Intervention de Sophie Morin

Réunion du 15 octobre 2014 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Sophie Morin, secrétaire générale adjointe de la CFDTfédération des établissements et arsenaux de l'état :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, l'année 2014 est au carrefour d'enjeux sensibles et souvent contradictoires pour la défense, entre, d'une part, les menaces qui, en se développant et se complexifiant, appellent à renforcer les moyens techniques et humains de nos armées, et, d'autre part, les questions budgétaires qui rendent l'exercice de définition du PLF pour 2015 particulièrement difficile.

Si nous regardons le document présenté par le ministre, toutes les commandes et livraisons de matériels semblent préservées : tel n'est pas le cas en revanche du traitement social des personnels.

Le projet de loi s'inscrit, selon le ministre, dans la mise en oeuvre du Livre blanc de 2013 et de la loi de programmation militaire 2014-2019, qui a l'ambition de concilier, sur le long terme, notre autonomie stratégique et notre souveraineté budgétaire. Ce sont les mots du ministre. La CFDT privilégie une formule inverse en mettant l'autonomie budgétaire au service de la souveraineté stratégique.

La recherche effrénée d'économies, qui a sapé les moyens, les compétences et même le moral des troupes civiles et militaires, a servi de cap à la définition du nouveau modèle de défense, quoi qu'on en dise.

Ce modèle d'armée repose sur la capacité à faire face à la triple mission de la protection du territoire et de la population, de la dissuasion nucléaire contre les menaces visant nos intérêts vitaux et de l'intervention au titre de notre sécurité extérieure et de nos responsabilités internationales.

Après l'Ukraine, le Sahel et l'action contre le terrorisme islamiste au Moyen-Orient et ailleurs, les enjeux géostratégiques deviennent un casse-tête pour la France, alors que l'Europe n'a toujours pas défini de politique extérieure commune. L'Europe de la défense sur le plan politique n'est pas pour demain.

Il faut donc assurer notamment la protection des intérêts français. Or, face notamment au phénomène glissant de la piraterie maritime, protéger nos intérêts dans le deuxième espace maritime au monde relève de la gageure. En témoignent les moyens accordés à la marine nationale pour la mission de surveillance dans l'océan Indien et le récent incendie de la frégate de surveillance Nivôse.

Le fait que cette frégate soit hors service pour un bon moment est un coup dur pour la marine nationale en cette période de disette budgétaire. La Réunion est d'ailleurs l'une des zones où l'état de la flotte est le plus préoccupant, ce qui met en lumière le caractère vieillissant des unités basées dans cette partie de l'océan Indien.

Les marins basés à La Réunion font avec les moyens du bord pour remplir leurs nombreuses missions, dont certaines revêtent plus que jamais un caractère stratégique. Les opérations couvrent une zone qui s'étend du nord de l'océan Indien, en vue de protéger le trafic commercial de la piraterie et du terrorisme, jusqu'à l'océan Austral, où il faut faire respecter la souveraineté française autour des archipels de Kerguelen, Crozet et Saint-Paul et Amsterdam. Ces territoires offrent une zone économique exclusive aussi immense que convoitée pour ses ressources, notamment halieutiques. La marine nationale doit également veiller sur les îles Éparses et une bonne partie du canal du Mozambique jusqu'au nord de Madagascar. L'écosystème remarquable et le sous-sol marin abritent des réserves d'hydrocarbures et de gaz qui se révéleront cruciales dans l'avenir. Pour protéger son territoire et les richesses qui s'y trouvent, la France doit disposer de moyens suffisants, ce qui n'est clairement pas le cas aujourd'hui.

J'ai pris l'exemple de la marine ; d'autres illustreraient les carences existant dans les autres armées. Les cache-misère ne tiennent plus.

À la défense, tout est vieillissant : les matériels, les compétences et les personnels. Si le rayonnement de la défense française tient à l'héritage, aux investissements du passé et à l'effort permanent des femmes et des hommes qui la composent, le renouvellement insuffisant, en termes de recrutements ou de R & D, gage la défense de demain.

Le ministre a présenté les programmes d'équipement qui seront lancés d'ici à la fin 2014 : Scorpion, dans le domaine du combat terrestre, le MRTT, dans le cadre du renouvellement de la capacité de ravitaillement en vol, le missile balistique M51 pour le développement d'une nouvelle version, et le Barracuda, pour la commande du quatrième sous-marin.

Le PLF pour 2015 intègre l'arrivée d'avions A400M, d'hélicoptères NH90 et Tigre, d'avions Rafale, une frégate multimission FREMM et les derniers VBCI : 2015 est donc une année importante pour le renouvellement de nos capacités.

Or, dans le même temps, le ministre de la Défense nous apprend le lancement d'une nouvelle initiative pour pallier le manque de recettes exceptionnelles et gérer un lissage du budget : il est décidé à lancer une ou plusieurs sociétés de projets, qui lui permettront de dégager de nouvelles marges de manoeuvre financières. Cette opération compenserait l'absence en 2015 du produit de la vente des fréquences, soit 2,1 milliards d'euros. Abondée par les cessions de participations de l'État dans des entreprises publiques, la société de projet achètera des équipements aux industriels et les mettra à disposition des armées contre un loyer.

