Intervention de Édouard Courtial

Réunion du 26 novembre 2014 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉdouard Courtial, rapporteur :

Nous sommes saisis aujourd'hui de la convention n° 181 sur les agences d'emploi privées, et la Recommandation n° 188 sur les agences d'emploi privées, qui ont été adoptées à Genève, lors de la 85ème session de la Conférence internationale du travail après deux lectures successives. Cette convention est l'aboutissement d'un long processus débuté en novembre 2000, et auquel la France a apporté un soutien actif, car elle « offre un équilibre entre le besoin de flexibilité des entreprises et les besoins des travailleurs : environnement de travail sûr et conditions de travail décentes ».

De quoi parle-t-on ici ? D'un phénomène à la fois récent et en expansion, à savoir, le recours aux opérateurs privés dans l'accompagnement des demandeurs d'emploi. Depuis une quinzaine d'années, l'accompagnement actif, et non le simple suivi par l'opérateur public, des demandeurs d'emploi se situe, en Europe, au coeur des politiques actives du marché du travail.

La littérature économique (Conseil d'analyse économique, « Accompagnement des chômeurs et sanctions, leurs effets sur le retour au plein emploi », 2000) sur le sujet a mise en évidence les effets bénéfiques de l'accompagnement renforcé des demandeurs d'emploi : une réduction significative de la durée de chômage, une meilleure qualité de l'emploi trouvé, et des épisodes moins fréquents de chômage.

Or, cet accompagnement est depuis quelques années de plus en plus assuré, en complément de l'action des opérateurs publics (Pôle emploi pour la France), par des opérateurs privés.

Le recours à des opérateurs privés de placement peut être motivé par différentes considérations, qui peuvent se combiner :

– la recherche d'innovation dans les méthodes d'accompagnement ;

– la couverture de zones géographiques dans lesquelles le service public de l'emploi est peu présent ;

– la mise en oeuvre de prestations spécifiques ou à destination de publics spécifiques (externalisation dite « de spécialité ») pour lesquels le service public ne dispose pas ou pas suffisamment des compétences nécessaires, compte tenu, notamment, de la faiblesse relative des besoins (par exemple l'accompagnement à la création ou à la reprise d'entreprise) ;

– l'amélioration de l'efficience et de l'efficacité, soit directe (achats de prestations moins coûteux que la réalisation directe de la prestation pour le service public, meilleur taux de retour à l'emploi), soit indirecte (effet de stimulation due à la concurrence sur des publics et prestations équivalents) ;

– comme le souligne l'étude d'impact annexée au présent projet de loi, l'ouverture aux opérateurs privés de l'activité de placement peut « avoir des effets positifs sur l'emploi, en créant une meilleure adéquation entre l'offre et la demande de main d'oeuvre ».

– les agences d'emploi privées peuvent être un moyen d'entrer sur le marché du travail, en particulier pour les demandeurs d'emploi défavorisés, et d'accroître l'employabilité des travailleurs en leur facilitant l'accès à la formation et en leur donnant la possibilité d'acquérir une expérience professionnelle dans différents types d'entreprises.

Cependant, le recours à des opérateurs privés pour remplir la traditionnelle mission de service public qu'est l'accompagnement des demandeurs d'emploi, doit être encadré afin de prévenir les éventuels abus et garantir la protection des travailleurs concernés.

A ce titre, l'objectif de la convention soumise aujourd'hui à notre approbation est double : d'une part, il s'agit de combler le vide juridique qui entourait l'action des agences privées pour l'emploi, et de mettre fin à ce qu'il faut bien qualifier de position quasi schizophrène sur le sujet : je rappelle en effet qu'alors même que depuis les années 1990, le recours aux opérateurs privés dans l'accompagnement des demandeurs d'emploi, qui produit souvent des résultats encourageants, s'est accru, la convention n° 96 de l'OIT, référence en la matière, en interdit l'usage.

D'autre part, il s'agit, et telle a été la position de la France lors de la négociation de cette convention, d'instaurer un cadre réglementaire pour assurer la protection effective des travailleurs contre des pratiques abusives en matière de rémunération, de santé et de sécurité, de la part d'agences intérimaires ou d'entreprises utilisatrices peu scrupuleuses.

Sans entrer dans le détail de la convention, car le temps nous manque, la convention n° 181 autorise la création d'agences d'emploi privées mais exige la détermination d'un cadre juridique et des conditions d'exercice de leurs activités. L'article 1er en définit d'abord le champ, à savoir les agences de placement, les entreprises d'intérim, et les opérateurs chargés de l'accompagnement des demandeurs d'emploi

L'article 3 garantit que le statut juridique des agences d'emploi privées obéit aux législations et pratiques nationales.

Les articles 4 et 5 garantissent aux travailleurs recrutés par les agences d'emploi privées leur droit à la liberté syndicale et à la négociation collective ainsi que la protection contre toute forme de discrimination.

L'article 6 précise les conditions dans lesquelles doit être effectué le traitement des données personnelles concernant les travailleurs.

L'article 7 pose le principe d'interdiction de mise à la charge des travailleurs des frais des services fournis, en prévoyant des dérogations nationales à ce principe pour des catégories de services spécifiquement identifiés. On peut regretter le caractère particulièrement vague de la formulation de cette exception et la nécessité d'en contrôler étroitement l'application afin d'éviter toute dérive.

L'article 8 garantit une protection adéquate pour les travailleurs migrants.

L'article 9 précise que tout pays membre doit prendre des mesures pour s'assurer que le travail des enfants ne soit ni utilisé ni fourni par des agences d'emploi privées.

