Intervention de Jean-Luc Champonnois

Réunion du 15 octobre 2014 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Luc Champonnois, secrétaire général de l'UNSA-Défense :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, nous tenons d'abord à vous remercier de permettre aux organisations syndicales représentatives du ministère de s'exprimer sur le budget pour 2015 de la Défense.

Je tiens à réaffirmer en préambule que l'UNSA-Défense est attachée à une capacité de défense et de sécurité nationale permettant d'assurer la souveraineté de la France, tout en étant consciente de la nécessité de préserver les finances publiques. Trouver un équilibre entre ces deux dimensions justifie une réelle modernisation du ministère qui ne peut reposer, de la part de la représentation nationale comme de toutes les parties prenantes, que sur une réelle volonté de changement se traduisant par des décisions courageuses et des actions volontaristes, à la fois opportunes et réalisables. Néanmoins, soulignons-le d'emblée, le ministère de la Défense ne peut plus continuer à supporter sans dommage irréversible la plus grande partie de l'effort national.

Nous tenons à rappeler ici même l'action de votre commission pour moderniser le dialogue social au sein du ministère, dans le cadre de l'article 43 de la loi de programmation militaire, qui l'a ouvert plus largement aux questions d'organisation et de fonctionnement des services. L'examen des décrets et arrêtés d'application présentés lors du dernier comité technique ministériel montre toutefois que du chemin reste à parcourir pour que les employeurs accompagnent la dynamique. Le soutien de votre commission sera important et nous comptons sur vous pour vérifier la bonne application de cette mesure tant dans la lettre que dans l'esprit.

La volonté politique de maintenir le financement des équipements est pour l'UNSA Défense un signe fort que nous soutenons : nous n'oublions pas, en effet, le nombre élevé de nos soldats engagés sur les théâtres d'opérations comme l'importance des industries d'armement pour notre pays. L'effort porté sur la cyberdéfense est un enjeu stratégique et nous nous félicitons de la démarche engagée, notamment au sein de la direction générale de l'armement.

Cette volonté politique est toutefois confrontée à un contexte budgétaire qui nous fait assister, année après année, au sacrifice du budget de la Défense. Certes, l'UNSA-Défense a bien entendu les propos de M. Eckert, secrétaire d'État chargé du Budget, selon lesquels les opérations extérieures seraient financées par le budget général et non par celui du seul ministère de la Défense. Il n'en reste pas moins qu'en voulant, dans un tel contexte budgétaire, maintenir sa capacité d'investissements en équipements, le ministère est réduit, d'une part, à évoquer à la hâte des expérimentations que nous n'espérons pas hasardeuses comme la création de sociétés de projet, et, d'autre part, à exercer une pression sur les services de soutien devenue difficilement supportable.

L'UNSA-Défense ne peut donc que dénoncer l'inconséquence des politiques qui se sont succédé depuis plusieurs décennies et qui ont simplement consisté à reporter sans cesse des mesures en profondeur et à raisonner en termes purement comptables.

Si le pays va mal et le ministère de la Défense très mal, le personnel, militaire et civil, qui la sert avec dévouement et un sens du service indiscutable, va encore plus mal. Pourtant la Nation attend beaucoup de ce ministère et de ses agents, dès lors que la sécurité intérieure ou extérieure est menacée, ce qui est un paradoxe pour un ministère « non prioritaire », pour reprendre la classification « politiquement correcte » du Gouvernement. Tout le monde attend, voire exige, beaucoup de lui ; mais, lorsqu'il s'agit de faire des économies, tout le monde se retourne également vers lui… Trop docile probablement de par sa forte culture hiérarchique, trop soucieux surtout de remplir les missions qui sont les siennes, le ministère de la Défense est depuis de nombreuses années soumis à d'incessantes restructurations qui, par couches successives, le placent désormais dans une situation de chaos.

