Nous n’avons qu’un seul objectif : offrir accueil et protection sur le territoire de la République à ceux qui nous en font la demande et qui sont les victimes de l’oppression ou de l’injustice, à ceux qui sont persécutés en raison de leurs opinions, de leurs convictions, de leurs croyances ou encore de leur orientation sexuelle. Nous ne pouvons supporter que notre système d’asile soit affaibli, ni qu’il soit détourné de ses fins. Nous devons avoir le courage d’analyser puis de corriger les dysfonctionnements profonds qui l’affectent. Tel est l’objet du projet de loi que le Gouvernement soumet aujourd’hui à votre examen et, je l’espère, à votre approbation.
Je voudrais insister sur le fait que ce projet de loi est le fruit d’une réflexion et d’une mobilisation de longue haleine à laquelle nous avons été nombreux à contribuer. En juillet 2013, mon prédécesseur, Manuel Valls, organisait ainsi une concertation nationale sur le droit d’asile, qui a rassemblé l’ensemble des acteurs concernés : l’État, naturellement, mais aussi les collectivités territoriales, qui ont leur part, les associations, qui font un travail remarquable et auxquelles la France a toujours réservé une place essentielle, ainsi que le Haut-commissariat aux réfugiés, l’OFPRA, la CNDA et l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII. Vos collègues parlementaires Jean-Louis Touraine et la sénatrice Valérie Létard ont également participé à ces travaux, démontrant par là même que l’on pouvait dépasser les clivages et les opinions partisanes pour rechercher ensemble des réponses qui soient efficaces. Je voudrais une fois de plus saluer leur travail : tout comme le travail effectué par Jeanine Dubié et Arnaud Richard, il démontre, s’il en était besoin, qu’il est possible sur ces questions de descendre ensemble au seul arrêt qui vaille, c’est-à-dire à l’arrêt République. La même rigueur d’analyse a inspiré d’autres travaux, et je veux ici remercier tous ceux qui ont contribué à faire avancer la réflexion. Enfin, avec le style si particulier qu’on lui connaît et qui le singularise, votre collègue Éric Ciotti a lui aussi signalé les mêmes dysfonctionnements dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2015, en formulant certains éléments que j’ai intégrés car ils correspondent à une réalité.
La volonté d’améliorer notre droit d’asile nous mobilise donc tous par-delà les clivages, et j’espère que nous pourrons aller au terme de ce débat ensemble pour atteindre sur ce texte ambitieux le consensus le plus large possible.
En effet, nous devons tous faire le même diagnostic : notre droit d’asile est aujourd’hui à bout de souffle. Il ne permet pas d’accueillir comme nous le voudrions ceux qui ont droit à notre protection. Il pénalise même les réfugiés authentiques tout en rendant possibles des dérives dont tentent de profiter les filières de l’immigration irrégulière, qui sont de véritables filières de la traite des êtres humains, dans lesquelles des individus cyniques font payer un tribut de plus en plus lourd à un nombre croissant de migrants en les exposant à des aléas de plus en plus grands au moment où ils prennent la mer, ce qui n’est pas acceptable. Nous devons donc protéger toux ceux qui relèvent de l’asile en France.
Nous connaissons toutes et tous, mesdames et messieurs les députés, les dysfonctionnements qui nuisent au système : la lenteur et le manque d’efficacité du processus d’examen des demandes, la trop grande hétérogénéité des conditions d’accueil, l’inégalité des garanties juridiques que la France offre aux demandeurs d’asile. Aujourd’hui, le demandeur d’asile doit en effet triompher d’un véritable parcours d’obstacles avant, peut-être, d’obtenir le statut de réfugié. Un tel parcours du combattant est épuisant, et la France ne s’honore pas en l’opposant à celles et à ceux qui remettent leur sort entre ses mains et qui ont souvent traversé de terribles épreuves. Personne ne s’exile par plaisir. Aussi, aux peines de l’exil, nous ne devons pas ajouter les blocages et les lenteurs d’une procédure qui superpose des difficultés et des drames humains à des souffrances déjà incommensurables.
Ces dysfonctionnements ne sont pas nouveaux et ne datent pas de 2012. Face à une telle situation, il y a ceux qui analysent et qui proposent des réformes, et il y a ceux qui ne les ont pas faites et qui, se prévalant de leurs propres manquements, n’hésitent pas aujourd’hui à fustiger un système qu’ils disent à la dérive. En réalité, si dérive il y a, c’est parce que nous avons trop longtemps manqué de courage et parce que nous avons trop longtemps tardé à prendre les mesures qui s’imposaient. Face à ce qu’est l’asile en France, nous ne pouvons plus fermer les yeux. Le temps de l’action est donc venu.
Voilà pourquoi notre projet de loi entend à la fois transposer dans notre législation trois directives européennes – les directives « Qualification », « Procédure » et « Accueil » – tout en corrigeant ces dysfonctionnements que nous n’avons que trop longtemps tolérés.
