Intervention de Maud Olivier

Réunion du 19 novembre 2014 à 14h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMaud Olivier, rapporteure :

Pour élaborer ce rapport d'information, outre le HCEfh, notre Délégation a auditionné l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), ainsi que différentes associations : France terre d'asile, Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s (GISTI), Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles, des mariages forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants (GAMS).

Ont également été entendus des représentants du collectif Action et droits des femmes exilées et migrantes (ADFEM) et de l'Association de soutien aux travailleurs immigrés (ASTI). Avec la présidente de la Délégation, j'ai par ailleurs effectué un déplacement à l'OFPRA, où nous avons assisté à des entretiens individuels, et à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).

En premier lieu, le rapport souligne la prise en compte insuffisante du genre dans le système d'asile français. Au niveau international, on a pu observer une reconnaissance progressive de la spécificité des demandes d'asile liées au genre. Quant à la France, malgré une féminisation de la demande, elle se caractérise par des interprétations parfois restrictives au regard des violences de genre. On observe aussi des obstacles dans la procédure d'asile et des conditions d'accueil parfois inadaptées.

En second lieu, le rapport souligne que l'égalité femmes-hommes doit constituer un axe central de la réforme du droit d'asile. Nous avons concentré nos travaux sur trois chapitres du projet de loi relatifs aux conditions d'octroi de l'asile, à la procédure d'examen des demandes d'asile et aux conditions d'accueil des demandeuses et demandeurs d'asile. Je vous propose d'examiner à présent les recommandations que nous pourrions formuler.

La première vise à élaborer des principes directeurs concernant la prise en compte du genre en matière d'asile, après concertation, pour préciser les pratiques. Je précise à cet égard que le terme de genre figure dans les directives européennes. Par ailleurs, il me semble souhaitable que les principes directeurs soient les mêmes pour tous.

Concernant le chapitre relatif aux conditions d'octroi de l'asile, il pourrait être envisagé de poser explicitement dans la loi le principe selon lequel les aspects liés au genre doivent être dûment pris en considération aux fins de la reconnaissance de l'appartenance à un certain groupe social ou de l'identification d'une caractéristique d'un tel groupe, conformément à l'article 10 de la directive « qualification ». En outre, il convient de veiller à ce que les autorités appliquent une interprétation sensible au genre des motifs de persécution définis par la Convention de Genève, conformément aux instruments pertinents applicables tels que la Convention d'Istanbul et les principes directeurs du Haut-Commissariat des Nations unis pour les réfugiés (HCR). Tel est l'objet des deuxième et troisième recommandations.

Par ailleurs, la rédaction de l'article L. 711-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pourrait être modifiée afin de prévoir que la qualité de réfugié est reconnue à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté « ou de l'égalité entre les femmes et les hommes » (recommandation n° 4).

La cinquième recommandation porte sur la production et la publication régulière de statistiques et analyses sexuées concernant le traitement des demandes d'asile et l'accueil des personnes concernées, en particulier par les préfectures, l'OFII, l'OFPRA et la CNDA. Actuellement, seul l'OFPRA commence à établir ce type de statistiques.

Il conviendrait également de développer les actions de formation sur l'égalité entre les femmes et les hommes et les problématiques de genre pour l'ensemble des acteurs concernés (recommandation n° 6). Outre l'OFPRA, qui a fait des efforts significatifs dans ce domaine, les efforts de formation doivent concerner également la CNDA et l'OFII, mais aussi les préfectures, les centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) et les plateformes d'accueil.

Concernant la procédure d'examen des demandes d'asile, la septième recommandation vise à améliorer les modalités d'élaboration de la liste des « pays d'origine sûrs » pour prendre en compte la condition des femmes dans certains pays :

– en modifiant la composition du conseil d'administration de l'OFPRA pour prévoir la représentation des ministères chargés des affaires sociales, de la santé, et des droits des femmes, tout en veillant à la composition paritaire du conseil d'administration ;

– en prévoyant le droit de vote pour les personnalités qualifiées au conseil d'administration, la consultation d'associations préalablement à l'inscription ou le retrait d'un pays concernant la liste des pays d'origine sûrs, et la possibilité pour ces associations et organisations non gouvernementales (ONG) de saisir le conseil d'administration de l'office ;

– en assortissant la notion de pays « sûr » d'indicateurs ou de critères relatifs aux questions des droits des femmes, de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre.

En effet, actuellement, les demandes d'asile sont généralement déclarées non recevables pour les demandeurs de pays dits « sûrs », dont la liste est établie par le conseil d'administration de l'OFPRA, composé notamment de représentants du ministère de l'intérieur et de quelques personnalités qualifiées. Un pays est considéré comme sûr, aux termes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, s'il veille au respect de la démocratie. Il conviendrait de ne plus considérer comme sûrs des pays qui s'avèrent restrictifs en matière de droits des femmes, c'est-à-dire où celles-ci sont victimes de violences et de persécutions, et j'envisage le dépôt d'un amendement en ce sens.

