Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Séance en hémicycle du 26 novembre 2014 à 15h00
Modification du règlement de l'assemblée nationale — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

En commission, j’ai même proposé d’aller encore plus loin et d’assumer plus clairement encore cette ambition, en limitant les interventions à dix minutes par groupe, les plaçant ainsi sur un strict pied d’égalité. Cette proposition a fait l’objet d’un assez long débat duquel nul consensus ne s’est nettement dégagé . Pour tout dire, elle a même profondément divisé. Je l’ai donc retiré, de façon à ne pas rompre l’esprit qui a animé le groupe de travail que vous avez présidé, monsieur le président, et je n’ai pas déposé cet amendement en séance. Cela reste néanmoins un regret, tant je suis convaincu que la phase de la discussion générale n’est pas la plus utile à la production de la loi et à l’élaboration concrète de la norme.

Il vous est également proposé de limiter les prolongations de séance au-delà d’une heure du matin au seul cas où il s’agit d’ « achever une discussion en cours », selon les termes de la proposition de résolution. Le travail parlementaire réalisé au coeur de la nuit n’a effectivement jamais été un gage de la qualité de la loi.

La réforme du Règlement vise également à limiter plus drastiquement la possibilité de tenir des séances supplémentaires d’autres jours que les mardis, mercredis et jeudis. Plus précisément, le Gouvernement ne pourrait plus obtenir, de droit, la tenue de séances les autres jours – en général les lundis et vendredis – que pour les textes énumérés à l’article 48 alinéa 3 de la Constitution, c’est-à-dire, pour l’essentiel, les projets de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale et les textes en navette.

Comme je l’ai dit en commission, cette mesure me rend dubitatif à la fois pour des raisons constitutionnelles – ne va-t-on pas trop loin dans la limitation des prérogatives du Gouvernement en matière d’ordre du jour ? – mais aussi pour des raisons de fonctionnement concret de notre institution. Je crains que nous nous engagions dans une excessive rigidité de l’organisation de nos travaux, dont l’encadrement n’a cessé d’être renforcé depuis les modifications apportées à l’article 28 de la Constitution en 1995 et à l’article 48 en 2008. Mais comme, en commission, aucun amendement n’est venu contester le principe de cette tentative de restriction des moyens du Gouvernement, je n’ai pas déposé en séance de proposition de suppression.

En second lieu, l’amélioration du fonctionnement de notre Assemblée passe aussi par le renforcement des droits conférés à l’opposition et aux groupes minoritaires. En commission, nous sommes allés plus loin que la résolution. Nous avons ainsi consacré la pratique de la commission des lois consistant à désigner, dès le début de l’examen d’un texte, le co-rapporteur d’opposition chargé de la mise en application de la loi.

De même, pour éviter que les séances réservées à un ordre du jour défini par un groupe d’opposition ou un groupe minoritaire, ce que l’on appelle un peu cavalièrement les « niches », soient concentrées dans la seule journée du jeudi, ce qui est la pratique aujourd’hui, la proposition de loi ouvre la possibilité de répartir les trois séances auxquelles les groupes ont droit sur plusieurs journées.

Par ailleurs, les rapports législatifs pourront désormais comporter, en annexe, une contribution écrite et synthétique de chacun des groupes d’opposition ou minoritaires. En nous inspirant, là encore, de la pratique de la commission des lois depuis juillet 2012, nous y avons ajouté une contribution du co-rapporteur d’opposition, qui portera plus particulièrement sur l’étude d’impact du projet de loi.

Ce co-rapporteur pourra ensuite prendre la parole en séance, avant le début de la discussion générale. Un débat contradictoire sur l’étude d’impact pourra ainsi avoir lieu, ce qui ira dans le sens des recommandations de la mission d’information sur la simplification législative présidée par Mme Laure de La Raudière et dont le rapporteur était M. Régis Juanico.

Enfin, le droit de tirage dont bénéficient les groupes d’opposition ou minoritaires en matière de commission d’enquête sera élargi aux demandes de création d’une mission d’information, instrument plus souple et plus adapté qu’une commission d’enquête. Surtout, les conditions de création de ces commissions d’enquête, dans le cadre du droit de tirage, seront demain facilitées.

La deuxième finalité de cette réforme du Règlement de l’Assemblée nationale est de valoriser les travaux menés à bien par les députés, tout particulièrement en matière de contrôle et d’évaluation. Il faut tordre le cou à l’idée selon laquelle les députés seraient plus intéressés par leur fonction législative que par l’exercice de leur mission de contrôle de l’action du Gouvernement ou d’évaluation des politiques publiques. Ces missions ont été, en 2008, inscrites dans la Constitution.

