On ne voit pas en quoi la proposition de substituer au principe de précaution celui d’innovation responsable pourrait permettre de mieux affronter la notion d’incertitude scientifique. Ce principe flou n’apporte aucune solution pratique.
Il se pourrait alors que l’inspiration qui le sous-tende soit toute autre que celle visant à améliorer l’application d’une éthique décisionnelle, mais qu’elle vise, en fait, à libéraliser le process industriel et technique de toute considération philosophique, morale et éthique.
En fait les détracteurs du principe de précaution n’ont eu de cesse, pour le discréditer, de l’invoquer à tort, la plupart du temps en lieu et place du principe de prévention qui, lui, sert à gérer un risque avéré bien délimité et connu.
Ayant renoncé à abroger un principe constitutionnel, les opposants à ce principe se sont aujourd’hui mis en tête de le redéfinir avec moins de force, moins de portée, moins d’exigence et d’ambition, le tout au profit de ce qui est avancé comme la croissance et la compétitivité de nos entreprises. Comprenez plutôt : le profit à court terme et la courte vue !
Sous couvert d’une volonté affichée de responsabilisation, cette proposition relève au mieux d’un quiproquo, au pire de la mauvaise foi caractérisée, car le principe de précaution n’a jamais signifié le blocage ou l’interdiction de la recherche. Au contraire, il pousse à développer la recherche pour faire diminuer l’incertitude scientifique. Simplement, il impose le temps de la vérification et de l’évaluation. Il impose une éthique de la décision politique, une procédure qui certes prend du temps, celui de la réflexion. Cela s’oppose au profit rapide et à court terme, voilà pourquoi le principe de précaution ne plaira jamais à certains.
Hans Jonas, qui est convoqué dans l’exposé des motifs, se retournerait dans sa tombe s’il savait comment il est utilisé aujourd’hui pour pourfendre le principe de précaution, pourtant la meilleure traduction moderne de son « principe de responsabilité ». Je le rappelle d’ailleurs aux auteurs du texte que nous examinons : c’est justement en Allemagne qu’est apparue pour la première fois, à la fin des années soixante, la notion de principe de précaution.
On ne peut être responsable que de ce que l’on connaît. Or le principe de précaution est le seul outil pour anticiper l’inconnu à moindre impact. L’entreprise recherchée par cette proposition, si elle était couronnée de succès, nous amènerait sur les pentes du laxisme et de l’inconséquence. Bien gouverner ce n’est pas juste voir de manière responsable, c’est aussi pré-voir.
Ce principe d’innovation qu’on essaye de nous vendre aujourd’hui est tout à fait irresponsable de mon point de vue, et je l’ai considéré avec la plus grande précaution. J’appelle donc à ne pas le valider !