La huitième recommandation a pour objet de préciser dans la loi que la procédure accélérée ne peut être mise en oeuvre pour les demandes de réexamen présentées par des victimes de la traite.

Quant à la neuvième, il s'agit d'expliciter la notion de personnes vulnérables, a minima en précisant dans la loi qu'elles comprennent notamment les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d'enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains et les personnes qui ont subi des viols ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, par exemple les victimes de mutilation sexuelle féminine.

En tout état de cause, il convient de mieux prendre en compte les besoins spécifiques des demandeuses d'asile lors des entretiens à l'OFPRA et des audiences à la CNDA. Aussi la dixième recommandation prévoit-elle :

– de veiller à la possibilité pour les demandeuses qui le souhaitent d'être assistées par une personne représentant une association oeuvrant spécifiquement à la défense des droits des migrantes, des victimes de persécutions de genre ou à raison de l'orientation sexuelle ;

– d'étudier les conditions de mise en place de services de garde d'enfants à l'OFPRA et à la CNDA, et de prise en charge des frais de transports des demandeurs, voire de leur conseil ;

– en inscrivant dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile le principe selon lequel les procédures d'examen tiennent compte des spécificités de genre, afin d'assurer une égalité réelle entre les demandeuses et les demandeurs d'asile.

S'agissant des victimes de proxénétisme et de la traite des êtres humains, le huis clos devrait pouvoir être prononcé de droit si la personne requérante le demande (recommandation n° 11).

Il apparaît par ailleurs nécessaire d'améliorer l'information des demandeuses d'asile, au moins en complétant le guide du demandeur d'asile et en le diffusant plus largement, voire en publiant une brochure spécifique à l'attention des femmes, avec notamment des informations sur leurs droits, ainsi que sur la protection et la prévention des violences (recommandation n° 12).

Concernant enfin les conditions d'accueil des demandeuses et demandeurs d'asile, la treizième recommandation a pour objectif d'améliorer la prise en compte des besoins particuliers des femmes et des personnes vulnérables en matière d'hébergement :

– en développant le recueil de données et d'analyses genrées sur le nombre et le profil des femmes, ainsi que sur les violences, dans les CADA, plateformes et hébergements d'urgence ;

– en veillant à la consultation des acteurs et des experts sur les modalités d'évaluation des besoins particuliers pour les personnes vulnérables ;

– en précisant dans la loi que lorsque les demandeurs sont accueillis dans des centres d'hébergement, les autorités tiennent compte des aspects liés au genre, à l'âge et à la situation des personnes vulnérables, et que les mesures appropriées sont prises pour prévenir la violence et les actes d'agression fondés sur le genre, y compris les violences et le harcèlement sexuel à l'intérieur des centres ;

– en précisant dans la loi que lorsque des demandeurs de sexe féminin sont placés en rétention ou hébergés en CADA, les autorités veillent à ce qu'ils soient hébergés séparément des demandeurs de sexe masculin, à moins que ces derniers ne soient des membres de leur famille et que toutes les personnes concernées y consentent.

En vue d'améliorer les droits des demandeur-se-s d'asile et de leurs enfants, la quatorzième recommandation a pour objet de :

– rappeler dans la loi les obligations en matière de scolarisation des enfants des demandeurs d'asile et des demandeurs mineurs, ainsi que les dispositions prévues par le code de l'éducation concernant l'accueil en maternelle ;

– et d'assouplir les dispositions actuelles du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui empêchent les demandeuses et demandeurs d'asile d'accéder au marché du travail, et au moins d'inscrire dans la loi la possibilité de travailler légalement au-delà d'un délai de neuf mois.

Il conviendrait, d'autre part, de préciser, à l'article 18 du projet de loi, que les dispositions relatives à la délivrance du titre de séjour (carte de séjour temporaire ou carte de résident) s'appliquent au conjoint lorsque le mariage est antérieur à la date d'obtention de la protection ou, à défaut, lorsqu'il a été célébré depuis au moins un an, sous réserve d'une communauté de vie effective entre époux, « sauf en cas de dépôt de plainte pour violences conjugales » (recommandation n° 15).

Enfin, la dernière recommandation vise à assurer la protection des mineures menacées de mutilations sexuelles féminines :

– en maintenant les dispositions du projet de loi prévoyant la présentation d'un certificat médical, qui devrait être présenté tous les deux ans, pour s'assurer de l'effectivité de la protection ;

– en étudiant la possibilité de confier cet examen à des professionnels habilités, par exemple dans le cadre des unités médico-judiciaires (UMJ), avec une prise en charge financière ;

– et en développant parallèlement les actions de formation, de sensibilisation et d'information concernant les mutilations sexuelles féminines, notamment en milieu scolaire et auprès des parents des mineures protégées.

Telles sont les recommandations que je vous propose d'adopter.

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