé du représentant de la CFDT ; la CFTC se retrouvera du reste avec elle dans une alliance électorale le 4 décembre.
M. Le Drian nous a dit faire le maximum pour limiter la baisse du budget de l'action sociale, qui devrait se faire au prorata de la déflation des effectifs, si bien que nous perdons 2,1 millions d'euros entre 2014 et 2015.
Ce n'est pas à nous d'aborder la question de la syndicalisation des personnels militaires. Je préfère rappeler que nous demandons depuis toujours que les personnels militaires libèrent au maximum des postes dits de soutien. En effet, les personnels civils font mieux et à moindre coût dans les métiers de l'administration générale et de soutien commun. En réponse, les états-majors ont trouvé une subtilité : le « soutien opérationnel » qui nécessite évidemment de préserver une marge de manoeuvre en ressources humaines projetables ! Bref, le rééquilibrage entre personnels civils et personnels militaires est la vraie question. Quant à la syndicalisation, nous connaissons tous des anciens militaires devenus civils et qui sont venus avec empressement taper à la porte des syndicats !
Enfin, les économies doivent être justes pour ne pas opposer civils et militaires. Encore faudrait-il se poser quelques questions de base : trouvez-vous normal que des conventions avec la SNCF maintiennent le quart de place pour le personnel militaire ? Cela se comprenait lorsque l'on demandait à un appelé de partir de Cherbourg pour aller servir à Toulon, et même pour les officiers et sous-officiers. Mais est-ce toujours justifié aujourd'hui ? Est-il normal de pérenniser des systèmes de financements des repas plus avantageux pour le personnel militaire ? Cela était également lié à la conscription, que M. Chirac a suspendue. Et les palais des gouverneurs, à Strasbourg, à Metz ou à Tours, sont-ils encore justifiés ? On divise pour mieux régner… En tant que parlementaires, vous devriez vous poser ce genre de questions ; goutte d'eau après goutte d'eau, cela pourrait peut-être aider au redressement des finances publiques.
Pour ce qui est des mesures d'accompagnement, vous avez compris que nous ne sommes pas d'accord sur la méthode.
Les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme confirment le besoin de dialogue social et de représentation des personnels militaires. Si nous voulons une complémentarité entre personnels militaires et personnels civils, il faut une même approche des deux côtés pour que les changements soient compris.
L'équilibre entre personnels civils et personnels militaires nous tient à coeur. À la fin de l'exercice 2015, la répartition sera la même qu'en 2007 – la marge de progrès est donc importante. Pour mener une réflexion de fond, nous devons connaître le format opérationnel des armées, information que nous demandons depuis fin 2013. Une fois cette donnée incontournable connue, nous pourrons nous demander si les emplois doivent être réservés à des personnels militaires ou transformés au fil du temps. Selon le travail actuel sur les activités de soutien, 4 000 à 5 000 postes pourraient être civilianisés, mais nos études montrent que plusieurs dizaines de milliers de postes dits non opérationnels exercés par des personnels militaires pourraient à terme être transformés au profit de personnels civils. L'article L. 4139-2 constitue une voie, mais elle ne doit pas être la seule. Il faudra parallèlement renouveler les personnels civils pour rajeunir la pyramide des âges, et travailler sur la complémentarité des compétences entre personnels militaires et personnels civils. À l'heure actuelle, ce dialogue de fond n'est pas entamé. Des mesures par petites touches ne permettront pas de faire toutes les économies souhaitées.
La plupart des personnels spécialisés dans la cyberdéfense sont recrutés comme contractuels. Or le recrutement des contractuels en application de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ne prévoit des bilans d'évaluation, avec une éventuelle revalorisation salariale, que tous les trois ans. Le régime des ingénieurs et cadres technico-commerciaux de la DGA est plus intéressant, mais il est actuellement totalement bloqué et cette dernière est dans l'incapacité de rendre ces postes attractifs. D'où les difficultés de recrutement. De surcroît, les personnes qui seront recrutées ne verront dans ces emplois qu'un tremplin pour acquérir des compétences et partir travailler ailleurs en l'absence de dynamique salariale. Il faut réfléchir sérieusement à cette question.
