C’est en cela que votre projet de loi de financement de la Sécurité sociale marque une étape et qu’il fera malheureusement date.
Il fera date parce qu’il remet en cause un véritable pilier de la politique familiale en France depuis la création de la Sécurité sociale en 1946. Je veux bien sûr parler des allocations familiales, que vous remettez en cause par voie d’amendement, et ce, sans aucune étude d’impact préalable et sans même avoir évalué exactement quelles seraient les personnes concernées.
Ce sont les familles qui paieront, alors même que vous les avez déjà ponctionnées de plusieurs milliards d’euros. Nous vous avons régulièrement détaillé ces mesures au cours des deux lectures précédentes et auparavant : baisse du quotient familial à deux reprises, baisse de la prestation d’accueil du jeune enfant, fiscalisation des compléments familiaux de retraite, réforme du congé parental. Ce sont pas moins de 5 milliards d’euros qui ont été prélevés dans la poche des familles depuis 2012.
Vous ne voulez pas l’admettre, alors que le rapporteur du Sénat pour la branche famille vous l’a démontré : certaines familles sont très significativement touchées si l’on ajoute tous les effets induits de ces réformes. Certaines d’entre elles perdent ainsi l’équivalent des deux tiers d’un mois de salaire par rapport à leur situation de 2012.
Vous ne cessez de nous répéter que ces familles ne sont pas dans le besoin. C’est bien cela qui nous différencie car, pour notre part, nous considérons que des familles avec enfants ne doivent pas être comparées à des familles aux revenus identiques sans charge d’enfants. Tel est le rôle des allocations familiales, c’est le fondement de notre pacte social : chacun contribue selon ses moyens et reçoit selon ses besoins.
Ce consensus, vous le remettez en cause en oubliant que les familles participent de façon plus importante à la solidarité de notre régime. Ce sont leurs enfants qui paieront les retraites de demain.
Ce consensus, vous le remettez en cause alors que les allocations familiales constituent un élément essentiel de la politique familiale. Pour notre part, nous pensons simplement que les familles qui élèvent leurs enfants et qui assurent ainsi la pérennité de notre système de répartition doivent bénéficier d’une reconnaissance.
En outre, nous ne vous faisons pas confiance. Dès lors que vous remettez en cause l’universalité des allocations familiales, que vous conditionnez le versement des allocations familiales à un niveau de revenus, nous savons tous ici qu’il suffira au Gouvernement d’un simple décret pour abaisser les seuils au gré des besoins.
Une telle politique nous inquiète à plus d’un titre. Comment peut-on utiliser la branche famille comme variable d’ajustement d’un budget en déficit constant ? Comment peut-on l’utiliser pour combler les trous que vous avez creusés dans d’autres branches, notamment la branche vieillesse, pour laquelle vous ne proposez aucune réforme de structure ?
Je pourrais évoquer, une fois encore, de nombreux autres sujets détaillés au cours des deux précédentes lectures, mais je souhaite insister pour terminer sur un article du texte pour lequel le Sénat a demandé un rapport d’évaluation. Il s’agit de la réforme du congé parental, dont vous ne mesurez pas les conséquences pour les familles, y compris les plus modestes. Bien sûr, nous sommes pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Bien sûr, nous voulons favoriser l’insertion professionnelle des femmes. Mais cette égalité, cette insertion ne se feront que par le développement des modes de garde et par la correction des inégalités de salaire. L’égalité ne se réalisera pas en empêchant les mères qui le souhaitent de s’occuper de leurs enfants.
Près de 500 000 parents bénéficient chaque année du congé parental. Ce sont en priorité des familles modestes et ces parents sont atterrés par la réforme annoncée. Dans ces familles, mes chers collègues, quand la mère travaille en horaires décalés, par exemple, l’obliger à reprendre son travail un an avant l’entrée à l’école de son enfant, c’est la mettre en réelle difficulté. Nous parlons bien sûr des personnes qui, compte tenu de la faiblesse de leurs ressources, n’ont pas le choix d’autres modes de garde. Nous parlons enfin des familles pour lesquelles les horaires des crèches ne sont pas toujours adaptés.
Tout cela, vous ne l’avez pas estimé. Ou peut-être en êtes-vous tout à fait conscient, ce qui expliquerait pourquoi vous vous opposez à la remise d’un rapport d’évaluation qui détaillerait l’évidence.
Voilà, mes chers collègues, quelques-unes des raisons parmi les plus importantes pour lesquelles nous ne voterons pas votre projet de loi. Sachez que nous continuerons à faire entendre nos arguments de portée constitutionnelle sur tous ces sujets devant le Conseil constitutionnel. Quant aux arguments les plus politiques, nous y reviendrons lors de la discussion des textes à venir ; je pense en particulier au projet de loi relatif à la santé, qui sera le prochain rendez-vous de la commission des affaires sociales.