Intervention de éric Brune

Réunion du 15 octobre 2014 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

éric Brune, membre du bureau fédéral de la CGT :

Nous sommes, comme tous les ans reçus, devant la commission de la Défense et des forces armées pour être écoutés sur le budget de la Défense. Nous savons que vous souhaitez nous entendre sur la situation des personnels civils ; nous évoquerons également d'autres points.

Le budget pour 2015 est celui de la deuxième année d'exécution de la loi de programmation militaire. Comme vous nous recevez le jour même où le ministre de la Défense doit annoncer les unités restructurées pour cette année, nous ne pourrons guère en parler dans le détail.

Rappelons toutefois le cadre général, à savoir le maintien du gel des rémunérations pour les personnels, qui est insoutenable pour les salariés du ministère comme pour tous ceux de la fonction publique, et la suppression de 7 500 postes – 1 117 emplois de personnels civils, dont 1 017 personnels ouvriers de l'État –, sans oublier, depuis des années et pour des années encore, une situation de restructurations permanentes, qui n'est pas sans répercussion sur la santé physique et psychique des salariés du ministère de la Défense.

Je tiens également à évoquer des efforts de restructuration ciblés surtout sur le soutien des forces, qui rendent la projection en opération extérieure toujours plus périlleuse. Tout en observant, dans un rapport récent sur le maintien en condition opérationnelle, qu'il faudra assurer le maintien des compétences des personnels, la Cour des comptes, par entêtement idéologique, prône le recrutement de personnels contractuels à la place des ouvriers d'État : elle ne propose pas le statut de fonctionnaire parce qu'elle est bien consciente de l'inadaptation des grilles de rémunération de la fonction publique pour des personnels ouvriers et techniciens à forte qualification.

Quant au projet de fermeture du Val-de-Grâce, évoqué ces derniers jours, il provoque notre colère : en effet, c'est l'absence d'entretien régulier qui conduit aujourd'hui à proposer la fermeture de cet hôpital prestigieux et utile aux armées, mais aussi aux populations civiles qui bénéficient des soins qui y sont dispensés. On nous parle souvent de la capacité de résilience du pays en cas d'attaque de son territoire ou de ses intérêts : or le service de santé des armés en est une composante importante. C'est pourquoi la CGT, aux côtés des personnels et, nous l'espérons, de la population, s'y opposera par tous les moyens à sa disposition.

La CGT revendique une autre politique budgétaire, qui ne sacrifie plus l'action publique au prétexte d'un équilibre des comptes jamais atteint. Elle demande la fin des politiques d'austérité qui touchent les dépenses publiques et sociales tout en augmentant les transferts non ciblés en direction des entreprises, au nom d'une prétendue politique de l'offre. Or cette politique conduit à la stagnation de notre économie et à la diminution de l'efficacité des impôts et des prélèvements sociaux.

Ce jugement peut paraître général : il trouve une illustration dans le projet de budget de la Défense. Sanctuarisé dans la LPM, dit-on, à hauteur de 31,4 milliards d'euros, il connaît un déficit de financement à hauteur de 2, 3 milliards d'euros, correspondant aux financements exceptionnels, qui ne sont en 2015 qu'une monnaie de singe. Il est également menacé en raison du sous-financement des opérations extérieures. Pour 2014, le chiffre de 650 millions d'euros est évoqué, dont 130 millions resteraient à la charge du budget de la Défense, le reliquat étant financé par les autres budgets de l'État. À quel chiffre devons-nous nous attendre pour 2015 ? Tous les autres contributeurs financiers seront-ils au rendez-vous ?

Que dire également des sociétés de projets qui ne concerneraient pas les armes ? Elles représentent à nos yeux la concrétisation capitalistique des groupements formés lors des périodes de dialogue compétitif et de développement de certains partenariats public-privé. Ces solutions renforcent l'endettement public selon les normes comptables européennes et ont à terme un coût plus élevé pour le budget de la Défense. Nous y sommes donc évidemment opposés : le symbole politique est funeste et la pratique financièrement inefficace. Il est toutefois difficile de se prononcer plus en détail sur un thème encore si mal défini, qui vise à transformer la monnaie de singe des ressources exceptionnelles en une dette supplémentaire à long terme.

