Intervention de Michèle Delaunay

Séance en hémicycle du 27 novembre 2014 à 15h00
Financement de la recherche oncologique pédiatrique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Delaunay :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la mort à la suite d’un cancer est un drame qui bouleverse des vies, qu’il s’agisse d’un parent, qui disparaît brutalement, d’un jeune retraité envisageant une nouvelle vie avec son conjoint ou, bien sûr, d’un enfant soustrait à l’amour de ses parents.

Face à ces drames, le médecin doit suivre la règle universelle de la médecine contemporaine : une fois le diagnostic posé, il propose au jeune malade un traitement qui offre des chances validées de guérison ou, du moins, d’amélioration de son état. À défaut, il suggère d’inclure le patient dans un essai thérapeutique.

Envers la famille, le médecin a également l’obligation d’un pronostic loyal. Et il n’est pas plus facile d’annoncer à des parents un très mauvais pronostic pour leur enfant que de dire à un jeune homme de trente ou quarante ans atteint d’un cancer pulmonaire qu’il est au-dessus de toute ressource thérapeutique. Dans tous les cas, le médecin n’a évidemment pas le droit, pour apaiser la douleur des parents ou du malade, de proposer un traitement non validé, même si l’on fait miroiter un espoir thérapeutique. Je constate d’ailleurs avec beaucoup de satisfaction, monsieur Lagarde, que vous avez écarté cette possibilité depuis notre discussion en commission, alors qu’elle figure à chaque ligne de l’exposé des motifs de votre proposition de loi.

Les cancers de l’enfant sont peu fréquents – 1 % des cancers – et leur incidence est stable. Depuis quarante ans, ils connaissent des progrès thérapeutiques constants ; leur taux de survie avoisine aujourd’hui 80 %. Tous, nous voudrions qu’il en soit de même pour l’ensemble des cancers.

Chez l’enfant, les leucémies comptent pour environ un tiers des cancers ; les tumeurs neurologiques, pour un quart. Il s’agit principalement de gliomes, tumeurs également redoutables chez l’adulte. Les autres cancers de l’enfant sont des tumeurs d’organes, souvent développées à partir de cellules peu matures, les blastes, et appelées pour cela des blastomes – néphroblastomes, rétinoblastomes. Cependant, même ces tumeurs particulières sont traitées par des molécules identiques chez l’enfant et chez l’adulte.

Quant aux lymphomes, souvent accessibles au traitement, ils sont les seuls cancers de l’enfant à pouvoir bénéficier d’une immunothérapie du même type que celle qui s’adresse aux adultes.

Il est ainsi difficile, monsieur Lagarde, de regretter, comme vous l’avez fait en commission, qu’aucune molécule nouvelle ne soit apparue en oncopédiatrie depuis trente ans. Vous ne l’avez d’ailleurs pas souligné à nouveau lors du débat de ce matin.

À ce jour, aucune molécule n’est spécifique de l’enfant. En outre, tout traitement est aujourd’hui individualisé, c’est-à-dire adapté au type précis de la tumeur, à son site, qui peut être source de difficultés rédhibitoires, ainsi qu’aux caractéristiques de l’enfant.

La recherche sur les cancers de l’enfant est intense : elle concentre 10 % des fonds investis dans la recherche sur le cancer. Et il est honteux de dire, monsieur Lagarde, qu’elle est une honte pour notre pays. Les taux de guérison pour l’ensemble des tumeurs sont équivalents à ceux que l’on observe dans les pays les plus avancés.

Tous les enfants sont aujourd’hui traités dans des centres spécialisés, présents, en règle générale, dans chaque capitale universitaire. La communauté scientifique est en connexion permanente : tous les centres sont ainsi immédiatement informés de toute nouveauté ayant démontré son efficacité. J’insiste sur ce point. Si une solution thérapeutique ou une attitude chirurgicale ou radiothérapique se dégage à un endroit donné, elle sera immédiatement reproduite et évaluée dans les centres experts.

