Intervention de Pierre Lellouche

Séance en hémicycle du 9 décembre 2014 à 21h30
Réforme de l'asile — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lellouche :

L’examen attentif du projet de loi conduit à penser que malheureusement, le nouveau dispositif, présenté au départ comme le moyen de réduire à neuf mois le délai de traitement des dossiers, objectif que nous ne pouvons évidemment que soutenir, ne fera qu’aggraver la situation présente. Loin de lutter contre les effets pervers d’un système dont vous avez vous-même reconnu qu’il était dépassé, votre texte ne va faire qu’accélérer la véritable déroute du système actuel.

J’en veux pour preuve la définition baroque de la notion d’ « État d’origine sûr ». Les chiffres démontrent le lien direct entre la présence d’un État sur cette liste et l’effet d’aubaine créé chez les demandeurs. Lorsque, par exemple, on a réinscrit l’Arménie et le Kosovo, le nombre de demandeurs originaires de ces pays a chuté respectivement de plus de 50 % et 49 % ! Or cette liste ne comprend à l’heure actuelle que dix-sept pays sur 198 ! J’ajoute que sa composition semble avoir été confiée, de façon assez confuse, aux instances européennes.

Que signifie concrètement cette notion ? Si je m’en tiens au texte de l’article 6, « un pays est considéré comme un pays d’origine sûr lorsque, sur la base de la situation légale, de l’application du droit dans le cadre d’un régime démocratique et des circonstances politiques générales, il peut être démontré que, d’une manière générale et uniformément, il n’y est jamais recouru à la persécution ni à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants et qu’il n’y pas de menace en raison d’une violence aveugle dans des situations de conflits armés internationale ou interne ». Avec une définition aussi exigeante en matière de pureté démocratique et de stabilité interne, monsieur le ministre, mes chers collègues, combien de pays peuvent prétendre être sûrs ? Les États-Unis eux-mêmes, qui viennent de vivre les émeutes que l’on sait, consécutives aux traitements que l’on peut qualifier d’« inhumains et dégradants » infligés par la police américaine à des citoyens américains de couleur, sont-ils un pays sûr ? Faudra-t-il contester la qualité de pays sûrs à des pays membres de l’Union européenne telles la Roumanie, la Bulgarie et plus encore la Hongrie, en raison des traitements infligés à certaines minorités, notamment aux Roms, que l’on trouve pour cette raison en grand nombre dans les rues de Paris ? Selon une telle définition, l’immense majorité de la population de la planète ne vit pas dans des pays sûrs.

Si l’on considère que seuls les pays membres de l’Union européenne sont d’authentiques démocraties, aux termes de l’article 2 de la charte des droits fondamentaux de l’Union, et si on y ajoute les États-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Japon, est-ce à dire que nous devrions être prêts à accueillir des réfugiés provenant littéralement de tout le reste de la planète, soit potentiellement six milliards de personnes ? Il ne s’agit pas seulement de l’Érythrée, madame Mazetier. Michel Rocard disait jadis que « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, mais qu’elle doit en prendre sa part ».

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