En tant que syndicalistes du ministère de la Défense, nous ne pouvons pas éviter de revenir sur le jugement de la Cour européenne des droits de l'homme : la France ne respecte pas le droit à se syndiquer des militaires, reconnu par la Convention européenne. La CGT, comme toutes les organisations ici présentes, est signataire depuis 2001 d'une plateforme intersyndicale pour la syndicalisation des militaires dans des organisations confédérées, seule solution pour échapper au corporatisme et à ses excès. La représentation actuelle des militaires est inefficace et insatisfaisante. Aucun bricolage autour du droit de réunion ou d'association ne réglera le problème. Il faut avancer sur ce point et se mettre, avec rigueur et responsabilité, en conformité avec la Convention européenne des droits de l'homme. La CGT y est prête.

Le budget de la Défense à de lourdes répercussions sur les industriels de la défense et leurs 165 000 salariés, dont nous nous ferons brièvement les porte-parole en tant qu'organisation confédérée. La loi de programmation militaire, taillée au plus juste, est menacée chaque année dans son exécution. Le volume des armées, impliquant celui de leur équipement et des commandes à l'industrie, est revu à la baisse, retardé ou étalé hors de tout bon sens. Le programme Scorpion est maintenu : nous nous en félicitons. La commande des VBMR et EBRC devrait être notifiée à la fin de l'année, voire dès le mois prochain, mais elle serait découpée en un trop grand nombre de tranches conditionnelles, avec des échéanciers de livraison parfois très improbables, comme les EBRC livrés à raison de deux par mois jusqu'en 2030. Le dernier AMX 10RC, retiré du service à cette date, aura quarante ans : ses coûts de soutien ne pourront qu'augmenter en proportion des obsolescences rencontrées. Quelle modernisation est-il possible d'envisager pour un matériel certes valeureux, mais aussi âgé ? Comment, par ailleurs, assurer la formation des unités qui recevraient deux engins par mois ? C'est inconcevable. Or c'est tout ce que les LPM telles que nous les connaissons nous permettent d'acheter, pour autant qu'elles soient respectées. La réduction des livraisons de FREMM à la marine nationale est maintenant actée, alors que la disponibilité de notre flotte est sous tension, une tension aggravée par l'incendie du Nivôse qui immobilisera sans doute pour longtemps une de nos six frégates de surveillance.

Rappelons que la LPM est toujours mise sous tension par la nécessité d'assurer un plan de charge lissé pour Dassault en ce qui concerne le Rafale – une LPM dont vous activerez, l'été prochain, sa clause de revoyure : nous sommes en droit de craindre le pire.

Ces incertitudes révèlent combien il est risqué de dimensionner son outil de défense en privilégiant l'exportation. Encore la société Dassault est-elle largement diversifiée vers l'aviation civile ! La société Nexter Systems, elle, une fois qu'elle aura fini de livrer les VBCI, n'aura plus à produire sur son site de Roanne que des Aravis pour l'Arabie Saoudite. Cela pose le problème du maintien des compétences et des moyens de production, dans l'attente de la mise en production des VBMR en 2018, si la commande ne subit aucun retard. Nexter Systems une société trop faiblement diversifiée, qui n'a emporté aucune commande export dans les systèmes blindés depuis trop longtemps, tout en subissant les contrecoups des étalements de commande de l'État qui devraient structurer son activité. Nous aurons l'occasion d'évoquer à nouveau prochainement cette société puisque le projet de privatisation doit être présenté au Parlement cet hiver : il aboutirait, s'il était mené à son terme, à la disparition, d'ici à dix ans, du blindé en France et à une fragilisation d'EURENCO, fabricant national de poudre et explosifs, qui se retrouverait de nouveau isolé et en danger.

Vous le comprendrez, mesdames et messieurs les députés, la CGT refuse ce projet de budget qui ne permet ni à la France de disposer des moyens suffisants pour assurer sa défense, ni de répondre aux besoins de ses salariés tant militaires que civils – des personnels civils à même de voir que les mesures catégorielles ne sont pas au rendez-vous et qui notent la constante augmentation des sommes visant à accompagner les restructurations, c'est-à-dire la casse de leur outil de travail.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion