Intervention de Jean-Louis Bourlanges

Réunion du 19 novembre 2014 à 16h30
Commission des affaires européennes

Jean-Louis Bourlanges :

Je ne crois pas à l'harmonisation sociale par des voies réglementaires mais à la convergence des conditions sociales et à l'élévation progressive des niveaux de vie. Ce qui s'est passé au cours des vingt dernières années dans l'Europe orientale nous incite à être relativement optimiste malgré la crise : la situation des Polonais par rapport aux Français n'est pas aujourd'hui ce qu'elle était en 1990. Leur revenu individuel a doublé.

Quant à la convergence budgétaire, une amélioration à la marge des différentes politiques budgétaires ne suffit pas même si elle est nécessaire. Il s'agit de mettre en place une politique budgétaire commune, c'est-à-dire un schéma général commun à la zone euro, se déclinant différemment selon les États. Cette différenciation des politiques économiques appliquées à chacun des pays passe par une relative centralisation, ce qui suppose une autorité intellectuelle et politique commune. C'est pourquoi je suis favorable à l'institution d'un M. ou d'une Mme » zone euro » à temps plein, qui devrait selon moi faire partie de la Commission, compte tenu des responsabilités de cette dernière en matière de contrôle des disciplines budgétaires. Il faut réfléchir à une articulation nouvelle entre cette personnalité et les autres membres de la Commission, avec des décisions prises à la majorité qualifiée des États membres dans la seule zone euro.

S'agissant des parlements nationaux, je n'ai jamais été fasciné par l'idée que les parlementaires européens soient élus au suffrage universel direct. Le fédéralisme coopératif repose sur l'idée que ce sont les organes nationaux des États qui gèrent l'intérêt fédéral commun, à l'image du Bundesrat allemand et à la différence du Sénat américain. On aurait pu donner plus de pouvoir à l'Union européenne et ne pas avoir d'élections au suffrage universel. Mais on ne peut pas plus revenir sur ce dernier point, que, par exemple, sur l'élection du Chef de l'État au suffrage universel !

Quant à l'idée d'un renforcement des pouvoirs des parlements nationaux, elle est paralysante, car si chacun des vingt-huit parlements représentant les États met son droit de veto, cela ne peut plus marcher. Je ne crois pas non plus à l'idée d'une troisième chambre. Il faut choisir : soit on élit des parlementaires européens au suffrage universel direct, soit on a des parlementaires nationaux. Reste que l'harmonisation des politiques budgétaires suppose une participation de ceux-ci. Il faut aller au-delà de ce que prévoit l'article 13 du TSCG, qui n'est pas bon du tout. On pourrait avoir dans un premier temps une assemblée consultative – composée des représentants des commissions des finances des parlements de la zone euro et des deux commissions compétentes du Parlement européen –, qui serait le vis-à-vis parlementaire de ce M. ou de cette Mme » zone euro ». En revanche, je ne crois pas à la proposition tendant à organiser une élection au suffrage universel pour un parlement de la zone euro.

Sur la convergence fiscale, il faut viser juste. On ne va pas faire un grand soir, qui est impossible. Au-delà de l'optimisation proposée par M. Juncker, il faut se concentrer sur la question névralgique de l'imposition des entreprises. On devrait définir un cadre dans la zone euro, ce qui n'est possible que par une décision à la majorité qualifiée, qui suppose une modification du traité. Comme on ne fera rien avec les Britanniques sur ce point, il faut reprendre la mécanique du traité intergouvernemental pour la coordination budgétaire et essayer de définir une ambition fiscale relativement limitée, circonscrite à ce qui compte, c'est-à-dire à la garantie de la concurrence non faussée entre les entreprises. La Commission devrait faire une proposition en ce sens.

Plus généralement, ce traité devrait définir l'articulation juridique entre la zone euro et le reste de l'Union en termes de compétences et d'institutions. C'est difficile car les Britanniques se méfient et ils n'appliquent pas à la zone euro le raisonnement qu'ils appliquent à l'Angleterre dans leur relation avec l'Écosse, quand ils disent qu'il n'est pas question que les Écossais interviennent dans les matières intéressant uniquement l'Angleterre. Je suis à cet égard très critique du choix non innocent de M. Juncker d'avoir confié à un Britannique la régulation financière : il aurait été beaucoup plus sain pour tous que M. Moscovici, et non M. Hill, reçoive le portefeuille de M. Barnier et qu'on donne aux Britanniques un autre poste important.