Comment y parvenir ? Les mesures que nous proposons constituent un ensemble cohérent : l’accélération des délais de procédure, l’amélioration des conditions d’accueil et d’hébergement, et l’augmentation des droits des demandeurs sont en effet trois objectifs qui se renforcent mutuellement et donnent toute sa cohérence à notre politique.
Tel est l’esprit de la réforme que je voudrais maintenant vous présenter dans le détail, après avoir remercié chaleureusement Mme la rapporteure du projet de loi, Sandrine Mazetier, pour son implication décisive dans notre réflexion collective, ainsi que M. le président de la commission des lois qui a accueilli les séances de travail où Mme la rapporteure a fait oeuvre très utile. Le droit d’asile est un sujet complexe, mais le travail exigeant que Mme Mazetier a su conduire avec les parlementaires lors de l’examen en commission des lois nous a permis d’avancer considérablement et d’aboutir à un texte que je crois meilleur que le texte initial. Plus précis, plus clair, il lève en effet les doutes qui pouvaient subsister ici ou là sur certains aspects du dispositif proposé sans pour autant – j’insiste sur ce point – en modifier l’équilibre et la philosophie générale.
Nous entendons tout d’abord réduire à neuf mois en moyenne la durée totale de l’examen d’une demande. À l’heure actuelle, celle-ci peut atteindre deux ans, contre un an en moyenne dans la plupart des pays de l’Union européenne.
Ce premier objectif constitue un préalable à toute amélioration de la situation que vivent les demandeurs d’asile en France. La priorité est d’accélérer les délais d’examen devant l’OFPRA, qui examine comme vous le savez les demandes en première instance, mais aussi devant la CNDA, cour spécialisée que le projet de loi entend maintenir et renforcer. En effet, à chaque étape, les délais sont aujourd’hui excessifs : devant l’OFPRA comme devant la CNDA, sans parler du temps que prennent les échanges d’informations entre toutes les institutions concernées, ou bien de certains délais « cachés » tels que les délais d’enregistrement de la demande en préfecture. Il n’est pas acceptable de laisser pendant si longtemps dans une telle situation d’incertitude des femmes et des hommes qui ont souvent enduré les pires souffrances et qui font confiance à la France pour les protéger. En outre, de tels délais rendent plus difficile l’éloignement des déboutés, pour ceux qui ne relèveraient pas du droit d’asile. Nous ajoutons là des drames aux drames.
Voilà pourquoi l’OFPRA et la CNDA seront dotées en 2015 d’importants moyens humains supplémentaires. De tels renforts permettront à l’OFPRA d’accélérer ses procédures en 2016 afin de limiter à trois mois la durée moyenne d’examen d’une demande d’asile.
Cependant, avant même que nous n’en passions par la loi, des progrès extrêmement importants ont été réalisés par l’OFPRA sous la conduite de son nouveau directeur, Pascal Brice, dont je veux ici saluer l’action : 68 000 décisions ont ainsi été prises par l’Office en 2014, contre 62 000 en 2013, ce qui représente une augmentation de plus de 12 % du nombre de dossiers traités. Par ailleurs, cette année et pour la première fois depuis 2007, le volume des dossiers en attente a diminué. Ces résultats sont très encourageants, et nous devons continuer dans cette direction en amplifiant les réformes conduites au sein de l’OFPRA et en le dotant des moyens dont il a besoin pour exercer ses missions dans de bonnes conditions.
La CNDA, quant à elle, bénéficiera d’un renfort de magistrats et de rapporteurs afin d’accompagner la réforme de ses procédures et d’en garantir le succès. Les demandes en procédure accélérée devront être examinées en moins de cinq semaines par un juge unique ; les demandes en procédure normale, en moins de cinq mois par une formation collégiale. Pour ce faire, nous prévoyons d’une part d’adapter les formations de jugement de la CNDA en mettant en place des audiences devant un juge statuant seul et, d’autre part, de simplifier un certain nombre de règles devant la cour, notamment celles qui concernent l’aide juridictionnelle.
Je voudrais d’ailleurs répondre aux quelques inquiétudes qui ont été exprimées ici ou là concernant le juge unique – car il faut répondre à toutes les inquiétudes, même lorsque l’on est convaincu de présenter un texte qui constitue une source de progrès. Pour le demandeur d’asile, il ne s’agit pas d’une perte de droits, au contraire. Il disposera devant le juge unique des mêmes garanties que devant la formation collégiale. Toutefois, il faut répondre aux quelques cas dans lesquels le juge unique se retrouverait face à une situation complexe qui poserait une difficulté sérieuse d’interprétation. Le texte amendé par la commission prévoit donc clairement que, s’il considère que la situation et les moyens invoqués posent une difficulté sérieuse, le juge peut renvoyer la demande d’asile devant une formation collégiale. En revanche, pour les dossiers qui ne posent pas de difficulté, le juge unique pourra statuer plus vite et permettra ainsi aux délais d’être tenus.
Nous devons également simplifier nos procédures d’asile en amont. Les délais d’enregistrement des demandes par les préfectures sont beaucoup trop longs : ils devront être ramenés à trois ou six jours selon les cas de figure, grâce à la création de guichets uniques de l’accueil du demandeur d’asile, qui regrouperont sur un même site les agents de l’OFII et ceux des préfectures.
