Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à mon tour, je voudrais souligner l’étrangeté de la démarche de nos collègues de l’UMP.
En 2004, c’est sous le gouvernement Raffarin que l’UMP a inscrit, dans l’article 5 de la Charte de l’environnement, le principe de précaution, qui existe dans le droit international depuis plusieurs décennies, cela a été rappelé. La Convention de Rio de 1992 propose la généralisation de son application ; le traité de Maastricht mentionne explicitement ce principe et le fait figurer aux côtés des principes de prévention, de pollueur-payeur et de participation ; la loi Barnier de 1995, enfin, l’introduit dans le droit français.
Il faut reconnaître à nos collègues de l’UMP une constance dans leur volonté de faire disparaître le principe de précaution de la Charte, puisque cela doit être leur quatrième tentative en deux ans !
Le principe de précaution est-il l’ennemi de l’innovation ? Les cosignataires de cette proposition de loi constitutionnelle semblent le croire, puisque, selon l’exposé des motifs, ce principe aurait pour conséquence l’inaction, l’interdiction et l’immobilisme ; plus grave, le principe de précaution conduirait au « principe d’inaction, d’interdiction et d’immobilisme ». Voilà donc que les conséquences redoutées du principe de précaution sont elles-mêmes érigées en principe ! C’est là un glissement sémantique qui condamne le principe de précaution : tel était le but recherché.
Afin d’éviter toute confusion et tout excès, il est nécessaire de rappeler les éléments constitutifs du principe de précaution, tels qu’ils figurent explicitement dans la Charte de l’environnement. Leur lecture in extenso ayant déjà été faite, je me contenterai ici d’un résumé. La possibilité de la réalisation d’un dommage, en l’état des connaissances scientifiques, ayant des conséquences graves et irréversibles sur l’environnement, appelle une évaluation des risques et l’adoption de mesures provisoires et proportionnées pour parer à la réalisation du dommage. Rappelons que le principe de précaution s’impose aux pouvoirs publics, et non aux acteurs économiques : cela a été dit.
Je vois par ailleurs, dans l’introduction de l’expression « innovation responsable » un problème de cohérence dans la hiérarchie des normes. En effet, vous introduiriez dans la Constitution, mesdames et messieurs les députés de l’UMP, des termes différents de ceux qui figurent dans les textes internationaux, européens, ainsi que dans notre propre loi. Cette incohérence produirait de longs débats inutiles sur la définition et la portée des termes employés, revenant sur une patiente construction légale et jurisprudentielle. Mais ne serait-ce pas là votre objectif ?
Plus surprenant, on peut déceler une contradiction manifeste entre votre objectif, qui est de lutter contre l’immobilisme, et le risque réel de pétrifier la recherche, en faisant peser une responsabilité civile nouvelle sur l’innovation. Contrairement à ce que vous laissez entendre, le principe de précaution s’appuie sur la recherche scientifique et tend à la favoriser, la décision publique devant se fonder sur l’état des connaissances et leur évolution. Ainsi, ce principe impose l’évaluation des conséquences des innovations dans le temps. Mieux encore, il suppose l’anticipation et non l’immobilisme. Au final, l’application du principe de précaution renforce avant tout la qualité de la décision publique. Il nous impose l’évaluation des bénéfices attendus pour la société, et des risques encourus, pour assurer une prise de décision transparente et en connaissance de cause.
D’ailleurs, le Conseil économique social et environnemental, dans son avis rendu en 2013, souligne que : « Le principe de précaution peut être considéré comme un élément moteur d’une innovation au service de l’homme et des générations futures. »
Je vous invite donc, mes chers collègues, à ne pas adopter cette proposition de loi constitutionnelle.