Intervention de Damien Abad

Séance en hémicycle du 4 décembre 2014 à 9h30
Principe d'innovation responsable — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDamien Abad :

Toute recherche comporte des risques, comme on a pu le voir de l’invention de l’électricité aux nanotechnologies, en passant par les biotechnologies, les organismes génétiquement modifiés et l’énergie nucléaire.

Pour innover, il faut oser, il faut risquer, il faut évaluer les coûts et les bénéfices. C’est exactement l’objectif de la proposition de loi constitutionnelle par laquelle, avec M. Éric Woerth et mes collègues cosignataires, nous voulons inscrire dans le bloc de constitutionnalité un principe d’action équilibré, favorable à la recherche, à l’innovation et au progrès, tout en ayant conscience de certaines limites, des conséquences et des risques avérés.

Ce texte a été élaboré après mûre réflexion. La Charte de l’environnement de 2005 a bien été adoptée par la majorité UMP de l’époque et nous ne remettons pas en cause ce texte.

Je voudrais ici relever un certain nombre d’idées reçues. Tout d’abord, nous souhaitons faire évoluer ce texte en fonction des évolutions mêmes de la société. C’est le fruit d’une longue réflexion : rappelons que M. Jacques Attali lui-même, dans son rapport de 2008, évoquait ce thème. L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a dressé le bilan du principe de précaution en octobre 2009. Mme Anne Lauvergeon, dans son rapport de la commission Innovation 2030, a lancé cette réflexion. On voit que cette réflexion se prolonge, et je salue d’ailleurs l’initiative prise par la commission des affaires économiques de constituer un groupe de travail sur les freins à l’innovation : c’est insuffisant, mais c’est déjà une première étape.

Nous nous sommes donc rendu compte qu’il était préférable aujourd’hui d’instaurer un principe d’innovation responsable, compromis issu de plusieurs propositions de loi. En effet, ce principe d’innovation responsable englobe le principe de précaution, tout en prenant en considération une nouvelle dynamique économique et sociale instaurée par ce principe d’innovation. En effet, l’innovation responsable permet un développement économique et social efficace, réfléchi et pondéré face aux grands risques environnementaux.

Il y a, je vous l’ai dit, beaucoup d’idées reçues, notamment dans nos débats en commission des affaires économiques, d’abord sur le principe de précaution lui-même.

Les critères du principe de précaution se trouvent à l’article 5 de la Charte. Ce principe est également mentionné à l’article 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ; il est d’ailleurs beaucoup mieux encadré et défini que dans la Charte. Enfin, il est reconnu par la loi Barnier de 1995.

Vous avez affirmé tout à l’heure, madame la rapporteure pour avis, que la création d’un principe d’innovation responsable en France entrerait en contradiction avec le droit européen. Or, vous savez déjà que le contenu du principe de précaution n’est pas le même dans la Charte de l’environnement français et dans le droit européen. Votre argument ne tient donc pas puisque le contenu n’est pas le même sur le principe de précaution en tant que tel.

Notons qu’il faut bien faire la différence avec le principe de prévention, qui vise à réduire ou à empêcher les dommages liés aux risques avérés d’atteinte à l’environnement ou à la santé humaine : il s’agit en l’occurrence d’éviter la création de nuisances plutôt que de combattre ultérieurement leurs effets. En revanche, le principe de précaution s’applique dans l’hypothèse d’un risque potentiel. L’absence de certitude scientifique ne doit en effet pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir, à un coût social et économique acceptable, la dégradation de l’environnement ou de la santé humaine.

Nous avons eu un débat en commission sur le bisphénol A. Mme Delphine Batho, dont je regrette qu’elle ne soit pas présente aujourd’hui, nous avait alors dit que le bisphénol A avait été pris en exemple comme application du principe de prévention. Force est de constater que cela est faux : il a été interdit en France sur le fondement d’un risque potentiel pour tout conditionnement à vocation alimentaire, à la différence de ce que préconisait la Commission européenne Il a donc bien été interdit au nom du principe de précaution.

Deuxième idée reçue : le principe d’innovation responsable vaudrait suppression pure et simple du principe de précaution. Il s’agit là encore d’une vision caricaturale car le principe d’innovation responsable est une conception plus large de la responsabilité, qui englobe à la fois le principe de précaution, le principe de prévention, le principe de réparation ainsi que les droits d’information et de participation ; tous ces principes se trouvent d’ailleurs dans la Charte de l’environnement. Le principe de précaution est donc maintenu dans l’ordre juridique, qu’il soit ou non inscrit dans la Charte et qu’il soit ou non remplacé par le principe d’innovation responsable. Sa valeur juridique est ainsi contraignante, grâce aux traités européens et à la loi Barnier.

Remettre en cause l’idée de la juridicité de ce principe, s’il n’est plus inscrit tel quel dans la Charte, reviendrait à remettre en cause la hiérarchie des normes et notre obligation à faire appliquer le droit européen primaire.

Soulevons encore une autre idée reçue, voire un paradoxe, lorsque nos contradicteurs soutiennent la nécessité du principe de précaution, tout en déclarant par la suite qu’il est en réalité inefficace juridiquement. Il a été dit pendant la discussion en commission qu’aucune instance judiciaire n’a rendu une décision de justice en se fondant sur le principe de précaution.

Toutefois, à plusieurs reprises, le Conseil d’État a visé le principe de précaution pour rendre ses décisions. Pour ne prendre qu’un seul exemple, dans un arrêt 19 juillet 2010, le Conseil d’État a considéré que le principe de précaution, tel qu’énoncé à l’article 5 de la Charte de l’environnement, s’appliquait même sans texte d’application, que le principe de précaution était directement applicable à une autorisation délivrée en droit de l’urbanisme et enfin que le tribunal administratif qui avait rendu la décision préalable avait commis une erreur de droit. La non-application juridique du principe de précaution par les juridictions est là encore une idée reçue. Il n’y a qu’un pas à faire pour le parallélisme avec l’application du principe d’innovation responsable.

Enfin, on nous a dit qu’instaurer un principe d’innovation responsable serait, je cite encore une fois Mme Batho, une « régression intellectuelle ». Certains ont voulu nous faire entrer dans un débat caricatural en affirmant que cela constituerait un retour en arrière, alors qu’il s’agit en fait d’une marche avant vers le progrès.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion