Intervention de Marietta Karamanli

Séance en hémicycle du 26 novembre 2014 à 15h00
Modification du règlement de l'assemblée nationale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, la proposition de résolution dont nous discutons aujourd’hui s’inscrit dans un mouvement qui vise à ce que notre assemblée travaille d’une manière plus transparente et plus efficace, afin que ce pour quoi nos concitoyens nous ont choisis et nous ont délégué un pouvoir, à savoir faire et contrôler la loi, se fasse dans de meilleures conditions. Le mérite de cette initiative revient amplement au président Claude Bartolone, ainsi qu’au président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, qui a conduit les travaux.

Mon propos sera axé autour de trois idées : le mouvement que dessine cette proposition de résolution, l’enjeu de l’évaluation, et la question des droits fondamentaux, à l’aune de la Convention européenne des droits de l’homme.

Concernant le mouvement que dessine cette proposition de résolution, plusieurs axes de travail ont été privilégiés. Je citerai d’abord celui visant à limiter la durée de certaines procédures qui, loin de déboucher sur une activité de qualité, ne font que susciter des flux peu pertinents. Tel est par exemple le cas des questions écrites. Leur nombre étant illimité, elles restent sans réponse, et certains ministres peuvent même tirer prétexte de leur surabondance pour justifier leur insouciance et ne pas y répondre avec pertinence. J’évoquerai également les discussions générales trop longues, qui retardent parfois l’examen au fond du dispositif et de ses effets réels, ou encore les journées supplémentaires ajoutées au fil du temps.

Parmi les autres orientations majeures de cette proposition de résolution, j’évoquerai également l’objectif de renforcement du travail d’évaluation du Gouvernement et de l’efficacité des lois. Il s’agit notamment d’élargir la composition des organes d’évaluation, d’améliorer la coordination des travaux et de faciliter le recours à des procédures telles que les missions d’information, en lien notamment avec le statut des groupes d’opposition.

Je voudrais m’arrêter quelques instants sur l’enjeu de l’évaluation, et notamment sur les expertises qui nous sont demandées et sur lesquelles l’exécutif s’appuie dans bon nombre de cas pour expliquer et argumenter ses projets. Certes, la Constitution a conforté et sanctuarisé la mission d’évaluation de nos assemblées, mais, au quotidien et dans le travail des rapporteurs, des responsables de groupes et des députés impliqués, les moyens techniques manquent cruellement pour disposer de données, d’analyses techniques, quand ce n’est pas le temps qui fait défaut pour auditionner ou se déplacer.

L’examen de mesures introduites de façon séparée dans plusieurs textes, ou de manière successive à l’intérieur d’un même texte, limite parfois significativement la marge de manoeuvre des parlementaires, qui n’ont pas une vue cohérente sur l’ensemble des dispositions en cours de discussion. Par ailleurs, c’est l’administration au service de l’exécutif qui, du fait de sa permanence, des connaissances et des outils dont elle dispose, peut faire des prévisions utiles, alors que les parlementaires sont souvent incapables de prévoir l’impact de certains dispositifs et d’envisager d’éventuelles réallocations de moyens.

Ces constats doivent nous conduire à renforcer l’évolution des moyens de contrôle de l’exécution législative et budgétaire, afin d’inventorier les marges qui nous permettraient, collectivement, de peser plus significativement sur les choix ministériels. Car tel est bien l’enjeu de la délibération collective démocratique : reconnaître qu’à plusieurs, on est plus intelligent que tout seul !

Autre sujet d’importance directement lié à l’évaluation, celui de la capacité de notre assemblée à renforcer son intervention dans le domaine de la protection des droits de l’homme et du citoyen. En tant qu’assemblée, et de par notre histoire et nos compétences, nous avons le souci du droit et des droits fondamentaux. C’est cette préoccupation qui a déterminé la commission des lois à élargir explicitement son champ de compétence, en y ajoutant les droits fondamentaux.

Nous devons également avoir le souci que notre assemblée soit, dans les faits, un meilleur acteur du contrôle de la bonne application de ces droits fondamentaux. Depuis deux décennies, plusieurs exemples peuvent être donnés de décisions prises par la Cour européenne des droits de l’homme ayant débouché sur une prise de conscience de l’inadéquation de notre droit national aux standards européens, qui devraient pourtant s’imposer, eu égard à notre « état de civilisation commune », comme l’aurait dit l’éminent juriste Guy Braibant.

À ce titre, je pense que notre assemblée pourrait aller plus loin, à l’instar de ce que font plusieurs assemblées parlementaires en Europe. Le Royaume-Uni, les Pays-Bas et l’Allemagne débattent en commission et en séance publique du suivi des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme. Selon moi, c’est dans le cadre du débat public et de la délibération politique que nous pouvons faire bouger les choses. L’opportunité nous est peut-être donnée de renforcer notre capacité en la matière en complétant notre règlement.

Il s’agirait d’adopter le principe selon lequel une partie relative à l’exécution des décisions de la Cour figure systématiquement dans le rapport annuel de notre délégation, celle de l’Assemblée nationale à l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, et donne lieu à une discussion en commission des lois, désormais compétente. L’ensemble des évolutions dans notre façon de fonctionner et de délibérer, que je viens de citer, sont peut-être modestes ; elles n’en sont pas moins résolument modernes.

Elles traduisent le sentiment objectivé que l’effritement qu’a connu le Parlement au long des décennies passées n’a pas forcément de raison d’être. Dans un monde devenu complexe, un Parlement mieux armé au plan de l’expertise, disposant de prérogatives plus fortes en termes de contrôle et de droits d’initiative plus significatifs, n’est pas un frein à l’efficacité, mais un moteur. Essayons de faire oeuvre de modernisation.

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