En effet, notre pays a alors fait le choix de prendre davantage en compte les grands risques environnementaux auxquels nous sommes et serons confrontés. C’est l’article 5 de cette même Charte qui érige le principe de précaution au rang le plus élevé de la hiérarchie des normes juridiques.
Afin d’éviter tout amalgame, j’aimerais préciser un point : le principe de précaution concerne exclusivement l’environnement et ne s’applique en matière sanitaire qu’en cas de combinaison des risques pour la santé et pour l’environnement.
Trop souvent, l’opinion publique, les médias et, pourquoi ne pas l’avouer, certains élus confondent prévention et principe de précaution, ce qui entretient la confusion et pose de réels problèmes d’interprétation excessive.
Par ce bref rappel historique et sémantique, j’ai souhaité démontrer que le principe de précaution est très nettement inscrit, voire gravé, dans de nombreux textes, qu’ils soient nationaux, européens ou internationaux.
Pour autant, le groupe UDI écoute et entend les inquiétudes qui peuvent subsister. En effet, nombreux sont ceux qui pensent, et même affirment, que ce principe pourrait ralentir la recherche.
Ces craintes sont d’autant plus compréhensibles que l’application du principe de précaution reste encore incertaine.
Il est évident que la définition particulièrement imprécise de ce principe pose des problèmes de signification comme d’interprétation.
Nous pensons qu’il est nécessaire – et sans doute urgent – d’ouvrir un véritable débat de fond afin de définir ce que devrait recouvrir ce principe, mais aussi de l’encadrer et de lui permettre de s’appliquer dans un contexte rationnel et compris par tous. Et, pourquoi pas, par nous tous ! C’est d’ailleurs le voeu que vous formuliez il y a quelques instants.
Il est d’abord nécessaire de structurer la concertation : c’est de cette façon, chers collègues, que les pays anglo-saxons ont abordé les grandes controverses scientifiques. Il est souhaitable de se poser la question des moyens dévolus aux expertises indépendantes et pluridisciplinaires. Il faut aussi déterminer les acteurs et les interlocuteurs qui interviennent dans l’application de ce principe. En effet, qui peut, mais surtout qui doit prendre, aujourd’hui, la décision de mettre en oeuvre des procédures d’évaluation des risques et d’adoption de mesures proportionnées ? Est-ce la justice, l’expertise, la décision publique ou encore l’opinion publique ?
Il convient, par ailleurs, de trouver enfin de véritables critères d’application pour éviter une utilisation irrationnelle du principe de précaution.
Faute de dispositions légales suffisantes, nous ne pouvons malheureusement pas, aujourd’hui, avoir d’évaluation précise des décisions publiques prises en matière de gestion des risques.
Il est grand temps de réfléchir à l’organisation d’un grand débat public autour du principe de précaution. Nous pensons qu’il s’agit d’une première étape, nécessaire avant de remettre en cause, comme vous avez l’intention de le faire, chers collègues, l’inscription même de ce principe dans notre Constitution.
Lors de l’examen de la proposition de résolution sur la mise en oeuvre du principe de précaution, votée à la quasi-unanimité en février 2012, nos collègues Alain Gest et Philippe Tourtelier, députés UMP et socialiste, avaient à plusieurs reprises rappelé qu’aucun des interlocuteurs qu’ils avaient pu rencontrer n’avait proposé de faire marche arrière et d’effacer ce principe de la Constitution. Ils derniers souhaitaient même étendre ce principe à d’autres domaines : pourquoi pas la santé ? Et les pratiques folles des banquiers ayant provoqué en 2008 l’évaporation de milliards de dollars, n’auraient-elles pas dû être encadrées plus solidement ?
À première vue, l’intérêt de la proposition de loi présentée aujourd’hui nous paraît difficilement compréhensible, puisque ce texte semble aller à contre-courant de l’opinion majoritaire et, surtout, de l’étude menée par ces deux députés, il y a seulement deux ans.
Supprimer le principe de précaution pourrait constituer un terrible signal pour nos concitoyens, davantage conscients des risques environnementaux et sanitaires qui les entourent et particulièrement actifs dans le débat public. En effet, les Français se montrent de plus en plus méfiants vis-à-vis des décisions publiques qui peuvent être prises. Cette défiance s’explique par une élévation de leur niveau de formation et aussi par une meilleure information des populations sur les risques encourus en matière d’environnement et de santé. Nous nous en réjouissons.
Malheureusement, un certain nombre d’événements récents ont confirmé qu’ils avaient raison de s’alarmer. Amiante, sang contaminé, hormone de croissance, pluies acides, Fukushima, Médiator, Distilbène, Chlordécone, mercure dentaire, plomb : la liste est longue…
Au vu des récentes catastrophes que nous avons connues et de leurs terribles conséquences pour notre société, il est tout à fait normal que nos concitoyens remettent de plus en plus facilement en cause la bonne gestion de certains risques.
La population mérite donc une transparence absolue de la part des pouvoirs publics sur ces questions. Nous, les représentants de la nation, devons tenir compte de ces aspirations.
L’opinion publique met de plus en plus en doute les positions des décideurs politiques, suspectés de préférer les intérêts économiques, voire leurs propres intérêts, à la préservation de l’environnement et à la santé de leurs concitoyens.
Vouloir supprimer tout bonnement et sans détour le principe de précaution, c’est creuser encore un peu plus le fossé entre les décideurs publics et les citoyens, c’est briser encore davantage la confiance, ciment de notre démocratie.
La suppression pure et simple, sans aucune réflexion d’ampleur, du principe de précaution donnerait finalement raison à ceux qui voient dans le progrès un mal absolu.
Je reste intimement persuadé que nous ne pouvons pas parler, aujourd’hui comme hier d’ailleurs, de progrès lorsqu’il n’est pas responsable. Au XVIe siècle, François Rabelais disait déjà : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. »