S'agissant de la politique de concurrence, qui relève des Vingt-huit, comme la politique commerciale extérieure, la concurrence non faussée est un bien et le libéralisme permet une régulation des tendances monopolistiques et cartelisatrices naissant spontanément du marché. La Commission est dans son rôle en la matière. Il reste que l'Union européenne ne peut raisonner comme si le périmètre pertinent était le territoire de l'Union ou une partie de celui-ci alors que nous sommes dans une concurrence mondiale. Il faut mener une réflexion profonde pour ne pas nous imposer des contraintes que d'autres ne s'imposeraient pas à l'extérieur.

Je pense, contrairement à ce que dit M. Myard, que nous sommes passés par trois phases : une phase de construction européenne, étroitement liée à la Guerre froide, à sa relance et à l'euro. Cette relance a été portée par les solidarités Schmidt-Giscard puis Mitterrand-Kohl et par le discours de Bonn de 1983 du Président Mitterrand ; une phase, allant de la chute du Mur de Berlin en 1989 au 11 septembre 2001, marquée par l'optimisme et l'évanescence du projet européen, pendant laquelle l'on croit à la fin de l'histoire, à la mondialisation heureuse et à l'hyperpuissance américaine sur le plan extérieur ; une troisième phase enfin qui débute avec les attentats du 11 septembre 2001 et qui nous fait comprendre que nous n'avons pas gagné sur les droits fondamentaux, que nous avons en face de nous la dichotomie chinoise entre capitalisme et démocratie ainsi qu'un réveil de l'intégrisme religieux prenant des formes de plus en plus abominables. Nous découvrons également qu'il n'y a pas d'hyperpuissance américaine, que les Américains s'enlisent en Irak et en Afghanistan et qu'Obama n'est pas prêt à intervenir pour la défense de l'Europe orientale. Enfin, nous nous apercevons que la mondialisation, qui est une nécessité et non une option, est créatrice d'une asymétrie profonde entre les pays émergents et nous. Nous sommes dans la situation décrite par Warren Buffett : « la crise, c'est comme la marée. Quand la mer se retire on voit les baigneurs qui ont un maillot et ceux qui n'en n'ont pas ». Et nous tendons dangereusement vers la seconde catégorie…

M. Myard ne prend pas en compte le retour du tragique de l'histoire : nous vivons les crises en chaîne des années 2000 alors même que le besoin d'Europe est de retour et que celle-ci n'est pas au rendez-vous, nos opinions, dans le climat de stagnation lié à la mondialisation et à la crise, n'étant pas prête aux changements nécessaires.

Il est paradoxal de constater à cet égard que les populismes enregistrent un succès sur l'idée de repli sur les frontières nationales alors qu'il n'y a plus un seul problème auquel nous soyons confrontés qui n'implique une coopération internationale active avec ceux qui partagent nos valeurs. Nous sommes dans une situation contradictoire, entre une exigence de participation à la construction d'un monde et des opinions publiques se repliant tragiquement sur l'illusion qu'en fermant les frontières nous aurons des solutions adaptées à nos problèmes. Cela forme le coeur de l'euroscepticisme actuel.

Quant à l'élargissement, il a été bien mené, sauf qu'on n'a pas réformé les institutions et qu'on a accepté prématurément la Roumanie et la Bulgarie. Le vrai élargissement coupable me paraît être le premier – à la Suède, à l'Autriche et à la Finlande –, réalisé sans réformer au préalable les institutions et au prix d'un mensonge tendant à laisser croire que ces pays accepteraient plus tard ces réformes indispensables. Si M. Juppé, notre ministre des affaires étrangères d'alors et moi-même dans un rapport au Parlement européen avons plaidé pour ces réformes, le Président Mitterrand a refusé d'ouvrir une crise avec l'Allemagne sur ce point, ce qui se comprend.

Concernant la pédagogie sur l'Europe, il ne s'agit pas d'un problème de communication. Tout repose sur les chefs d'État ou de gouvernement : leur entente, leurs idées et leur courage. Hubert Védrine fait porter la critique davantage sur les institutions européennes qui ne sont que des boucs émissaires.

À cet égard, la procédure de nomination des commissaires n'a pas été bonne car elle n'a pas respecté les traités. Elle était de plus faussement démocratique dans la mesure où M. Juncker a été désigné par des partis ne représentant qu'un quart des voix. D'autant qu'un scrutin à un tour n'est pas très démocratique : il est clair qu'avec un tel mode d'élection, il s'en serait fallu de peu que M. Le Pen ne soit élu à la présidence de la République en 2002, alors qu'il a été battu par 82 % des voix au second tour. Enfin, les conditions de la nomination de Jean-Claude Juncker a eu un effet toxique sur le Parlement européen, qui s'est interdit de récuser certains commissaires pour ne pas porter préjudice à M. Juncker considéré comme son homme de confiance.

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