Intervention de Jacques Moignard

Séance en hémicycle du 26 novembre 2014 à 15h00
Droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Moignard :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, chers collègues, il est fort heureusement lointain, le temps où Simone de Beauvoir écrivait : « Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait le silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre. » C’était en 1971 et c’était les premières lignes d’un manifeste qui allait bientôt être signé par 343 femmes, célèbres ou inconnues, déclarant publiquement avoir avorté. Le retentissement médiatique de ce « Manifeste des 343 » relancera le débat et permettra, quatre années plus tard, une avancée majeure pour le droit des femmes : la dépénalisation de l’avortement.

En effet, il y a quarante ans jour pour jour, à cette même tribune, Simone Veil, alors ministre de la santé, présentait le projet de loi relatif à l’interruption volontaire de grossesse. Malgré les insultes et les attaques violentes auxquelles elle dut faire face, la loi fut adoptée en janvier 1975, d’abord provisoirement pour une durée de cinq ans, avant de l’être définitivement en 1980.

Il faut rappeler les difficultés que les femmes rencontraient avant 1975 pour interrompre une grossesse non désirée : les médecins ne pouvant y procéder, sous peine d’être interdits d’exercice, elles devaient passer outre la loi et recourir à des méthodes inhumaines et très dangereuses, au prix de combien de séquelles physiques et morales, de combien de décès ?

Toutefois, même dépénalisée, l’IVG demeure alors soumis à de nombreuses restrictions : le médecin et le personnel soignant peuvent refuser de la pratiquer ; elle ne peut être réalisée qu’en établissement de santé ou chez un praticien ayant signé une convention avec un tel établissement ; l’état de grossesse doit placer la femme dans une situation de détresse ; l’autorisation parentale est obligatoire pour les mineures non émancipées ; un délai de réflexion de sept jours minimum doit être respecté ; l’IVG ne peut être pratiquée que dans les dix premières semaines de grossesse ; elle ne fait pas l’objet d’un remboursement par la Sécurité sociale. Cette loi de 1975 n’en demeure pas moins historique et pose des jalons fondamentaux. Elle signe le point de départ d’une législation en faveur de la liberté des femmes qui fera progressivement évoluer les pratiques et les mentalités, qu’il s’agisse de l’accès à la contraception ou du libre choix de grossesse.

Je tiens à rappeler les nombreuses étapes de ce progrès. En 1982, la loi Roudy autorise le remboursement de l’IVG par l’assurance maladie. En 1991, la publicité pour les préservatifs et la contraception est autorisée. En 1993, la loi Neiertz dépénalise le délit d’auto-avortement et crée le délit d’entrave à l’IVG, pour lutter contre les commandos anti-IVG qui se multiplient alors et qui, malheureusement, se manifestent toujours. En 1999, un contraceptif d’urgence, dit « pilule du lendemain », est mis en vente libre. En 2001, la loi Aubry porte de dix à douze semaines le délai légal de l’IVG et en assouplit les conditions d’accès, tout comme aux contraceptifs, pour les mineures. En 2004, l’IVG médicamenteuse est autorisée en médecine de ville et, trois ans plus tard, dans les centres de planification et d’éducation familiale.

Au cours de la présente législature, nous avons permis, dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2013 et conformément à un engagement du Président de la République, que l’IVG soit intégralement remboursé par la Sécurité sociale et que cet acte médical soit revalorisé pour augmenter le nombre de ceux qui le pratiquent. Enfin, la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, adoptée en août dernier, sanctionne toute entrave à l’information sur l’IVG, supprime la condition de détresse avérée et élargit le délit d’entrave.

Toutes ces avancées législatives ont fait de la faculté de recourir à l’IVG un droit fondamental de la femme : celui de disposer de son corps, celui de choisir ou non de devenir parent. Sans cette liberté, chaque année, 220 000 d’entre elles, de tous âges et de tous milieux sociaux, ne pourraient y recourir !

Qu’il soit bien entendu que le droit à l’avortement, ce n’est pas inciter les femmes à interrompre leur grossesse ; c’est consacrer l’épanouissement féminin à travers la possibilité pour une femme ou pour un couple de décider d’accepter la venue d’un enfant ; c’est reconnaître le caractère déstructurant des grossesses subies et non désirées.

Chèrement acquis, ce droit ne doit souffrir d’aucune régression. Il faut sans cesse veiller à sa pleine et entière application. Ainsi, il est inacceptable qu’aujourd’hui encore, des équipes médicales cherchent à convaincre leurs patientes de ne pas avorter au-delà de la dixième semaine ou tentent d’imposer une méthode, médicamenteuse ou chirurgicale, au mépris du droit au choix.

Dans ce contexte, le plan annoncé pour janvier prochain par la ministre de la santé, Mme Marisol Touraine, visant à améliorer l’accès à l’IVG sur l’ensemble du territoire, trouve toute sa justification : permettre à toues les femmes d’être prises en charge partout, dans les mêmes conditions.

Comme l’ont rappelé les précédents orateurs, il est des pays où ce droit reste un combat. Un chiffre permet d’en prendre la mesure : 40 % des femmes vivent dans des pays où elles ne peuvent pas avorter librement. Oui, il existe encore des pays où l’avortement est absolument interdit, même en cas de viol, même s’il s’agit d’une mineure, même si le foetus n’est pas viable ou que la grossesse met la mère en danger.

En plus de porter atteinte au droit à la santé et à la vie des femmes, la plupart de ces pays ont fait le choix d’infliger des sanctions pénales aux femmes qui ont recours à ces interventions et aux personnels de santé qui les pratiquent. Sur tous les continents, des femmes et des médecins sont condamnés, parfois à des peines d’emprisonnement, pour avortement clandestin.

D’autres pays permettent d’y recourir, mais sous conditions ; c’est, hélas, le cas de plusieurs États membres de l’Union européenne.

À chaque fois, le constat est le même : l’interdiction n’entraîne pas une réduction du nombre d’avortements ; elle contraint simplement les femmes à risquer leur vie. N’oublions pas qu’une femme meurt toutes les huit minutes dans le monde des suites d’un avortement clandestin.

Dans ces conditions, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste apporte son entier soutien à la présente proposition de résolution, parce qu’elle réaffirme l’importance du droit fondamental à l’IVG pour toutes les femmes, en France, en Europe et dans le monde, parce qu’elle rappelle que le droit universel des femmes à disposer librement de leur corps est une condition indispensable de la construction d’une égalité réelle entre les femmes et les hommes et d’une société de progrès, parce qu’elle affirme le rôle majeur de la prévention et de l’éducation à la sexualité des jeunes, enfin parce qu’elle affirme la nécessité de garantir l’accès des femmes à une information de qualité, à une contraception adaptée et à l’avortement sûr et légal.

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