Le budget pour 2015 de la Défense ne saurait nous rassurer : déjà très contraint, il sera assorti de ressources exceptionnelles à hauteur de 2,3 milliards, qui ne seront pas disponibles en temps nécessaire. Nous le savons, vous le savez ! À tel point que vous envisagez de mettre en place des sociétés de projet, sorte de sociétés de leasing d'armements pour pallier le manque de financement. Ce faisant, l'État aggrave la fuite en avant dans laquelle il engage la défense. Si l'affichage de la tenue de la loi de programmation militaire 2014-2019 peut se faire au prix d'acrobaties de construction budgétaire, la défense et la sécurité nationale perdront en capacité à mesure que les programmes d'armement s'étaleront dans le temps. Ils coûteront à la fin bien plus chers, et plus encore si les armements sont acquis en leasing, sans compter les risques inhérents à ce type de société à capitaux mixtes publics-privés. Nous attendons de votre commission qu'elle nous informe non seulement de la manière dont ces sociétés de projet seront financées et gérées à court et moyen termes, mais surtout de la vision stratégique à long terme qui préside à leur mise en place.

L'analyse fonctionnelle que les politiques demandent à la défense pour cibler les économies gagnerait à être appliquée à toute la fonction publique sans exception. Dans de nombreux secteurs de vraies économies sont à réaliser, s'agissant des coûts de structure ou de dépenses indécentes ou improductives.

Notre premier message sera donc : cherchez les économies ailleurs, le ministère de la Défense a assez donné. La capacité de défense de la Nation en dépend. Les 2,3 milliards de ressources exceptionnelles, prévues mais manquantes, doivent être abondés à même hauteur par des ressources budgétaires pour garantir la bonne exécution de la LPM sans hypothéquer l'avenir.

En raison de la pression qui lui est imposée, le ministère, et singulièrement ses services de soutien, verra encore ses effectifs fondre de 7 500 emplois en 2015. Il est, pour ne pas changer, le principal contributeur avec environ 65 % des emplois supprimés dans la fonction publique au titre de cette année. En revanche, ses missions restent identiques. Le « faire toujours plus avec chaque fois moins de moyens » a atteint ses limites : les services de la défense ont maintenant pour consignes de « faire ce qu'ils peuvent avec moins » …

Il y a quelques années encore, ce discours aurait été perçu comme excessif, car tenu par des syndicats corporatistes campés sur leurs avantages. Or, mesdames et messieurs les députés, ce discours est aujourd'hui tenu au sein même du ministère, dans les services de soutien comme au sein des forces. Il ne peut rester sans réponse, ni du ministre, ni de votre commission. Les dysfonctionnements au sein du ministère ne cessent de s'aggraver. Quant aux personnels qui subissent directement la pression, ils atteignent la limite humainement acceptable. Les conditions de travail se dégradent et la montée des risques psychosociaux atteint un niveau d'alerte que seule leur inconséquence conduit les autorités à ne pas vouloir regarder en face. Et que dire de la reconnaissance, sinon qu'elle devient nulle, en raison d'un management inadapté de parcours professionnels qui se ferment et de revalorisations catégorielles et de taux de promotion insuffisants ?

Notre deuxième message sera donc : arrêtez d'accentuer la pression sur la défense par des réductions d'effectifs qui deviennent insupportables et laissez-la respirer pour répondre aux enjeux qui sont les siens.

J'en dégagerai quatre.

Le premier vise à maintenir la capacité à renouveler les équipements, à assurer leur soutien et à engager des actions stratégiques de long terme. C'était le premier volet de mon intervention : la Nation doit prendre conscience qu'elle ne peut attendre de ses forces des interventions répétées dans un contexte international incertain sans maintenir l'effort budgétaire permettant de les équiper et de les soutenir. Elle doit également intégrer les nouvelles menaces dont la cybercriminalité, voire le cyber-terrorisme. Il s'agit bien d'un enjeu national, voire international, imposé par les menaces qui visent notre pays et le monde et auquel le Gouvernement doit répondre par un budget à la hauteur. Au-delà de ces aspects essentiels, le soutien ne doit pas demeurer de facto, comme il l'est aujourd'hui, la variable d'ajustement, voire devenir la variable sacrifiée. Des forces mal soutenues sont des forces mal préparées à intervenir, mises en danger dans leurs interventions et non reconnues dans leur capacité d'action.