Les candidats au recrutement lisent la presse et les blogs spécialisés : ils ne viendront travailler au ministère de la Défense que par défaut et n'y resteront que tant qu'ils n'auront pas trouvé un poste plus intéressant dans le privé. En particulier, les spécialistes de la cyberdéfense intégreront la défense quelques années pour se constituer une carte de visite, avant de partir.
S'agissant du rééquilibrage entre personnels civils et personnels militaires, un objectif de 200 postes et un montant de plusieurs milliards d'euros avaient été évoqués il y a quelques années. Or l'impact sur la masse salariale de nos collègues militaires n'est pas à ce point colossal.
Je souscris à votre propos, monsieur Goulm, sur la stupidité de cette dépense de 23 millions d'euros. On se demande parfois où est la réflexion dans ce genre d'affaire…
J'ai interrogé le ministre récemment sur l'Hôpital du Val-de-Grâce, mais il est resté assez vague sur le sujet. Avez-vous des informations à nous communiquer ?
Vous avez parlé de 80 000 postes supprimés en dix ans. Quelle déflation est prévue pour les années à venir ?
La CFDT a évoqué la perspective de l'accord entre Nexter et KMW. Notre commission va se rendre à Munich dans quelques semaines, mais les représentants des personnels de Nexter ont d'ores et déjà été reçus sur les sites allemands. En avez-vous eu des remontées ? Qu'avez-vous retiré de cette prise de contact ? Nous nous posons en effet des questions sur le devenir de cette alliance et, surtout, sur les perspectives d'exportations. Les règles allemandes en matière d'exportation sont effectivement très différentes des nôtres, et nous ne souhaitons pas que les capacités de développement de l'entreprise soient bridées. En outre, nous nous inquiétons du manque de visibilité de KMW sur son plan de charges à terme – sans doute le groupe allemand considère-t-il Nexter, bénéficiaire du programme Scorpion, comme un partenaire très intéressant… Autrement dit, pour faire simple, nous nous pourrions nous retrouver, une fois de plus, à travailler pour le roi de Prusse ! Cela étant dit, je souscris à votre propos sur la nécessité de faire progresser la construction d'une industrie européenne de la défense, en particulier au regard des surcapacités de l'armement terrestre.
Enfin, le représentant de la CGC a engagé les parlementaires à prendre des « décisions courageuses ». Qu'entendez-vous par là, monsieur Denis ?
On parle beaucoup d'Europe, mais la défense relève du budget et de la souveraineté de chaque État. Les efforts de la France en la matière devraient être pris en compte dans les fameux critères de Maastricht.
Nous comprenons vos revendications, en particulier à propos de la cyberdéfense, mais le redressement de nos déficits, dans un contexte difficile, nécessite des mesures aussi désagréables pour nous que pour vous.
Plusieurs d'entre vous ont évoqué la fermeture éventuelle du Val-de-Grâce. Dans le cadre de la mission sur le suivi des blessés militaires, dont je suis chargée avec notre collègue UMP Olivier Audibert Troin, il ressort de nos contacts avec le SSA que la fermeture de cet hôpital n'est pas encore officielle. Je comprends vos revendications catégorielles, mais pas votre propos sur la réorganisation que vous jugez improvisée du SSA. En effet, le projet SSA 2020 comporte deux volets : l'affirmation du rôle des médecins en opération et sur les bases, d'une part, au plus près de nos militaires, et le maillage territorial en lien avec les hôpitaux civils, d'autre part. À l'heure où l'on demande 10 milliards d'euros d'économies à la sécurité sociale, cette réorganisation me semble indispensable. Pensez-vous réellement que ce projet est susceptible de remettre en cause la bonne organisation de l'accueil de l'ensemble des personnels sur un territoire donné ? Qu'attendez-vous de cette réorganisation ?
