Madame la présidente, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle donc l’examen de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, déposée conformément aux articles 137 et suivants du règlement de l’Assemblée nationale.
Le dépôt de cette proposition de résolution, à l’initiative d’Éric Ciotti et de moi-même, résulte d’abord de la prise de conscience dans notre pays de l’ampleur du phénomène djihadiste, révélé cet été après les exactions commises au nord de l’Irak et en Syrie par les combattants de l’État islamique sur les populations chrétiennes, kurdes et yézidies. J’ai appris sur place, du commandement kurde à Erbil, que sur les 40 000 djihadistes qui prennent part aux combats, 10 000 sont des étrangers, dont plus d’un millier de Français.
Cette résolution s’inscrit également dans le prolongement de la loi du 13 novembre 2014 présentée par le ministre de l’intérieur M. Bernard Cazeneuve, tendant à renforcer les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme et dont je rappelle que l’opposition l’a votée, compte tenu de l’urgence pour la sécurité nationale.
Durant l’examen du projet de loi, le ministre de l’intérieur s’était publiquement engagé à « prendre 100 % de précautions contre le risque d’attentat djihadiste ». Je le cite encore : « Nous devons tout faire pour contenir la menace potentielle que représente le retour en France de combattants formés en Syrie au maniement des armes et des explosifs, qui ont souvent commis les pires atrocités criminelles, endoctrinés par le discours de haine envers l’Occident laïque et souvent déshumanisés par l’expérience quotidienne et répétée de la violence ».
Certains, nous le constatons déjà, auront fui la Syrie, sur leur propre initiative, et chercheront sans aucun doute à oublier cette terrible épreuve. Cependant, le ministre l’affirmait : « nous ne pouvons pas courir le risque d’en laisser d’autres tenter de reproduire, sur le sol français, au nom du djihad, la violence barbare qu’ils auront connue en Syrie ou, désormais, en Irak ».
Lors de la discussion du projet de loi, le groupe UMP a déposé une série d’amendements visant à renforcer la détection des filières, les sorties du territoire et, bien sûr, le retour des terroristes djihadistes, en s’inspirant parfois des dispositifs législatifs des pays voisins. Je pense notamment à l’Angleterre et à l’Allemagne.
Tout en nous rejoignant sur le constat – M. Cazeneuve disait : « vous avez raison, il faut s’occuper de ceux qui reviennent. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous nous en occupons grandement » – le ministre avait cependant cru bon de rejeter la quasi-totalité de nos amendements.
On connaît la suite. Il n’aura fallu qu’une petite semaine pour que les craintes exprimées par les députés UMP lors des débats se vérifient. À la suite, semble-t-il, d’un défaut de coopération flagrant entre les services de police et de renseignement turcs et français d’une part et d’une panne, apparemment fréquente, du système Cheops visant à identifier les personnes suspectes au moment où elles franchissent les frontières françaises d’autre part, trois individus soupçonnés d’activités terroristes, fichés comme tels et revenant de Syrie – l’un d’entre eux était même lié à la famille de l’auteur des attentats de Toulouse, Mohammed Merah – ont pu pénétrer en France en toute tranquillité, sans le moindre contrôle, en provenance de Syrie via la Turquie.
Ces dysfonctionnements sont d’autant plus atterrants que le cabinet du ministre de l’intérieur avait, à l’époque, estimé de bonne politique de communiquer par avance sur l’arrestation de ces trois suspects alors même qu’ils entraient tranquillement en France.
Devant cette situation aussi inacceptable que grave, j’ai demandé la création d’une commission d’enquête parlementaire visant à balayer l’ensemble des sujets, de la détection et la surveillance des filières et des individus radicaux représentant des risques manifestes de réalisation d’actes terroristes, ou du contrôle aux frontières, à la sortie comme au retour, jusqu’au traitement de ces personnes, dans le milieu carcéral ou en dehors.
De même, il conviendra de faire la lumière sur l’état de nos systèmes de contrôle et sur les missions assignées aux agents chargés de la coopération sécuritaire dans nos ambassades et postes à l’étranger. Cette commission pourrait également faire le point sur la coopération policière en Europe, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’espace Schengen, ainsi qu’avec des pays clés comme la Turquie.
En outre, il me semble important de nous interroger sur la politique carcérale pratiquée. On peut en effet se demander si le regroupement sur une même maison d’arrêt des islamistes radicaux de retour de zones de combat, comme c’est le cas semble-t-il en ce moment à Fresnes, constitue une mesure adaptée. À cet égard, les récents travaux Guillaume Larrivé, pourraient être utiles à la commission. Nous pourrions aussi nous pencher sur la récente initiative danoise de « décontamination des djihadistes ».
Tous ces sujets, qui n’ont pas été pleinement traités lors de l’examen de la loi, méritent d’être étudiés. Ils pourront être abordés par cette commission.
Enfin, l’actualité nous conduit à poser de nouveau la question du recrutement des candidats français au djihad, au nombre – tenez-vous bien – de cinq ou six par semaines, d’après les chiffres officiels.
Sur ce point, la guerre d’image orchestrée par l’État islamique mérite d’être évaluée à sa juste mesure. Une vidéo postée fin novembre et montrant les auteurs des décapitations de soldats syriens et d’un travailleur humanitaire américain, parmi lesquels figurent deux Français, témoigne de l’extrême gravité de ce phénomène. Seulement quelques jours plus tard, on pouvait voir sur internet une seconde vidéo montrant trois jeunes combattants de l’État islamique qui appelaient, en français, les musulmans de France à rejoindre les rangs des djihadistes en Syrie ou, à défaut, à commettre des attaques en France, tout en brûlant leur passeport français devant la caméra. Cette vidéo a fait l’objet d’une intervention du ministre de l’intérieur, qui, à raison, demande de regarder en face les monstruosités et la barbarie de ces groupes terroristes.
La commission que je vous demande de créer aura, là encore, mission de renforcer notre dispositif.
Vous conviendrez, mes chers collègues, que cette demande de commission d’enquête, inspirée uniquement par le souci de protéger nos concitoyens contre la menace mortelle que font peser les fanatiques, recrutés pour partie au sein même de notre communauté nationale, écarte d’emblée tout esprit partisan. Il s’agit de renforcer les moyens des agents de l’État qui se battent contre ce phénomène ainsi que d’évaluer et de mieux coordonner l’action publique pour forger le consensus le plus large possible au sein de la nation contre ce péril sans précédent.
Tel est le sens de l’initiative que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui au nom du groupe UMP et dont nous souhaitons, avec Éric Ciotti, qu’elle recueille un assentiment général sur tous les bancs.