Intervention de Pascale Boistard

Séance en hémicycle du 26 novembre 2014 à 15h00
Droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse — Discussion générale

Pascale Boistard, secrétaire d’état chargée des droits des femmes :

Monsieur le président, madame et monsieur les ministres, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mesdames et messieurs les députés, je tiens tout d’abord à saluer la volonté des parlementaires de réaffirmer, par cette proposition de résolution le droit fondamental à l’avortement. On pourrait considérer, quarante ans après les débats qui ont eu lieu dans cet hémicycle, que cette démarche n’est plus nécessaire. Je pense, au contraire, qu’elle est essentielle, à plusieurs titres.

Avec cette proposition de résolution, nous commémorons la loi Simone Veil et la progression vers la reconnaissance d’un droit conforté depuis. Cette loi a d’abord été mise à l’essai : fait exceptionnel et symptomatique d’une possibilité donnée aux femmes du bout des lèvres, et faisant peser sur elles la crainte d’être à nouveau criminalisées. En 1979, des dizaines de milliers de manifestants étaient au rendez-vous pour réclamer la confirmation de cette loi. Il ne faut pas oublier de saluer l’aboutissement de ce combat, de ce mouvement social, de l’engagement courageux des femmes et de quelques hommes.

Je veux m’arrêter sur quelques-uns de ces moments historiques pour le féminisme, pour toutes les femmes, et pour la France.

En 1971, 343 femmes ont eu le courage de signer le célèbre manifeste. Signer ce texte, c’était décider, pour défendre leur droit, mais aussi par solidarité, d’encourir des sanctions tant sociales que judiciaires. L’avortement était alors illégal. En France, des milliers de femmes avortaient dans la clandestinité et l’angoisse. Des milliers de femmes étaient exposées à des risques sanitaires. Un trop grand nombre d’entre elles y laissaient leur vie. Des militantes expliquaient ainsi leur action : « j’ai signé parce que j’ai perdu trop de sang, et vous voudriez en plus que je me taise ? » Il faut oser le dire, le crier, il faut en parler librement, il ne faut pas se cacher, avoir honte : il faut démolir ce tabou.

Ces femmes ont fait du privé une question politique. C’est là un point crucial, quand on sait les oppressions et les violences qui peuvent se donner libre cours dans les sphères privées. Cette mobilisation a permis de faire apparaître que ce droit était consubstantielle à l’émancipation des femmes. Elle a prouvé que les femmes étaient les actrices de leur propre libération et qu’il ne s’agissait pas uniquement d’une question sanitaire.

Me Gisèle Halimi interpellait ainsi le tribunal de Bobigny : « Quatre femmes comparaissent devant des hommes, et pour parler de quoi ? De sondes, d’utérus, de ventres, de grossesses et d’avortements. Ne croyez-vous pas que l’injustice fondamentale soit déjà là ? Nous sommes des êtres libres et responsables. » Au-delà de la violence des avortements clandestins, ce sont toutes les humiliations, toutes les discriminations, toutes les dominations sexistes qui sont rendues visibles. Comme on a pu le dire lors de ce célèbre procès, les femmes conservaient alors leurs chaînes les plus anciennes et les plus lourdes : les maternités non désirées. Ces chaînes cadenassent tout : la possibilité de terminer ses études, de travailler, de militer, et surtout de choisir l’orientation que l’on souhaite donner à sa vie.

Si, aujourd’hui, certains continuent à se mobiliser contre l’avortement, c’est pour s’attaquer à toutes les libertés qui reposent sur ce droit fondamental. Il faut redire, face à tous les réactionnaires, tous les obscurantistes, que nous ne permettrons aucune remise en cause, aucune régression. Notre devoir est au contraire de faire progresser ce droit.

La loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a supprimé la notion de détresse qui conditionnait le recours à l’avortement. Nous avons renforcé le délit d’entrave à l’avortement. Nous avons réaffirmé le droit des femmes à disposer de leur corps sans encourir de stigmatisation moralisante. En France, les droits sexuels et reproductifs sont reconnus, et les centres de planning familial sont soutenus. Nous allons lancer, comme vient de le dire Marisol Touraine, un plan pour renforcer l’accès à l’avortement.

Mais les droits sexuels sont encore bafoués dans de nombreux pays. Il nous faut réaffirmer le droit des femmes à l’information, à la contraception et à l’avortement. On oublie parfois ce que signifie un avortement clandestin : l’isolement, le rejet, la peur, la souffrance, la crainte de mourir. Les avortements réalisés chaque année dans des conditions non sécurisées entraînent le décès de près de 50 000 femmes. Risquer sa vie ne peut être le prix à payer par une femme pour disposer de son corps et de son destin. L’avortement doit devenir légal partout où il ne l’est pas encore. Nous devons nous montrer offensifs pour porter fortement ce message au sein de l’Union européenne et de la communauté internationale, et nous montrer offensifs.

Enfin, aux femmes des jeunes générations, je veux rappeler le message de Simone de Beauvoir : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse, pour que les droits des femmes soient remis en question. » Ces droits ne sont jamais acquis : vous devez rester vigilantes votre vie durant.

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