Permettez-nous d'évoquer rapidement le service de santé des armées, qui ne doit pas être réduit à sa seule composante « hôpital public ». Le SSA a un rôle essentiel dans le soutien des forces sur le territoire national comme sur les théâtres d'opérations extérieures. Il doit donc disposer des moyens d'assurer cette mission, à moins que, là aussi, le dessein ne soit de l'externaliser. Il convient de faire le même raisonnement s'agissant des services à caractère technique dont la perte de compétences, qui résulte de la pression et de la réduction des effectifs, ne sera pas sans conséquence sur le futur. Or ces services sont toujours soumis à l'obligation de réduire leurs effectifs.

Deuxième enjeu : assurer un meilleur équilibre entre personnels civils et militaires. Nous l'avons souvent évoqué ici devant vous, nous sommes convaincus de l'importance de cette voie de modernisation du ministère. De précédents rapports de votre commission, qu'ils aient été rédigés par Mme Gosselin-Fleury, M. Cornut-Gentille ou d'autres éminents parlementaires, nous ont fourni les arguments. Il ne s'agit pas d'opposer les personnels civils aux personnels militaires, les premiers soutenant les seconds, mais d'engager des réformes de structure permettant de dégager des gains financiers significatifs sur le titre 2, au profit de l'équipement des forces et de l'amélioration des conditions du personnel en évaluant au mieux le format opérationnel des armées et en attribuant les emplois à caractère non opérationnels au personnel civil. Or, les chiffres le montrent, hélas ! cet axe de transformation, dont les fondements datent de 1994, n'a jamais trouvé à se réaliser. Le ratio personnels civils-personnels militaires a même régressé au cours de la précédente LPM. Et ce ne sont pas les travaux en cours au titre de l'actuelle LPM, qui manque singulièrement d'ambition dans le domaine, qui nous engageront dans cette voie à nos yeux incontournable.

À défaut de s'y être engagé, la pression qui pèse sur la réduction des effectifs est génératrice de déséquilibres dans les services de soutien. La nécessité de préserver les forces projetables amène les employeurs, contraints, à supprimer principalement des postes de personnels civils et ainsi à obérer leurs capacités à assurer pleinement les tâches de soutien, ce qui affaiblira irrémédiablement notre capacité d'intervention. La suppression de postes, vous l'avez compris, peut impliquer la nécessité d'externaliser des missions. De précédentes expérimentations hasardeuses en matière d'externalisation et de coûts induits doivent amener le ministre et le législateur à une grande prudence en la matière, d'autant que, s'agissant de spécialités très techniques, le point de non-retour peut vite être atteint, surtout lorsque l'État ne garde même pas les compétences pour contractualiser ou vérifier le service fait.

Au-delà du recentrage du personnel militaire sur les emplois opérationnels et des gains sur le titre 2, le processus doit intégrer la nécessaire complémentarité des emplois militaires et civils dans les politiques de recrutements, de gestion, de parcours professionnels et d'évolutions statutaires.

Quant aux deux autres enjeux, ils consistent à tenir un dialogue social ouvert et constructif et à mener une politique d'accompagnement à visage humain. Il y a beaucoup de marge de progrès dans ce domaine mais nous ne les détaillerons pas ici puisque vous nous demandez de conclure Monsieur le président. Vous pourrez en prendre connaissance dans le texte que nous vous remettons.

Notre dernier message sera : concentrez vos efforts sur le pilotage des réformes engagées en gardant en ligne de mire ces quatre enjeux et en veillant à ce qu'elles ne soient pas dévoyées au nom de dogmes qui ont toujours la vie dure au sein du ministère.

Dans ce cadre, l'UNSA-Défense, fidèle à ses engagements, défendra un dialogue responsable, innovant, toujours constructif mais sans faiblesse et résolument tourné vers l'engagement collectif, qui cherchera toujours à concilier développement économique, service public, progrès social et développement durable, sans parti pris ni corporatisme.

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