Intervention de Bernard Cazeneuve

Séance en hémicycle du 9 décembre 2014 à 15h00
Réforme de l'asile — Présentation

Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur :

Monsieur le président, madame la rapporteure et monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république, mesdames et messieurs les députés, c’est avec beaucoup d’engagement que je vous présente aujourd’hui la réforme du droit d’asile proposée par le Gouvernement.

Cette réforme est ambitieuse, progressiste et profondément républicaine. Depuis plus de deux siècles, la France accueille les opprimés et les persécutés d’où qu’ils viennent, fidèle en cela à une vieille exigence, comme l’humanité. Les anciens Grecs, les Romains, les Hébreux, les chrétiens du Moyen Âge connaissaient déjà l’asile et l’accordaient, sous des formes diverses, à ceux qui en avaient besoin.

C’est pourtant la France de la Révolution qui a donné au droit d’asile la forme et l’ambition que nous lui connaissons aujourd’hui. Bien avant la convention de Genève de 1951, notre pays a en effet apporté au monde une définition du droit d’asile dont la modernité ne s’est pas épuisée. La Constitution de 1793 proclame ainsi que le peuple français « est l’ami et l’allié naturel des peuples libres » et qu’il « donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté ».

C’est là sans doute qu’est née la tradition d’une France terre d’asile pour les opprimés du monde, qu’elle a accueillis tout au long des XIXe et XXe siècle. Patriotes italiens et polonais, Arméniens et Juifs persécutés, résistants antifascistes et républicains espagnols, dissidents soviétiques et boat people.

Le préambule de la Constitution de 1946 achève de consacrer le droit d’asile pour les combattants de la liberté en lui conférant une valeur constitutionnelle. La France se doit d’être aujourd’hui à la hauteur de cet héritage républicain.

Depuis plus de deux siècles, le droit d’asile est le miroir où nous éprouvons l’universalité de nos principes et de nos valeurs. Il nous invite en effet à déterminer les règles d’hospitalité que le citoyen d’ici doit respecter lorsqu’il est sollicité par un citoyen d’ailleurs. « Dis-moi comment tu accueilles l’opprimé, je te dirai qui tu es ».

La France qui, en 1789, s’est soulevée contre l’arbitraire et a proclamé à la face du monde ses idéaux de liberté et d’égalité, ne peut se dérober quand frappent à sa porte ceux qui lui font confiance pour les protéger contre l’injustice, contre l’oppression et contre la barbarie. Il y va de la singularité du message que notre pays adresse au monde et que les peuples du monde – pour reprendre une expression de François Mitterrand – ont « appris à aimer de lui ».

Néanmoins, l’énoncé des principes, si élevés soient-ils, n’est pas toujours suffisant : encore faut-il les appliquer. Aujourd’hui, l’exercice du droit d’asile est concrètement menacé en France. Trop souvent, nous n’accueillons plus les demandeurs d’asile comme nous le devrions. Or, notre époque n’ignore hélas pas l’oppression ni les persécutions de masse : la guerre civile en Syrie et en Irak, les massacres perpétrés par Daech, les exactions dont sont victimes les chrétiens d’Orient nous le rappellent chaque jour.

En France, le nombre de demandeurs d’asile a presque doublé entre 2007 et 2013. Selon les données collectées par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, 58 000 demandes ont été déposées au cours des onze premiers mois de l’année 2014 ; il devrait donc y en avoir un total de 63 000 au terme de cette année. En 2013, le nombre de demandeurs était de 66 000 environ ; 16 % de ces demandes ont reçu l’agrément de l’OFPRA, et même 27 % en tout après l’intervention de la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA.

La France est donc loin de ployer sous le poids des demandes, comme il arrive de l’entendre trop souvent par le truchement d’un certain nombre de démagogues patentés. Je rappelle qu’en 2014, l’Allemagne accueillera presque trois fois plus de demandeurs d’asile que la France, et que la Suède en accueillera plus de 80 000 alors que sa population est six fois moindre que celle de notre pays. Cessons donc de nous percevoir comme une forteresse assiégée, car cela ne correspond tout simplement pas à la réalité des faits.

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