Enfin, nous devons savoir distinguer entre les demandes d’asile qui méritent un examen approfondi et celles pour lesquelles la réponse semble évidente, et qui donc peuvent être traitées plus rapidement – même s’il va de soi que toutes doivent faire l’objet d’un examen particulièrement attentif et rigoureux. C’est aussi de cette façon que nous réduirons les délais de procédure : l’OFPRA sait traiter rapidement des demandes qui sont manifestement fondées, telles celles des Syriens ou des chrétiens d’Irak. À l’inverse, d’autres demandes ne nécessitent pas un examen approfondi dans la mesure où elles ne reposent sur aucun motif sérieux.
Pour cette raison, le texte réforme les placements en procédure prioritaire, celle-ci devenant la procédure accélérée.
Ces placements seront décidés en dernière instance par l’OFPRA et non plus par la préfecture, même si cette dernière pourra effectuer un premier tri en fonction de critères étrangers au contenu de la demande.
C’est le même souci d’accélération des délais qui nous anime lorsque nous permettons à l’OFPRA de déclarer certaines demandes irrecevables ou de les clôturer lorsque le demandeur ne coopère pas suffisamment avec l’Office.
Notre deuxième objectif est d’améliorer l’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile. Actuellement notre système est beaucoup trop inégalitaire et en cela il n’honore pas la République et ses principes. Certains demandeurs sont hébergés en centre d’accueil pour demandeurs d’asile et bénéficient d’un accompagnement administratif, social et juridique approprié. Ce n’est en revanche pas toujours le cas des trois quarts d’entre eux qui sont soit pris en charge dans les structures d’hébergement d’urgence, qui font pourtant ce qu’elles peuvent, soit tout simplement livrés à eux-mêmes et survivent tant bien que mal dans des campements de fortune. Cette différence de traitement n’est pas tolérable.
D’ici à 2017, l’hébergement en CADA doit donc devenir la norme et l’hébergement d’urgence l’exception. Nous allons pour ce faire augmenter significativement le nombre de places en CADA. Nous en avons déjà créé près de 4 000 supplémentaires en deux ans et nous avons l’ambition d’en ouvrir encore 5 000, si possible dès 2015, par création nette ou en transformant, pour un millier d’entre elles, certaines places d’hébergement d’urgence.
Nous devons ensuite en finir avec les allocations éclatées dont bénéficient les demandeurs d’asile : l’allocation temporaire d’attente et l’allocation mensuelle de subsistance seront fondues en une allocation unique qui prendra en compte la situation familiale de chaque demandeur.
Enfin, et c’est un point indissociable des deux précédents, nous allons mettre en place un véritable hébergement directif. Comme vous le savez, l’accueil des demandeurs d’asile peut être difficile à gérer, dans certains territoires, lorsqu’un trop grand nombre de demandeurs convergent en même temps vers un même point du territoire. Ceux d’entre vous qui ont eu la gentillesse de m’accompagner à Calais savent parfaitement de quoi nous parlons – mais ce n’est pas le seul cas que j’ai à l’esprit.
Aujourd’hui, deux régions – la région parisienne et la région lyonnaise – concentrent plus de la moitié des demandes d’asile. L’Île-de-France concentre à elle seule 42 % des demandeurs, et je ne méconnais pas la situation difficile rencontrée en Bretagne ou en Lorraine. Cette situation, qui n’est pas acceptable, a fait l’objet d’un signalement de la part des élus des territoires concernés.
C’est la République qui offre l’asile à ceux qui en ont besoin, et non telle ou telle région, ni telle ou telle ville. Par conséquent, afin de mieux répartir l’effort sur l’ensemble du territoire, nous prévoyons de mettre en place une orientation directive des demandeurs d’asile. Mieux orienter leur accueil permettra également de mieux les accompagner et de leur offrir de meilleures conditions d’hébergement.
Concrètement, le versement d’une allocation dépendra de la sollicitation, puis de l’acceptation d’un hébergement. Les places de CADA seront attribuées en fonction des besoins des demandeurs, notamment de leur situation familiale et de leur état de santé. Si l’un d’entre eux ne souhaite pas bénéficier des conditions d’accueil prévues par la République, il aura naturellement droit à un examen de sa demande d’asile dans les mêmes conditions qu’un autre demandeur. En revanche, il ne pourra bénéficier ni de l’hébergement ni des allocations prévues.
J’insiste, il s’agit là d’un point crucial qui conditionne le succès de la réforme. Si nous ne sommes pas capables de respecter cet équilibre, nous verrons se concentrer les demandeurs d’asile dans certains territoires sans que des solutions dignes de ce nom soient apportées et nous ne serons pas en situation d’offrir des conditions d’accueil et d’hébergement dignes à ceux qui relèvent du droit d’asile en France.
Enfin, le troisième objectif de cette réforme consiste à renforcer, dans un souci d’égalité, les droits des demandeurs d’asile. Nous savons que les filières d’immigration clandestine tentent de tirer profit des lenteurs et des dysfonctionnements de notre système.