Depuis des années, le budget que la France consacre à la défense nationale est notoirement insuffisant. Nos élus n'ont pas connu la guerre, ils ont le ventre plein et pensent que la paix est la norme, alors que l'actualité montre clairement l'inverse.
Pendant ce temps, des choix politiques ont été faits : l'explosion du budget consacré à l'aide médicale d'État, qui atteindra bientôt le milliard d'euros ; la création inutile de 60 000 postes supplémentaires dans l'Éducation nationale ; une réforme des rythmes scolaires qui va coûter aux communes rurales les yeux de la tête et forcera les maires à augmenter leur fiscalité. Au final, toutes ces réformes aboutiront à la disparition de l'hôpital public et de l'école publique, qui seront privatisés dans les dix ans à venir.
Les hiérarques ne jurent que par Bruxelles – nous avons été très peu nombreux à voter contre les derniers traités. Or on découvre aujourd'hui que les commissaires européens souhaitent porter atteinte à la souveraineté des nations.
J'ai eu l'occasion de m'intéresser de très près à la condition des surveillants pénitentiaires. La fiscalisation des heures supplémentaires a-t-elle eu, comme ce fut le cas chez eux, un impact sur le pouvoir d'achat des ouvriers d'État et du personnel civil ?
Enfin, le délai de reconfiguration des munitions est passé de trois mois à un an, alors que les théâtres d'opérations extérieures se multiplient, sans qu'on connaisse la stratégie suivie. Comment se fait-il que les organisations syndicales ne nous parlent pas du service interarmées des munitions ?
Les dernières informations qui viennent de tomber annoncent la transformation de l'hôpital du Val-de-Grâce en pôle de recherche, la dissolution d'un régiment d'artillerie, le désarmement de cinq bâtiments de la marine nationale et la fermeture d'une base navale.
Dans notre récent rapport sur l'exécution des crédits de la Défense, vingt pages sont consacrées à la cyberdéfense, un des seuls secteurs pour lequel la LPM prévoit la création de postes supplémentaires, au nombre de 350, répartis entre la DGA – 190 postes –, l'agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) et le centre d'analyse de lutte informatique défensive (CALID), avec 80 postes chacun. Actuellement, les troupes sont constituées essentiellement d'autodidactes, faute de structures de formations spécifiques, hormis dans le domaine de la cryptologie. Nous fondons beaucoup d'espoirs dans cette activité où la concurrence entre le public et le privé est loin d'être vérifiée.
Vendredi dernier, à la base navale de Toulon, j'ai rencontré un polytechnicien qui y exerce comme responsable du SID. C'est la preuve que des gens de très haut niveau ne sont pas obligatoirement attirés par le privé et trouvent encore beaucoup de plaisir à travailler dans des fonctions étatiques de la Défense. On ne peut donc parler de fuite des compétences, si ce n'est dans certains métiers très particuliers, où lorsque des atomiciens et certains informaticiens partent dans le privé, il faut à tout prix assurer la continuité grâce à une réserve opérationnelle. Une réflexion est d'ailleurs en cours sur une réserve opérationnelle de la cyberdéfense, et la commission suivra ce dossier avec attention.
Monsieur Hillmeyer, je ne crois pas un seul instant que le chef d'état-major de l'armée de l'air de l'époque se soit amusé à déplacer le commandement des forces aériennes de Metz à Dijon en sachant qu'on fermerait Dijon pour le transférer à Bordeaux deux ans plus tard. Si de telles décisions sont prises, y compris au plus haut niveau, c'est simplement par manque de visibilité à court terme. Il serait déplorable que les mêmes bêtises soient commises aujourd'hui.
Les restructurations que je viens d'annoncer sont prévues pour 2015, et nous ne savons pas ce qui se passera à partir de 2016.
Nous sommes bien d'accord. Les chefs d'état-major savent que 33 000 postes devront être supprimés à partir de 2014, car la mesure est en réalité comptable : la loi de programmation militaire prévoit la suppression de 24 000 postes, mais personne ne sait quel format doit atteindre chaque direction, chaque service, chaque état-major d'ici à 2019. Je précise au passage que cette situation est très anxiogène pour les personnels.
