Intervention de Marisol Touraine

Séance en hémicycle du 26 novembre 2014 à 15h00
Droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse — Discussion générale

Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes :

Je salue aujourd’hui les militantes inlassables de la liberté qui ont combattu pour donner aux femmes le choix de leur propre destin : les militantes du Mouvement de libération des femmes, du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception, du Planning familial, de Choisir, ces militantes qui ont permis aux femmes d’avorter alors que la loi en faisait des criminelles. Je salue celles et ceux qui ont dénoncé le danger de la clandestinité et le silence qui entourait alors les femmes ayant avorté : les 343 signataires du manifeste, et les 331 médecins. Je salue les ministres qui m’ont précédée et qui ont agi pour renforcer le droit à l’avortement : Yvette Roudy, qui a fait voter le remboursement de l’interruption volontaire de grossesse, et Martine Aubry, qui a allongé les délais légaux pour le pratiquer.

Ce gouvernement s’inscrit dans cette longue tradition. Il porte l’héritage des luttes politiques en faveur du droit des femmes à disposer de leur corps, mais il le porte résolument comme un combat d’avenir. Face aux bruits pernicieux de la culpabilisation et du mensonge, chacune et chacun doit défendre ce qui permet aux femmes de vivres libres et émancipées, ici comme ailleurs. Chacune et chacun doit rappeler que le droit des femmes à disposer librement de leur corps est une condition indispensable pour la construction de l’égalité réelle entre les femmes et les hommes et d’une société de progrès.

C’est la fierté de ce gouvernement d’avoir décidé, sans hésiter, de renforcer le droit des femmes à disposer de leur propre corps. Ainsi, depuis deux ans et demi, nous avons permis, avec le soutien de la majorité, le remboursement à 100 % de l’interruption volontaire de grossesse par la Sécurité sociale ; l’extension du délit d’entrave à l’IVG ; la suppression de la notion de détresse, qui n’avait plus aucun rapport avec les pratiques et les faits ; la diffusion d’une information objective sur internet, grâce à la mise en place du site « ivg.gouv.fr », dont la fréquentation est un succès, et qui permet d’éviter aux femmes qui sont à la recherche d’informations de se trouver confrontées à des sites prônant le non-avortement classés en tête des moteurs de recherche. Nous avons enfin permis la revalorisation financière de l’acte, pour que les établissements qui le pratiquent soient confortés et reconnus dans leur activité.

Le droit à disposer de son corps, ce n’est pas seulement l’avortement : c’est aussi l’accès à l’information, l’éducation à la sexualité, qui est absolument indispensable, et, bien sûr, l’accès à la contraception. C’est pourquoi ce gouvernement est fier d’avoir introduit la gratuité de la contraception pour les mineures et de se battre pour garantir l’information des jeunes filles, et la formation à l’égalité entre les femmes et les hommes des filles et des garçons dans les écoles.

De grands progrès ont été accomplis : il ne faut pas les oublier. On peut avorter, en France, aujourd’hui : 220 000 femmes le font chaque année. Mais face aux obstacles du quotidien, aux inégalités entre les territoires, aux attentes des femmes elles-mêmes, ce droit, et l’accès à ce droit, doivent être confortés et garantis. Je présenterai en janvier prochain un programme d’actions visant à mieux informer, mieux orienter, mieux prendre en charge. Tels sont mes objectifs.

Aujourd’hui, nous devons faire face à de nouveaux défis. Il faut améliorer la qualité de l’information délivrée aux femmes qui souhaitent interrompre une grossesse non désirée. Cette information doit notamment permettre aux femmes de choisir la méthode d’avortement qui leur convient le mieux, qu’il s’agisse de l’intervention volontaire de grossesse chirurgicale ou médicamenteuse, et cela en toute liberté. Les femmes doivent être systématiquement orientées vers une solution effective de prise en charge dans les délais prescrits, et cela tout au long de l’année. C’est pourquoi j’ai donné instruction aux agences régionales de santé de veiller à ce que l’accès à l’IVG reste effectif partout et tout le temps, notamment pendant les périodes estivales. J’ai également demandé à ces agences de rappeler que la loi doit être respectée partout et par tous.

Nous devons garantir un accès de proximité à l’IVG. Je sais qu’il existe des inquiétudes dans certains territoires. Le mouvement de suppression des centres IVG a été enrayé. Je n’abandonne pas les établissements qui sont essentiels à cet accès, en particulier pour les femmes qui vivent dans des départements excentrés ou fragiles. J’ai demandé un état des lieux précis de la situation. Par ailleurs, il est évident que cette prise en charge doit être assurée dans les mêmes conditions financières partout sur le territoire.

Mesdames et messieurs les députés, le combat pour l’accès de toutes les femmes à l’avortement ne s’arrête pas à nos frontières. La France porte ce droit haut et fort dans le monde, et c’est ce qu’a fait Pascale Boistard en septembre dernier à la tribune de l’ONU. Ailleurs dans le monde, la reconnaissance du droit à l’avortement n’est pas seulement un enjeu politique ; c’est aussi un enjeu de santé publique. Chaque année, 22 millions de grossesses non désirées donnent lieu à un avortement non médicalisé. Huit millions de femmes en gardent les séquelles, temporaires ou définitives. Chaque année, 50 000 femmes au moins meurent des suites d’un avortement clandestin, soit une femme toutes les dix minutes. Comme le disait Gisèle Halimi dans sa célèbre plaidoirie du procès de Bobigny, « c’est toujours la même classe, celle des femmes pauvres, vulnérables économiquement et socialement, cette classe des sans-argent et des sans-relations qui est frappée ».

Face aux alliances conservatrices, je veux dire que la France ne désarme pas, et qu’elle défendra toujours la reconnaissance universelle du droit à un avortement sûr et légal, en Europe, d’abord, et au-delà. Les échéances internationales de l’année 2015, notamment la célébration des vingt ans de la conférence de Pékin, nous offrent une opportunité forte de défendre cette position sur la scène internationale. La France sera au rendez-vous de ses responsabilités.

Défendre le droit des femmes à disposer de leur corps, c’est reconnaître les droits fondamentaux de l’humanité tout entière. L’émancipation de chacune et de chacun n’est pas une option : c’est notre responsabilité à toutes et à tous.

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