Intervention de Marc Dolez

Séance en hémicycle du 8 décembre 2014 à 15h00
Délimitation des régions et modification du calendrier électoral — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarc Dolez :

Ce bouleversement s’inscrit dans la vision économique libérale et l’objectif non assumé est bien de faire diminuer la dépense publique en imposant aux collectivités une double contrainte : la baisse des recettes via la baisse des dotations et la réduction de leur champ d’action avec la disparition de la clause de compétence générale.

Vingt-huit milliards d’euros en moins sur trois ans. Pas besoin d’une boule de cristal pour prévoir les conséquences de la cure d’austérité imposée aux collectivités : soit une réduction drastique de leurs dépenses avec, à la clé, des suppressions massives d’emplois et de services de proximité, soit une forte augmentation de l’impôt local ou bien, et c’est le plus probable, les deux à la fois, avec les répercussions qu’on peut imaginer sur la vie de certaines populations déjà broyées par la crise…

En parallèle, l’atonie prévisible des ressources fiscales et le contexte économique difficile ne donnent guère d’espoir.

Et ce n’est pas le recours à l’emprunt qui pourra à lui seul résorber le gouffre qui va se créer. Les économistes prédisent donc un fort recul de l’investissement qu’une étude récente de la Banque postale évalue à environ 15 % pour 2014 et 2015.

Cette baisse est loin d’être anodine pour l’économie française puisqu’elle fait peser un danger important sur les secteurs qui dépendent des projets des collectivités locales, notamment le BTP, important pourvoyeur d’emplois. Contrairement aux mises en accusation constantes, les collectivités locales ne participent pas au creusement de la dette publique car leur taux d’endettement est stable depuis vingt ans, de l’ordre de 8 à 9 % du PIB.

Un rapport du Sénat publié le 12 novembre explique par ailleurs que, faute d’une diminution de 30 % de leurs investissements, « il est fort probable que ces restrictions entraînent une multiplication spectaculaire des cas d’impasse financière qui deviendraient la situation de droit commun des collectivités territoriales ». Les sénateurs se sont livrés à une projection des comptes des 38 000 collectivités. En 2017, les villes de plus de 10 000 habitants et des départements seraient « dans le rouge pour plus de la moitié, voire les deux tiers d’entre eux ».

En réalité, la réforme territoriale en cours s’inscrit à contre-courant du processus de décentralisation engagé après 1981 avec l’objectif de rapprocher le pouvoir local de la population, pour toujours mieux répondre aux besoins et aux attentes des citoyens.

Avec ce projet, nombre d’assemblées locales vont être supprimées au profit de structures régionales et intercommunales de plus en plus éloignées des populations.

De plus, alors que la démocratie exigerait qu’il n’y ait pas de regroupement ni de fusion sans un large débat public, sans consultation des habitants, le projet de loi va jusqu’à supprimer toute consultation référendaire dans le processus d’évolution de la carte régionale et départementale. Enfin, et ce n’est pas la moindre des conséquences, la réforme proposée tourne le dos à toute politique d’aménagement équilibré du territoire puisque la nouvelle carte territoriale va encore aggraver la fracture entre nos territoires alors que plusieurs études récentes ont montré que les inégalités n’ont jamais été aussi fortes.

Celle de l’Insee, parue cet été, est particulièrement instructive : entre 2006 et 2011, quatorze grandes aires urbaines ont capté l’essentiel de la croissance de la population active des vingt-cinq-cinquante-quatre ans, ce qui est typique du phénomène de métropolisation.

La crise amorcée en 2008 a eu pour effet d’amplifier la tertiarisation de l’économie, principalement dans les treize métropoles de province où l’emploi se renforce : dans ces aires urbaines, la part des cadres et des professions intellectuelles supérieures est d’autant plus forte que l’emploi est important. De même, la hausse du chômage est plus faible dans les grandes aires urbaines que dans le reste de la France.

À l’inverse, les aires de moindre taille sont beaucoup plus fragiles. Davantage tournés vers l’industrie, ces territoires ont plus subi la crise de 2008 qui a frappé de plein fouet ce secteur. Ainsi, le noyau dur de la population active y a décru fortement et les cadres y sont deux fois moins présents que dans les métropoles.

À vrai dire, et pour conclure, une réforme territoriale digne de ce nom aurait dû, monsieur le ministre, s’appuyer sur un bilan partagé de l’application des lois de décentralisation, être pensée dans sa globalité, et associer la population et les forces vives du pays dans le cadre d’un grand débat républicain, validé par référendum.

Elle aurait dû aussi s’accompagner d’une grande réforme fiscale pour donner aux collectivités les moyens financiers de remplir leurs missions et de développer leurs compétences. Au lieu de cela, le Gouvernement a préféré précipiter l’examen d’un texte élaboré sans concertation véritable, sans étude d’impact sérieuse et, surtout, sans vision stratégique au risque de faire voler en éclats la République.

C’est pourquoi, une nouvelle fois, les députés du Front de gauche voteront résolument contre ce projet de loi.

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