Pour certains, c'est le recours à une sorte de « crédit revolving » tandis que d'autres parlent du lancement d'un Kiloutou à la défense…

Comme d'habitude, le calendrier de la mise en oeuvre de cette société est tendu, puisqu'elle doit intervenir avant le 14 juillet, sans qu'on sache encore si ce sera une société exclusivement à capitaux publics ou si des capitaux privés interviendront.

« On va regarder », a expliqué le délégué Laurent Collet-Billon, une formule qui n'est pas sans rappeler celle du général Rouzeau lors du lancement des bases de défense : « On verra en marchant ».

La CFDT est réservée sur ces initiatives à l'emporte-pièce. Les personnels et les missions de la Défense en ont subi d'autres : je rappellerai les externalisations et les partenariats public-privé qui n'ont jamais fait leur preuve, bien au contraire, que ce soit en termes d'efficacité ou de coût.

Quant à la réforme de la gouvernance et de l'organisation du ministère, qui se poursuivra en 2015, cinq domaines prioritaires ont été retenus : la gestion des ressources humaines, l'organisation de la chaîne financière, l'organisation des soutiens en bases de défense, le maintien en condition opérationnelle des matériels et les relations internationales et stratégiques. Au total, trente et un projets sont lancés, avec un objectif central : rationaliser l'administration et mutualiser les soutiens tout en maintenant la qualité de service.

La CFDT ne peut approuver cette cadence infernale, subie par des personnels déboussolés et victimes de risques psychosociaux au sein de services déjà en sous-effectifs et en surcharge de travail. Car, à la clé, le ministre l'a annoncé devant vous, mesdames et messieurs les députés, les deux tiers des déflations nouvelles décidées en 2013 visent le soutien et l'administration, à la hauteur de 15 500 postes.

Le PLF pour 2015 poursuit donc la contribution de la Défense au redressement des finances publiques, qui se traduit en premier lieu par des réductions d'emplois – 7 500 en 2015 –, la trajectoire de la loi de programmation militaire prévoyant une diminution totale de 34 000 emplois sur la période 2014-2018. La contribution du ministère se traduit également par des réorganisations profondes et de nouvelles restructurations, dont le détail est rendu public aujourd'hui.

Les quelques éléments dont nous disposons ne peuvent que nous inquiéter, en raison notamment du choix de l'échenillage qui supprime entre deux et dix personnels civils dans de nombreux secteurs. Cette méthode, qui dilue plusieurs milliers de postes au total, aggravera encore les difficultés que rencontrent les personnels civils et militaires dans l'accomplissement de leurs missions. De plus, près de 2 500 postes seront supprimés dans le cadre d'une vaste réorganisation par le biais de ce qu'il est convenu d'appeler la « manoeuvre RH ».

Le MCO terrestre et aéronautique sera concerné. Pour le renforcer ? Nous en doutons. Les centres ministériels de gestion devraient également être revus et corrigés alors que leurs effectifs auraient besoin d'être renforcés.

Que dire du service de santé des armées à propos duquel un grand nombre de rumeurs ont filtré dans la presse depuis plusieurs semaines ? L'arrêt des prestations hospitalières du Val-de-Grâce et le projet d'y recentrer la formation et la recherche sont à l'ordre du jour. C'est un cataclysme pour cet établissement vitrine, que les responsables successifs ont laissé à l'abandon alors qu'il aurait fallu maintenir à niveau ses infrastructures.

Je tiens aussi à évoquer le groupe industriel Nexter, engagé dans un projet ambitieux. Après plusieurs mois d'empoignades avec le ministère des Finances, nous apprécions particulièrement de voir figurer la première tranche de la commande Scorpion dans le PLF pour 2015. Ce programme, très attendu par les industriels de la défense terrestre, voit enfin le jour. Il apportera de la charge de travail au groupement momentané d'entreprises constitué de Nexter, RTD et Thales et servira de socle au projet KANT pour Nexter et KMW – Krauss-Maffei Wegmann GmbH & Co. S'agissant de KANT, il nous semble indispensable de préciser le contenu de l'accord du 1er juillet, notamment les principes directeurs de la future alliance. Il nous semble également important de clarifier la position du politique allemand en matière d'autorisation de ventes à l'export.

Enfin, parallèlement à la publication de la loi de privatisation en cours d'élaboration, nous demandons que des garanties industrielles en termes de maintien des sites, et sociales, en termes de maintien et de développement des emplois, soient apportées aux salariés, garanties intégrant, entre autres, le statut des personnels relevant du ministère de la Défense – ouvriers sous décret et fonctionnaires détachés – ainsi que le maintien de la représentation des salariés dans les différentes instances de gouvernance.

Si la CFDT est favorable à la constitution d'une Europe industrielle de la défense terrestre, ne serait-ce que pour permettre à l'industrie française d'échapper au risque d'isolement, cette Europe doit se construire en toute transparence et tenir compte de l'avis des salariés, pour permettre le développement de ce secteur stratégique d'activité et garantir un avenir aux personnels qui le composent.

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