Les travaux que mène notre assemblée dans ces domaines sont foisonnants : rapports d’information des commissions ou de la conférence des présidents, rapports d’évaluation du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, travaux des délégations et offices.

Manque, en réalité, afin d’éviter les chevauchements, les redites et les initiatives concurrentes, une coordination, en amont, de ces différents travaux. La proposition de résolution que vous avez déposée, monsieur le président, y remédie, en confiant à la conférence des présidents une fonction de coordination des travaux de contrôle et d’évaluation.

Une fois ces travaux réalisés, il reste à les discuter, à les faire appliquer et à les faire connaître, bref, à les valoriser. C’est l’objet de la modification du droit de tirage dont dispose les groupes d’opposition, ou minoritaires, lors des semaines dites de contrôle. Désormais, ce sont prioritairement les conclusions des travaux réalisés au sein de notre assemblée qui devront faire l’objet des débats inscrits à l’ordre du jour de ces semaines.

Une autre procédure de contrôle – qui a suscité, reconnaissons–le, un peu plus de débats – sera réformée : celle des questions écrites adressées au Gouvernement. Nous considérons que cette procédure, extrêmement utile, est aujourd’hui victime de son succès. L’explosion du nombre de questions posées chaque année a engendré un allongement sans cesse croissant des délais de leur traitement par les ministères.

La qualité des réponses fournies aux parlementaires s’en ressent. Il est donc proposé de charger la conférence des présidents de fixer, chaque année, un plafond limitant le nombre de questions écrites susceptibles d’être déposées par chaque député. Cette limitation devra naturellement s’opérer dans des proportions tout à fait respectueuses du droit des parlementaires à exercer leurs fonctions de contrôle.

La troisième et dernière finalité de notre réforme est de renforcer la transparence de l’Assemblée nationale. Deux grands axes ont pour cela été retenus. Le premier consiste à rendre systématique la publicité des travaux des commissions.

Notre commission des lois a, depuis le début de cette législature, et par principe, fait sienne cette exigence de publicité. Cela signifie, concrètement, que nos travaux sont ouverts à la presse en même temps qu’ils font l’objet d’une diffusion audiovisuelle, en direct puis en différé, sur le site internet de l’Assemblée nationale.

Il s’agit de l’une des conséquences logiques de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008. Depuis lors, sauf de rares exceptions, la discussion des projets et des propositions de loi s’engage, en séance publique, sur le texte adopté par la commission compétente.

Mais il ne s’agit pas de la seule raison. Qu’on le regrette ou non, dans une démocratie d’opinion, l’écrit ne pèse guère face à la force de l’image. Les députés, lorsqu’ils contrôlent le Gouvernement, évaluent des politiques publiques ou écrivent la loi, ont besoin d’être vus. Les citoyens, les observateurs et les médias doivent donc pouvoir accéder facilement à nos échanges.

Nous avons, évidemment, pris en considération la préoccupation partagée par la commission des affaires étrangères et par la commission de la défense. Elle souhaitent pouvoir, sur certains sujets ayant trait à notre politique européenne, étrangère ou de défense, préserver la confidentialité de leurs travaux. Un amendement satisfaisant cette demande a été déposé et adopté en commission des lois. Il permettra de concilier cette volonté de transparence et la nécessité de respecter une confidentialité garante d’une qualité des échanges.

Le dernier axe du renforcement de la transparence a trait à la déontologie au sein de l’Assemblée nationale. Beaucoup a déjà été fait, grâce au vote, en octobre 2013, des lois sur la transparence de la vie publique. Nous allons aller encore plus loin en consacrant, dans notre Règlement, les compétences du Bureau en matière de déontologie. Nous consacrerons, dans ce même Règlement, l’existence du code de déontologie propre aux députés et celle du déontologue. Nous le ferons également en définissant la notion de conflit d’intérêts.

Nous permettrons ainsi au Bureau, en cas de manquement à une obligation déontologique, je cite l’article 8, alinéa 12, de la proposition de résolution, de « prendre à l’encontre du député toute mesure destinée à faire cesser ce manquement ». Le débat qui s’ouvre me permettra sans doute de préciser ce qu’il faut entendre par cet alinéa.

Enfin, nous allons également consacrer, dans le Règlement, nos collaborateurs parlementaires et déterminer leurs conditions d’emploi. L’ambition que je poursuis, et que la commission des lois soutient, est de participer à la mise en place de négociations d’un statut qui soit protecteur des droits de ces collaborateurs.

Voilà, mes chers collègues, une réforme dont le Président de l’Assemblée nationale avait dit qu’elle était consensuelle, ce que nos débats vont montrer. Elle s’avère également toute aussi ambitieuse que raisonnable. Je vous invite donc à l’adopter.

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