Intervention de Jean Leonetti

Séance en hémicycle du 26 novembre 2014 à 15h00
Droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Leonetti :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi Veil a été un moment historique. C’est évidemment dans un climat légèrement plus tendu qu’aujourd’hui qu’il y a quarante ans, Simone Veil, jeune ministre de la santé, est choisie par Jacques Chirac, Premier ministre, et Valéry Giscard d’Estaing, Président de la République, pour défendre ce projet.

Elle le fera avec la force et la conviction dont elle a toujours fait preuve. C’est cette femme que la vie à blessée qui va défendre avec courage la cause de femmes qui sont aussi blessées par la vie, et ce en dépit d’attaques personnelles incessantes.

La loi Veil, adoptée par l’Assemblée nationale le 20 décembre 1974 et par le Sénat peu de temps après, autorise l’IVG au cours des dix premières semaines de grossesse.

Depuis longtemps déjà, la société débattait avec passion de ce sujet, comme Mme Coutelle l’a rappelé. Elle a également évoqué le procès de Bobigny en 1972, qui est devenu, du fait des nombreuses personnalités, de droite et de gauche, des scientifiques ou des personnalités universellement reconnues qui y ont témoigné, celui de l’avortement en France, contribuant de toute évidence à faire progresser la législation sur ce sujet douloureux.

Ma génération de médecins a vu mourir des jeunes femmes, mutilées, blessées dans leur chair, d’infections majeures, de septicémies, d’insuffisances rénales causées par des avortements clandestins. La loi Veil, loi d’équilibre et de volonté, a mis fin à de tels drames.

Simone Veil utilisait des termes modérés, comme elle l’a toujours fait dans sa vie. Elle rappelait un fait qui reste vrai aujourd’hui : aucune femme ne recourt de gaîté de coeur à l’avortement. Elle disait aussi : « je le dis avec ma conviction, l’avortement doit rester l’exception ».

La loi Veil est une dérogation, on le sait, au principe du respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, principe figurant dans la convention internationale d’Oviedo que la France a signée.

Les nombreux débats sur le statut de l’embryon et du foetus n’ont jamais abouti. Ce que nous savons, c’est qu’il s’agit d’un être humain destiné à naître qui, sans avoir le statut de personne humaine, ne peut être considéré pour autant comme une chose ou comme un objet. Dès lors, c’est le choix de la femme enceinte, en situation de détresse aux termes de la loi Veil, qui prévaut.

Les modifications de la loi ont été nombreuses depuis, comme on vient de le rappeler. Depuis 1982, l’IVG est remboursée. En 1993, un délit d’entrave à l’IVG est créé. Depuis 2001, la pilule du lendemain est délivrée dans les collèges et les lycées et le délai légal de l’IVG est porté à la douzième semaine de grossesse. En 2004, l’IVG médicamenteuse est autorisée.

Parallèlement à ces modifications législatives, notre société a évolué. Aujourd’hui, les femmes ont, la plupart du temps, recours à l’IVG pour des grossesses non prévues. On constate que le nombre d’avortements restent stable, alors que le recours aux moyens contraceptifs est en hausse et qu’aucune baisse des naissances n’a été enregistrée en France, contrairement à ce que certains avaient annoncé.

Notre société est entrée dans l’ère de l’enfant choisi, et cela fait bien longtemps que la situation de détresse n’est plus un préalable au recours à l’IVG.

Qu’on l’approuve ou qu’on le regrette, on constate qu à l’exception de la situation de détresse s’est substitué le droit de choisir le moment où on souhaite devenir mère. Dans ce contexte, il apparaît que le recours à l’IVG concerne très souvent des femmes qui se croyaient protégées par une contraception.

Deux problèmes majeurs persistent. Premièrement, le recours à l’IVG rencontre encore de nombreux obstacles pratiques car il reste un acte médical peu valorisé. Vous avez d’ailleurs envisagé, madame la ministre, de le revaloriser.

Ces dernières années, le secteur privé a diminué son offre dans ce domaine. Par ailleurs, la répartition des gynécologues sur l’ensemble du territoire est très inégale et leur nombre diminue, tendance qui ne semble pas devoir s’inverser. Les délais d’attente sont quelquefois importants : un quart des IVG ont eu lieu dans les six jours suivant la première demande, la moitié dans les huit jours et les trois-quarts dans les dix jours. Ce problème n’est pas spécifique à l’IVG mais concerne beaucoup d’actes médicaux et est dû en grande partie à la désertification médicale de certains territoires.

Deuxièmement, le nombre d’IVG reste encore trop élevé, même s’il s’agit d’un acte légal et sûr, avec seulement 0,3 décès pour 100 000 interruptions.

Nous approuvons globalement les recommandations du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes : une meilleure information, claire, équilibrée, afin de faciliter l’entrée dans le parcours de soins de l’IVG et l’orientation des femmes, ainsi que des mesures de prévention fortes ; une meilleure offre de soins donnant aux femmes un accès rapide et de proximité à l’IVG et leur garantissant le choix de la méthode et la gratuité ; une meilleure gouvernance, en organisant un meilleur suivi de l’activité et une meilleure coordination de l’ensemble des professionnels.

Nous voudrions insister particulièrement sur la nécessité de mettre en place une démarche de prévention pour diminuer le nombre des IVG.

L’IVG est un droit. Est-ce un droit fondamental ?

Simone Veil déclarait en 1995 : « l’avortement ne représente plus, en France, un enjeu politique ». Elle avait raison. L’opposition aujourd’hui n’a aucune intention de revenir sur ce droit une fois au pouvoir. D’ailleurs, aucun des gouvernements qui se sont succédé depuis quarante ans ne l’a remis en cause.

Mais le droit l’IVG est-elle à proprement parler un droit fondamental alors qu’il est une dérogation au principe du respect de l’être humain dès la conception, rappelé par l’article 16 du Code civil ?

1 commentaire :

Le 27/11/2014 à 16:54, laïc a dit :

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"Notre société est entrée dans l’ère de l’enfant choisi, et cela fait bien longtemps que la situation de détresse n’est plus un préalable au recours à l’IVG"

Tout de même, disposer de la vie sans prendre en compte la situation de détresse, c'est considérer que la vie ne vaut rien, que l'on peut en disposer à volonté, c'est rentrer dans le jeu de la désacralisation de la vie, avec tous les débordements que cela peut entraîner. Pourquoi respecter la vie une fois née si on ne la respecte pas dans ses premiers instants ? Tout doit être fait pour écouter la mère et étudier s'il n'y a pas une solution alternative avantageuse à l'avortement. Là, le fait par l'Etat de se dispenser d'évaluer s'il y a détresse ou non revient à nier les difficultés possibles de la mère, qui voudrait peut-être un enfant, mais qu'une situation de détresse, qui doit être exprimée et non pas dissimulée, ne lui permet pas. Ne rentrons pas dans le jeu de la violence, qui agit sournoisement pour faire avorter les femmes contre leur gré, en faisant dire à celles-ci que cette volonté de la violence extérieure qui leur est imposée est la leur propre, ce n'est pas rendre service aux femmes, à l'humanité, et au droit à la vie.

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