Intervention de Hervé Mariton

Séance en hémicycle du 1er décembre 2014 à 16h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2014 — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Mariton :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, le groupe UMP vous propose de voter une motion de rejet préalable, qui entend dénoncer les incohérences de votre politique économique et financière. La réalité, dans notre pays, c’est que le péril économique s’aggrave et que la situation des finances publiques ne s’améliore pas. Le président Carrez l’a rappelé : le solde budgétaire, qui était de 75 milliards en 2013, s’est encore aggravé en 2014, avec une exécution à 88 milliards d’euros. Le niveau atteint par la dette est très préoccupant, puisque nous allons, comme chacun sait, vers un niveau de dette publique correspondant à 100 % du PIB. Or, dans un pays où la dette est pour l’essentiel souscrite par des apporteurs étrangers, ce n’est pas seulement un problème financier qui se pose, mais aussi un problème de souveraineté.

Nous sommes dans un débat budgétaire, monsieur le secrétaire d’État, mais le budget va de pair avec la politique économique qu’il sert. Or ce qui frappe depuis le début de ce quinquennat – et les choses, hélas, n’ont guère évolué –, c’est l’incohérence de la politique économique que vous menez. Je l’ai dit bien des fois à cette tribune : le problème de votre Gouvernement – et la France en subit aujourd’hui les conséquences –, ce n’est pas tant qu’il n’a pas de politique économique, mais qu’il mène – et cela reste le cas, déclaration après déclaration, initiative après initiative – deux politiques économiques qui vont en sens contraire.

On a bien compris, après les maladresses, les erreurs et les fautes qui ont marqué le début du quinquennat, que le Gouvernement et une partie de la majorité ont voulu faire évoluer la politique économique dans un sens plus favorable aux entreprises. Un certain nombre d’initiatives ont été prises : on peut les critiquer techniquement, on peut considérer qu’elles ne sont pas à la hauteur, on peut aussi considérer qu’elles ne font que corriger partiellement les initiatives tout à fait malheureuses prises au début du quinquennat, notamment en termes de matraquage fiscal. La réalité, c’est qu’il y a eu, en effet, un certain nombre de déclarations et d’initiatives en ce sens de votre part, mais qu’il y a toujours, simultanément, et souvent de la part des mêmes acteurs, des déclarations et des initiatives concrètes qui vont dans un sens contraire.

Je prendrai comme exemples, monsieur le secrétaire d’État, deux déclarations de votre collègue Emmanuel Macron, et d’abord celle concernant le rapport réalisé, à la demande des gouvernements français et allemand, par deux économistes de renom de chacun des deux pays. Ce rapport a formulé un certain nombre de propositions de réformes structurelles, dont le président Carrez a rappelé l’urgence, en particulier dans le domaine du travail. Or, face à ces propositions, votre collègue a eu une réaction instantanée, une réaction réflexe, récusant a priori toute évolution majeure qui permettrait un assouplissement de la relation de travail et du droit du travail, qui est pourtant, beaucoup le savent, indispensable dans notre pays.

Les modalités actuelles de fixation du SMIC sont l’expression de la préférence française pour le chômage, et le ministre de l’économie, votre collègue – je ne sais pas si c’était dans ses intentions initiales, mais il répond manifestement, aujourd’hui, aux critères qu’exige son appartenance au Gouvernement – a immédiatement adopté ce mauvais réflexe ; se coulant dans un moule, il a fait sienne cette mauvaise contrainte de la préférence française pour le chômage en rejetant, par exemple, tout idée de voir évoluer les règles de fixation du SMIC.

Autre déclaration de votre collègue Macron : la Commission européenne a présenté les grandes lignes de ce qu’il est convenu d’appeler le plan Junker ; cette initiative était réclamée par de nombreux pays, dont le nôtre, et par de nombreux gouvernements, dont celui que vous représentez, monsieur le secrétaire d’État.