Nous savons que l'hôpital du Val-de-Grâce va fermer – en fait, nous le savions depuis la semaine dernière… L'annonce du ministère à l'instant est un pétard mouillé. Nous n'avons aucun élément sur l'avenir du site, le ministre sera plus à même de vous répondre.
Les déflations d'ici à fin 2019 sont connues : 54 000 plus 24 000 égalent 78 000 postes, soit plus de 25 % des effectifs de la défense depuis 2008 ! Imagine-t-on un groupe industriel, quel qu'il soit, annoncer un plan de suppression d'une telle ampleur dans un pays comme le nôtre ? Cela aurait fait un tollé abominable. Malheureusement, la Défense est un secteur qui intéresse beaucoup moins l'opinion publique…
En tant que délégué syndical central adjoint CGT pour le groupe Nexter, je peux vous dire que les représentants syndicaux français n'ont pas été invités en Allemagne.
J'imagine que c'était au titre de leurs fonctions salariées, car nos échanges sur les savoir-faire viennent de commencer. Par contre, les syndicats ont prévu de se rencontrer le 28 octobre à Bruxelles pour comparer leurs niveaux d'information sur ce projet d'alliance qui nous a été présenté le 1er juillet. En effet, si le schéma est clair, à savoir deux sociétés chapeautées par une société de droit néerlandais détenue à parts égales par Giat Industries et la famille Bode-Wegmann, le contenu réel l'est moins car le groupe Krauss-Maffei Wegmann communique assez peu, n'étant pas tenu à une obligation de publication financière. Aussi les déclarations du ministre de l'Économie allemand nous font-elles douter de la validité de la commande que leur aurait passée le Qatar. Nous n'avons donc pas d'informations précises sur le carnet de commandes – la data room entre les deux sociétés est ouverte depuis avant-hier –, d'où nos doutes sur la valorisation de Nexter et de Krauss-Maffei.
Vous appelez de vos voeux la consolidation de l'industrie de l'armement. Mais est-ce la priorité en Europe, sachant que le politique et le militaire ne sont pas consolidés, et que nous sommes confrontés à une multiplicité de marchés nationaux ? La société MBDA, très intégrée au niveau européen, a maintenu une filiale autonome en Allemagne pour répondre aux spécificités du marché allemand, mais elle rencontre les pires difficultés pour exporter. En matière d'exportations, les critères allemands sont différents des nôtres, parfois plus exigeants, en tout cas pour l'armement terrestre. Cette situation interroge sur le futur mariage entre les deux groupes, mais nous aurons l'occasion d'en reparler.
L'annonce de la fermeture de l'hôpital du Val-de-Grâce ne nous paraît pas répondre à une vision planifiée du service de santé des armées. Nous déplorons également que la Cour des comptes ait préconisé la disparition d'au moins un hôpital, si ce n'est deux. Il est vrai que, souvent, la Cour des comptes trace le chemin ; mais elle le fait parfois sans se soucier des objectifs. J'adore ce terme de « résilience », mais j'aimerais qu'on m'explique comment augmenter la résilience de ce pays face à la menace ! Un jour, nous finirons par nous prendre un pavé sur la figure sans savoir comment réagir, parce que nous ne faisons rien pour nous mettre en situation de réagir.
Je n'opposerai pas le budget de l'Éducation nationale à celui de la Défense : les missions de l'État sont nombreuses et il faut bien les concilier. Nous déplorons globalement que les missions de l'État ne soient plus garanties et que l'on privilégie une politique de l'offre au détriment des missions régaliennes.