Une des difficultés de la recherche réside pour certaines tumeurs dans le petit nombre de cas et dans l’organisation d’essais supposant d’y accéder dans un temps court. Il faut donc envisager des procédures pouvant accélérer l’inclusion dans les essais et, plus encore, l’analyse des résultats, particulièrement lorsqu’il s’agit de comparer des attitudes thérapeutiques telles que chirurgie avec ou sans radiothérapie. En effet, les progrès thérapeutiques ne viennent pas seulement de médicaments nouveaux, loin de là.

Il s’agit aussi de permettre l’accès à des thérapeutiques ciblées correspondant à des voies particulières de la carcinogenèse. Vous avez entendu tout à l’heure l’engagement très important – je dirai même décisif – selon lequel, dès aujourd’hui, tout enfant présentant une tumeur, en échec des traitements de référence, pourra accéder au séquençage de son génome et sera ainsi un candidat potentiel à une thérapeutique ciblée et personnalisée.

Notre groupe, qui a pris en compte l’ensemble de ces données, ainsi que l’avis de l’Institut national du cancer, auquel vous destinez la ressource de votre taxe, et des professionnels des centres experts, tous très engagés, ne peut souscrire à cette proposition de loi.

Il ne peut y souscrire, d’abord, pour des raisons médicales, issues des données précédemment exposées.

Premièrement, parce que la proposition de loi comporte une ambiguïté forte entre traitements individualisés et traitements personnalisés, après étude du génome. Bien sûr, tous les traitements sont d’ores et déjà individualisés, c’est-à-dire adaptés non seulement au type précis de la tumeur – agressive, non agressive, infiltrante, non infiltrante –, à l’origine et au type cellulaire, mais aussi à son site, un élément qui est souvent décisif.

Deuxièmement, parce que ce texte trace une frontière trop importante entre tumeurs de l’enfant et tumeurs de l’adulte. Dans tous les champs thérapeutiques – chirurgie, radiothérapie, immunothérapie, chimiothérapie et même thérapeutique ciblée –, les progrès de la recherche concernent souvent, bien qu’en proportion variable, les cancers des enfants et des adultes, sans concurrence entre les uns et les autres.

C’est aussi pour des raisons de méthode que nous ne vous suivrons pas.

Tout d’abord, il nous paraît inopportun d’introduire une taxe additionnelle de 0,15 % sur le chiffre d’affaires des laboratoires pharmaceutiques, même si son taux pourrait être ramené à 0,05 %. Une telle taxe existe effet déjà, même si son assiette est différente, avec un taux de 1,6 %.

Surtout, cette taxe pourrait être contre-productive. Réclamer des travaux sur de nouvelles molécules, lesquelles sont mises au point pour plus de 90 % d’entre elles par l’industrie pharmaceutique, tout en taxant cette dernière, révèle en effet une certaine incohérence. Aux États-Unis, au contraire, les industriels qui développent des thérapies innovantes bénéficiant aux enfants se voient octroyer des facilités.

Plus encore, il paraît peu concevable et même peu acceptable de proposer une taxe spécifique pour les tumeurs oncopédiatriques alors que tant d’autres cancers rares et graves de l’adulte ou des maladies orphelines non cancéreuses le justifieraient de la même manière.

Établir une hiérarchie, voire une concurrence de gravité et de douleur, entre une sclérose latérale amyotrophique et une tumeur rare de l’enfant n’a pas de sens.

Pour autant, nous ne considérons pas que tous les problèmes sont résolus et nous partageons le souhait des familles et des associations de malades de tout faire pour améliorer et accélérer les progrès thérapeutiques. Il s’agit en particulier de mettre en marche des essais thérapeutiques, internationaux pour la plupart, plus efficients ; de renforcer la possibilité d’y accéder ; de simplifier les démarches administratives ; de soutenir les efforts méthodologiques dans l’élaboration des protocoles.

Oui, cela peut et doit se réfléchir, en particulier pour ce qui concerne les essais dits de phase 1, analysant des protocoles thérapeutiques utilisés pour la première fois sur un type de tumeur, comme les essais de thérapeutiques ciblées, adaptées aux voies différentes de la carcinogenèse.

C’est pourquoi je propose que, d’ici à la discussion du projet de loi relatif à la santé, nous nous mettions autour de table, en partenariat avec le ministère, voire avec l’Institut national du cancer – INCa – pour réfléchir à toute voie d’amélioration.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion