On agite ainsi aujourd’hui l’épouvantail du principe de précaution à des fins politiciennes. Ce débat, utile, mérite mieux que ce mauvais coup porté au principe de précaution !
On reprochera ensuite deux défauts majeurs à cette proposition de loi.
Le premier est que, simpliste dans sa forme et ses objectifs, cette proposition dénature totalement ce qui fait la force du principe de précaution.
Celui-ci a, il est vrai, été dévoyé au fil du temps dans le langage commun par des intégristes de la pensée, souvent antagonistes. Rappelons qu’il est d’abord un principe d’action et de gestion des risques ; un principe de responsabilisation des porteurs de projets dans une multitude de domaines : chimie, ingénierie, agriculture, santé.
On remarquera également que la jurisprudence pénale et administrative a progressivement circonscrit l’application directe du principe de précaution afin de ne pas inhiber l’action des pouvoirs publics. Le principe de précaution n’est donc pas un principe de prévention !
Le second défaut de cette proposition est qu’elle oppose frontalement principe de précaution et principe d’innovation là où il faudrait, au contraire, les rapprocher et chercher de la complémentarité entre eux. On veut supprimer et effacer du champ lexical un principe qui ressort aujourd’hui de notre patrimoine politique et qui est accepté comme tel.
À notre sens, ces deux principes peuvent et doivent s’équilibrer et coexister dans notre Constitution. À leur manière et sans empiéter l’un sur l’autre, ils s’inscrivent dans une démarche de recherche, de développement et de mise en oeuvre industrielle qui marche sur deux jambes : innovation et précaution font cause commune. À l’extrême, notre intelligence collective commanderait d’inscrire ces deux principes dans notre Constitution, et peut-être que les travaux du futur groupe de réflexion déboucheront sur cette solution.
Arrêtons d’opposer les pro-sciences d’un côté et les obscurantistes de l’autre, les modernes et les archaïques. Ni société aseptisée, ni précautionnisme, ni productivisme acharné : nous devons permettre à tous de réunir les conditions d’une croissance responsable. Ne soyons pas piégés et pris en otage par les idéologies. Par définition, le principe de précaution est aussi un principe d’innovation car il a pour corollaire le renforcement de la recherche scientifique. Faisons ainsi fonctionner ce cercle vertueux.
Mes chers collègues, cette proposition de loi – que je ne voterai pas – a au moins une vertu : elle nous invite à rouvrir un débat, à préciser la définition du principe de précaution et à réfléchir collectivement à la société que nous voulons construire car, à travers le progrès technologique, se dessine en creux le progrès humain et social.
En conclusion, Paul Valéry l’a dit avant nous et nous le dirons après lui : « À l’idole du Progrès répondit l’idole de la malédiction du Progrès ». Soyons dignes de cette mise en garde !