Or la réaction du Gouvernement de la France est de dire que cette proposition ne convient pas, parce qu’il n’y a pas suffisamment d’argent public, pas suffisamment de « vrai argent ».

Tant que les responsables gouvernementaux considéreront qu’un plan d’investissement à même de stimuler des initiatives nouvelles en termes d’infrastructures et d’équipements et de relancer l’investissement et la croissance en Europe doit d’abord reposer sur de l’argent public, ils feront un contresens économique majeur.

À voir ainsi le ministre de l’économie – dont on attendrait mieux – considérer qu’il n’y a pas suffisamment de dépenses publiques à son goût dans ce plan – l’Union européenne n’étant en effet pas à ce point déraisonnable – et déplorer qu’il consiste, pour l’essentiel, à stimuler et catalyser les initiatives d’un certain nombre d’acteurs de l’économie, on est pris d’une grande inquiétude sur la réalité de votre conversion économique.

Ces propos du ministre Emmanuel Macron étaient lourds de sens. Ce n’est pas parce qu’il s’agit d’argent privé et non de dotations budgétaires supplémentaires, ni parce que l’on n’a pas recours à un impôt européen ou une dette européenne nouvelle qu’il ne s’agit pas de « vrai argent ».

S’agissant des incohérences de la politique économique, permettez-moi de dénoncer, comme je le fais souvent – et je pourrai sur ce point être accompagné de députés siégeant à la gauche de cette hémicycle –, les errements du projet de loi de transition énergétique. Avec mon collègue Marc Goua, de la commission des finances, nous avons en effet évalué la dette implicite qu’entraînent les choix énergétiques incohérents effectués à cette occasion : non seulement les pertes, que l’État devra compenser avec de nouvelles dépenses publiques, se chiffreront en dizaines de milliards d’euros, mais plus généralement, les conséquences économiques et sociales seront lourdes.

Tout aussi illisibles sont, monsieur le secrétaires d’État, les réformes mises en oeuvre par votre gouvernement. Y a-t-il besoin, y compris pour des raisons budgétaires, d’une réforme territoriale ? La réponse est oui. Or vous avez réussi à apporter, sur un enjeu important, une réponse incompréhensible. Vous faites preuve d’une réelle capacité à transformer un vrai sujet en nid à problèmes, et d’une imprévision totale s’agissant des conséquences que cette nouvelle organisation entraînera en termes de compétences territoriales comme de budget.

Illisibilité et insuffisance des réformes, encore, lorsque l’on constate qu’après des initiatives très insuffisantes et très mal orientées destinées à faire évoluer le système des retraites, le Gouvernement fait montre, dans ce domaine, d’un immobilisme qui ne lui permet pas de préparer l’avenir. L’incapacité à éclairer le chemin, qu’il s’agisse de l’organisation territoriale de notre pays comme de l’évolution des régimes de retraite, est d’ailleurs une des causes majeures de la défiance dont il souffre et qui pèse sur l’économie de notre pays.

Incohérence de la politique économique, incohérence de la politique budgétaire, et – comme le président Carrez l’a évoqué – incohérence dans notre relation avec la Commission européenne. Je ne dis pas cela par bigoterie ou par volonté de laisser Bruxelles décider à notre place, mais lorsque l’on a pris des engagements raisonnables, quoique plusieurs fois corrigés, et que l’on a obtenu un sursis à maintes reprises, il est souhaitable de chercher à respecter ces engagements plutôt que de les ignorer ou de les mépriser. Le non-respect de la trajectoire des finances publiques se paie aujourd’hui d’une mise sous tutelle de notre budget.

Il vaudrait mieux, monsieur le secrétaire d’État, que vous soyez davantage à la manoeuvre afin de respecter cette légitime trajectoire, plutôt que de subir, comme ce fut le cas ces dernières semaines, les injonctions successives de la Commission. Elles seront d’ailleurs probablement renouvelées au cours de l’automne, parce que vous ne tenez pas les engagements pris devant nos partenaires et présentés à la représentation nationale.

