…peut apparaître comme une idée simple et juste.
Cette vision est, en fait, juste simpliste. Elle peut abuser ceux de nos concitoyens qui ignorent que le code civil, en son article 25, prévoit déjà des dispositifs de déchéance de la nationalité, notamment – cela a été dit – à l’encontre des condamnés pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme.
Vous le voyez, mes chers collègues, dans l’état actuel de notre droit, le spectre des fautes exposant à la sanction de déchéance de la nationalité en France est donc large, et les faits visés par la proposition de loi peuvent y être inclus. Mais il est vrai qu’un jugement et une condamnation sont exigés. Même lorsque la déchéance de la nationalité peut être prononcée en l’absence de jugement, ce qui est le cas prévu par l’alinéa 4 de l’article 25 du code civil, s’agissant des personnes s’étant livrées, au profit d’un État étranger, à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France, comme Patrick Mennucci vient de le rappeler, les faits sont appréciés par l’administration sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir. De telles dispositions ne constituent nullement une entrave. Elles sont simplement conformes aux principes généraux de notre droit.
Ce qui nous est proposé aujourd’hui est de pouvoir s’affranchir de toute intervention du juge. En cela, ce texte est de facture juridique éminemment fragile : si c’est fortuit, c’est regrettable, si c’est délibéré, c’est préoccupant.
La portée limitée, extraordinairement limitée, de cette proposition n’est pas non plus décelable au premier coup d’oeil ; elle apparaît à la fin de l’alinéa 2 de son article unique, qui dispose que la sanction ne s’appliquera pas si la déchéance a pour résultat de rendre apatride celui qui en fait l’objet.
En clair, ce texte ne vise que les personnes disposant d’une double nationalité. Permettez-moi d’emprunter une réplique du film d’Henri Verneuil Le Président, dans une scène d’anthologie censée se dérouler dans cet hémicycle : « Il y a aussi des poissons volants, mais ce n’est pas la majorité du genre ! ». Ne vous en déplaise, chers collègues de l’UMP, parmi les individus que vous visez dans votre proposition de loi, il y a certes des binationaux, mais c’est loin d’être la majorité du genre.
Et quand bien même, pour ceux-là, votre texte viendrait à être adopté, qu’il ne résisterait sans doute pas bien longtemps à la censure.