Intervention de éric Heyer

Réunion du 16 octobre 2014 à 10h00
Commission d'enquête relative à l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

éric Heyer :

Si l'on regarde la zone euro comme un bloc où les excédents commerciaux allemands ne se distinguent pas des déficits français, le problème ne se pose plus : la zone euro a une balance commerciale à l'équilibre, des déficits publics globalement sous les 3 % et une dette publique inférieure à celle des États-Unis ou du Royaume-Uni.

Entre 2003 et 2006, l'Allemagne avait laissé filer ses déficits au-delà des critères de Maastricht, en contrepartie de réformes structurelles, conformément aux termes mêmes de l'accord conclu entre M. Chirac et M. Schröder. Autrement dit, on ne peut à la fois mener des réformes comparables à celles de l'Allemagne en 2002 et réduire les déficits publics. Pendant la mise en oeuvre des réformes Hartz, la croissance allemande était à un niveau catastrophique, dans un contexte de croissance mondiale soutenue. Pour imiter l'Allemagne, il faudrait donc décider seul d'un choc de coût du travail et laisser filer les déficits, et ce dans un contexte de forte croissance mondiale. Aujourd'hui, tous les pays veulent suivre cette voie de concert, en diminuant les déficits et dans un contexte de ralentissement de la croissance mondiale. Les résultats seront forcément différents.

Quant au coût des 35 heures, les comptables ne le calculent pas de la même façon que les économistes : les premiers diront qu'il atteint 10,5 milliards d'euros par an ; les seconds retiendront le coût ex post car ils tiendront compte des emplois créés – auquel cas la mesure s'autofinance partiellement – ou détruits – auquel cas elle plus coûteuse encore ex post qu'ex ante.

L'évaluation de la DARES date de 2005 ; la nôtre, de 1997 : il s'agissait donc en réalité d'une simulation, qui du reste, je le répète, a donné les mêmes ordres de grandeur.

L'annualisation a en effet permis de réduire le nombre d'heures supplémentaires ; cela a d'ailleurs coûté cher, en termes de popularité, au Gouvernement d'alors puisque la mesure a pénalisé le pouvoir d'achat de certains ouvriers, dont les heures supplémentaires n'étaient déclenchées qu'après la 1 600e heure. On estimait que la RTT aurait un impact moindre pour les cadres, dont la durée du travail est moins prescrite, et que les ouvriers y gagneraient ; en réalité, les ouvriers insiders y ont plutôt perdu pour les raisons que j'indiquais, mais des emplois ont été créés ; si bien que l'on peut analyser le phénomène comme un partage du travail. Quant aux cadres, ils ont parfois été gagnants, notamment avec les forfaits jours qui libèrent des jours de vacances, mais au prix d'une flexibilité accrue qui a augmenté leur stress. La réforme des 35 heures a d'ailleurs accru leur durée potentielle de travail, qui, compte tenu uniquement de la limite des onze heures de repos obligatoires, peut aller jusqu'à treize heures par jour ; multipliée par 210 jours, elle atteindrait un niveau très élevé.

Au demeurant, la question du temps de travail doit plutôt être envisagée tout au long de la vie : on entre en moyenne plus tard sur le marché du travail en France qu'ailleurs, et l'on en sort un peu plus tôt, si bien qu'un Français aura travaillé moins longtemps qu'un Allemand au cours de sa vie ; mais, sur une année, les durées sont comparables – selon certaines estimations, la durée annuelle est même supérieure de 7 % en France. C'est donc par une entrée plus précoce sur le marché du travail et une sortie plus tardive qu'il faut envisager le problème, plutôt qu'en jouant sur les durées annuelles ou hebdomadaires.

La France a utilisé le temps de travail comme un outil de création d'emplois à long terme, mais pas assez comme un outil conjoncturel. La crise a entraîné une chute de la production, chute qui a conduit les entreprises à diminuer leur volume horaire. Celui-ci recouvre à la fois l'emploi et la durée du travail. Or la France a très peu réduit le temps de travail pendant la crise, par comparaison avec les autres pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) : l'ajustement s'est fait essentiellement sur l'emploi, contrairement à l'Allemagne où il s'est fait presque exclusivement sur le temps de travail – à travers le chômage partiel ou les comptes épargne-temps. Un keynésianisme bien compris impose de réduire le temps de travail en période de crise et de l'augmenter en période de plein emploi : la France n'utilise pas suffisamment cette arme.

La question se pose de savoir s'il faut réduire le temps de travail à travers la durée légale ou le temps partiel. L'inconvénient de la voie choisie par la France, la durée légale, est qu'elle s'applique indifféremment à toutes les entreprises de même taille et du même secteur ; l'inconvénient de la seconde voie est d'accentuer la dualité du marché du travail, avec des salariés à temps partiel aspirant à des contrats à temps plein. L'exemple le plus éloquent est celui des Pays-Bas, dont le marché du travail est divisé à parts égales entre les salariés à temps plein et à temps partiel, celui-ci étant subi dans 80 % des cas, essentiellement par des femmes. Un équilibre peut être trouvé au sein de la cellule familiale, mais le pacte est évidemment rompu en cas de divorce. Le recours massif au temps partiel, s'il est plus souple que le chômage, peut cependant poser aussi des problèmes d'inégalité.

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