L'article 10 prévoit les conditions appropriées en vue d'une instruction de plainte en cas d'abus et de pratiques frauduleuses. L'article 11 précise tous les domaines où les pays membres doivent prendre les mesures nécessaires pour garantir une protection adéquate pour tous les travailleurs employés par les agences d'emploi.

L'article 13 stipule que les pays membres doivent veiller à la coopération entre le service public de l'emploi et les agences d'emploi privées.

Dans ce cadre, et c'est évidemment capital, les autorités publiques conservent la compétence pour décider en dernier ressort d'une formulation d'une politique du marché du travail comme de l'utilisation et du contrôle des fonds publics destinés à cette politique.

Les articles 14 à 24 reprennent les dispositions classiques sur l'application de la convention et son contrôle, les relations avec d'autres accords internationaux, l'entrée en vigueur, le règlement des différends, la dénonciation, les possibilités de révision et les versions du texte faisant foi. Il est notamment précisé à l'article 15 que la convention n'affecte pas les dispositions plus favorables applicables en vertu d'autres conventions internationales du travail aux travailleurs recrutés, placés ou employés par les agences d'emploi privées.

Quels seront les effets juridiques de la ratification de cette convention en droit national ? Aucun, ce qui est plutôt bon signe, car cela indique que la législation française est déjà conforme à la convention n° 181 de l'OIT. Certes, la question du recours au secteur privé pour des prestations d'accompagnement a émergé plus tardivement en France que dans d'autres pays européens, tels que le Royaume-Uni et l'Allemagne. En prônant une plus grande personnalisation des services rendus aux demandeurs d'emploi, la Commission européenne l'a fortement encouragé dès 1998, notamment pour développer l'innovation dans les méthodes d'accompagnement des demandeurs d'emploi, pour réduire les coûts et pour stimuler les services publics de l'emploi.

La France n'avait pas ratifié la convention n°181 en raison du monopole du placement détenu par l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE), devenue Pôle emploi. Mais la loi du 18 janvier 2005 y a mis fin.

Ainsi, dès la fin du monopole de placement détenu par l'ANPE en 2005, l'Unedic a expérimenté le recours à des opérateurs privés pour accélérer le retour à l'emploi des demandeurs d'emploi présentant, notamment, un risque de chômage de longue durée.

Depuis 2008, dans un contexte de forte montée du chômage, le recours aux opérateurs de placement constitue principalement pour Pôle emploi un moyen d'adaptation de ses capacités à la conjoncture et cible en particulier des personnes nécessitant un suivi approfondi et personnalisé. Certaines prestations obéissent à une logique de spécialité (cadres, créateurs d'entreprise, jeunes diplômés). Les opérateurs privés de placement jouent un rôle complémentaire par rapport au service public de l'emploi. Pôle emploi peut ainsi y avoir recours en mobilisant les compétences spécialisées dont il ne dispose pas en interne (en particulier en matière d'évaluation des compétences et de formation), ou pour augmenter ses capacités d'action et confronter ses méthodes et résultats à ceux d'autres opérateurs.

Rappelons enfin qu'en France, les agences d'emploi privées n'interviennent sur le marché du placement que dans le cadre des appels d'offres de l'opérateur de l'État et cela pour deux raisons :

– d'une part, les services de Pôle emploi étant gratuits pour les entreprises, celles-ci n'ont pas un intérêt économique à avoir recours directement aux agences d'emploi privées dont les services sont payants ;

– d'autre part, le marché du placement n'est pas encore très développé.

Au final, l'adoption de la convention n'entraînera pas de modification législatives ou réglementaires en droit français et n'en modifiera pas fondamentalement la pratique. Elle permettra en revanche à la France de se mettre en conformité avec le droit international : l'article 23 de la convention n° 181 dispose que la ratification de ladite convention vaut dénonciation de la convention n° 96 précédemment évoquée.

Pour terminer, je n'exprimerai que deux réserves sur ce texte et les conditions de sa ratification.

Tout d'abord, et comme l'indique l'étude d'impact annexée au projet de loi, lors des travaux préparatoires à son adoption, la délégation française avait émis trois souhaits :

– couvrir le champ du travail temporaire avec ce texte ;

– conserver toute latitude pour réglementer les activités comprises dans le champ de la convention ;

– réintégrer dans le texte de la convention certaines dispositions de la recommandation (interdiction de la mise à disposition de travailleurs pour remplacer les salariés d'une entreprise en grève).

Si les solutions adoptées répondaient aux préoccupations françaises sur les deux premiers points, en revanche, le report des dispositions souhaitées dans la convention n'a pas été obtenu. Il figure cependant dans la recommandation n° 188 qui accompagne la convention, mais dont la portée juridique est évidemment moindre.

Seconde réserve, la France, qui est le deuxième État de l'OIT à avoir ratifié le plus grand nombre de conventions et qui a milité au sein de cette organisation en faveur de cette convention, a attendu trop longtemps avant de solliciter des assemblées parlementaires l'autorisation de procéder à sa ratification, alors qu'elle est en vigueur depuis mai 2000, ce qui est regrettable sachant que la fin du monopole du placement public a été actée dans son principe en 2005. Nous ne sommes pas les seuls cependant, puisque sur les 27 pays qui l'ont ratifiée, on compte seulement douze États membres de l'Union européenne (ni l'Allemagne, ni la Grande-Bretagne n'ont à ce jour ratifié la convention).

Au bénéfice de ces remarques, je vous invite, mes chers collègues, à adopter ce projet de loi.

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