La remarque de M. Dhuicq sur le SIMu est tout à fait pertinente. La décision brutale prise à propos du SIMu préfigure sa disparition à terme, ce qui pose de réels problèmes en termes de soutien des forces. Nous aimerions comprendre quelle alternative est proposée, en particulier au regard de l'articulation avec les industriels. En effet, l'externalisation fait apparaître soit des sociétés prestataires de services, comme les filiales de GDF Suez, qui offrent des services efficaces, mais non spécifiques, soit des industriels de l'armement dont les offres sont pertinentes, mais qui ne remplissent pas tous les besoins opérationnels des armées car les statuts de leurs personnels ne le permettent pas. Vous l'avez compris : nous sommes en cours de réflexion sur cette question. Ce qui explique que nous n'en ayons pas parlé dans nos déclarations.
Je suis d'accord avec ce qui vient d'être dit sur le SIMu. J'ajoute que ce service a été créé récemment et que la rationalisation de la gestion des stocks de munitions est à peine terminée.
S'agissant de la restructuration des hôpitaux, nous avions réussi à tuer deux fausses rumeurs en amont de la publication du Livre blanc. Pour le Val-de-Grâce, on nous a indiqué que la décision du ministère était provisoire et qu'elle tiendrait compte de la carte sanitaire de l'Île-de-France, sachant que le public civil a aussi le droit d'être soigné par les médecins travaillant dans les hôpitaux d'instruction des armées. C'est ainsi que le projet SSA 2020 comprend deux grandes composantes : une composante HIA spécialisée OPEX et une composante plateforme d'hôpitaux répondant aux objectifs de rationalisation de l'agence régionale de santé. Aux ministres compétents de valider ce qui leur sera proposé.
J'ai été très surpris d'entendre que tous les personnels avaient été associés à l'élaboration du projet SSA 2020. À ma connaissance, les personnels civils ne l'ont pas été, les organisations syndicales encore moins, ce projet ayant simplement été présenté lors d'un comité technique de réseau du service de santé des armées. Lors du dernier comité technique ministériel du mois de juillet, la CFDT a dénoncé le fait que le dialogue social était au point mort au sein du SSA. Après avoir reçu les organisations syndicales, celui-ci a alors décidé la mise en place d'une procédure de rénovation du dialogue social, ce dont nous nous félicitons.
Les décisions courageuses que nous pourrions souffler à la représentation nationale dans le but de préserver la capacité de défense de la France sont de trois ordres. Premièrement, il faudrait voter des crédits budgétaires solides, plutôt que tabler sur des recettes exceptionnelles et donc aléatoires, en particulier éviter de créer des sociétés de projets. Deuxièmement, il faudrait tout simplement respecter le Livre blanc, en accordant les postes de soutien aux personnels civils et les postes opérationnels aux militaires, ce qui permettra au ministère de faire des économies puisque – nous ne cessons de le répéter depuis des années – les personnels civils coûtent moins cher que les personnels militaires. C'est pourtant du simple bon sens ! Troisièmement, il faudrait reprendre les recrutements des personnels civils et développer en leur faveur les mesures catégorielles – par comparaison avec les militaires, nous sommes vraiment en disette dans ce domaine.
Le manque de visibilité sur les réformes est criant, l'absence de dialogue social l'est encore plus. Cela est d'autant plus surprenant que l'article 43 de la LPM prévoit que les comités techniques seront consultés sur les questions relatives à l'organisation et au fonctionnement des services du ministère de la Défense. Dans ces conditions, les restructurations n'auront de sens que si elles s'accompagnent d'un dialogue social en amont.
Nous sommes dans un processus de fuite en avant, en raison du manque de cohérence entre sens, discours et réalité. Le sens, sur lequel nous sommes tous d'accord, est le maintien d'une capacité de défense ; mais le discours est avant tout comptable. Quant à la réalité, c'est une véritable situation de chaos : la désorganisation règne partout.
Sur les projets de service, dans tous les cas, le dialogue social reste à la marge. En outre, leur élaboration se base sur les moyens disponibles, et non sur les nécessités d'un service, comme le SSA ou la DGA, ce qui fausse la donne.
À l'inverse, il n'est pas logique de laisser développer des projets sans avoir conscience des moyens dont on dispose…
Merci, mesdames, messieurs, de cet échange très intéressant.
La séance est levée à treize heures.