Vous protestez parfois du contraire, mais la patrouille vous rattrape. La Commission elle-même – y compris M. Moscovici – a souligné à plusieurs reprises qu’en matière de réformes, le compte n’y est pas. La détermination, la fermeté, le réalisme font défaut. Vous êtes très loin d’avoir pris l’ensemble des mesures d’économies envisagées, ce que traduit d’ailleurs l’exécution budgétaire pour 2014.

L’incohérence dans la relation avec Bruxelles, n’est donc pas sans effets sur les équilibres, ou plutôt les déséquilibres de nos finances publiques. S’agissant des dépenses, le président Carrez l’a rappelé, les réductions sont insuffisantes et lorsqu’elles existent, elles sont d’une inquiétante fragilité. C’est notamment le cas des 1,6 milliard d’euros économisés grâce à la baisse du coût de la dette. Vous savez très bien que cette tendance n’est pas acquise pour l’avenir, car elle est conditionnée par l’évolution des politiques monétaires sur la planète, et en particulier aux États-Unis. Or l’évolution de la politique monétaire américaine n’annonce rien de bon pour la fin de l’exécution 2015. Vous ne pourrez donc pas compter sur de tels effets d’aubaine pendant toute la durée de cet exercice, et encore moins par la suite.

Les recettes sont en chute de 12 milliards d’euros, ce qui est, pour une bonne part, le résultat de votre politique économique. Le matraquage fiscal et vos choix budgétaires entraînent en effet une aggravation de la situation économique, qui a elle-même pour conséquence une dégradation de la situation budgétaire.

Vous faites encore preuve d’incohérence, monsieur le secrétaire d’État, s’agissant des enjeux stratégiques. Je veux souligner la pratique détestable consistant à mobiliser les crédits destinés aux investissements d’avenir pour financer les dépenses ordinaires de l’État. Il était important de résister à cette tentation, qui a probablement toujours existé, mais aujourd’hui, manifestement, vous y cédez.

Pour l’anecdote, ce renoncement s’étend même aux questions de présentation budgétaire. Ainsi, dans le projet de loi de finances pour 2015, les chiffres que vous avez présentés devant la représentation nationale s’agissant des investissements d’avenir ne correspondent pas, à 11 milliards près. Voilà qui est tout de même assez fâcheux ! Sans doute est-ce affaire de présentation, d’imputation ou de non-imputation de ces investissements, mais je trouve le problème assez révélateur du malaise qui vous gagne lorsqu’il s’agit d’assumer votre politique.

Outre l’incohérence sur les enjeux stratégiques, vous faites preuve d’incohérence sur les engagements fiscaux. Depuis le début de la législature, nous avons entendu des responsables de l’exécutif, et jusqu’au plus haut niveau, s’engager à ne pas augmenter les impôts – du moins pas demain, ou pas après-demain, ou dans un autre texte, en tout cas jamais à l’heure où on l’affirme. Et de fait, ce collectif budgétaire comprend des augmentations d’impôts.

C’est le cas pour les banques. Évidemment, ces institutions ne font pas partie des contribuables les plus populaires, ceux auxquels nos concitoyens seront les plus sensibles. Il reste cependant qu’une lourde augmentation de la fiscalité dans ce secteur ne pourra rester sans effet sur la politique du crédit dans notre pays.

S’y ajoutent en outre des mesures fiscales concernant les assurances ou d’autres contribuables, comme cette funeste proposition destinée à augmenter la taxe d’habitation.

C’est encore d’une incohérence que témoigne la dégradation de la signature de la France. Celle-ci est en effet liée à votre politique fiscale, mais aussi aux caprices manifestés par le Gouvernement sur un certain nombre de dossiers, dont celui de l’écotaxe n’est qu’un exemple parmi d’autres.

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