Intervention de Jeanine Dubié

Séance en hémicycle du 9 décembre 2014 à 21h30
Réforme de l'asile — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJeanine Dubié :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour l’examen du projet de loi relatif à la réforme de l’asile.

Le droit d’asile est un principe fondamental de notre république auquel nous, les élus radicaux de gauche, sommes particulièrement attachés. Dès la Constitution du 24 juin 1793 dite de l’An I, le peuple français est reconnu comme « l’ami et l’allié naturel des peuples libres » donnant « asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté ». Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 pose aussi le principe que « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Enfin, l’article 53-1 de la Constitution de 1958 précise que la France peut conclure avec des États européens des accords relatifs à l’examen des demandes d’asile. Cependant « les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ».

Nous pouvons être fiers d’appartenir à cette France qui, au nom du respect des libertés individuelles, apparaît aux yeux du monde comme une terre d’accueil des étrangers persécutés.

Par ailleurs, la convention de Genève du 28 juillet 1951, à laquelle la France est partie, définit la qualité de réfugié. Celle-ci s’applique à toute personne qui, « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».

Le droit européen s’est ensuite emparé de la question du droit d’asile en vue d’harmoniser les dispositions qui y ont trait dans les États membres de l’Union. Ont été adoptés trois directives et un règlement, avec lesquels la législation française doit se mettre en conformité d’ici à juillet 2015. C’est la mission qui nous est confiée aujourd’hui : redonner du sens au droit d’asile en rendant la procédure plus efficace et plus respectueuse de l’accès aux droits des demandeurs d’asile tout au long de la procédure.

Si nous sommes globalement favorables aux dispositions du texte que vous nous proposez, permettez-nous, monsieur le ministre, d’insister sur la nécessité de mettre en oeuvre une politique européenne de l’asile conjointe, cohérente et solidaire. La situation dramatique des migrants à Calais illustre le manque de coordination entre les pays européens soumis à la convention de Schengen et ceux qui, à l’instar du Royaume-Uni, ne le sont pas. Il serait contre-productif de mener une politique isolée alors que sur ces questions les enjeux sont partagés. Nous ne ferons pas à terme l’économie de cette réflexion.

Tout comme d’autres États européens, la France fait d’ailleurs face depuis quelques années à un nombre de demandes d’asile en augmentation, une augmentation qui mérite toutefois d’être relativisée par la considération du nombre des demandeurs d’asile rapportée à la population totale. Pour la France, le rapport est de 985 demandeurs pour un million d’habitants, 1 575 pour l’Allemagne et 5 680 pour la Suède. Cet indicateur est intéressant en ce qu’il clôt le bec à ceux qui surfent sur les peurs et évoquent l’explosion des demandes.

Plus que le nombre, c’est l’organisation de notre système qui est en cause et un dispositif d’accueil sous-dimensionné et inadapté aux évolutions que la qualité et le statut des demandeurs d’asile ont connues. Si au départ la demande d’asile était en général le fait d’un homme seul, elle est désormais très souvent le fait d’une famille, ce qui nécessite une adaptation, non seulement des centres d’accueil mais aussi des mécanismes de prise en compte des demandeurs, en particulier des enfants.

Le constat n’est plus à faire : le système d’accueil des demandeurs d’asile manque d’efficacité. À bout de souffle selon diverses associations, le système de l’asile est décrié en raison de l’allongement des délais de traitement des demandes, délais qui ne sont supportables, ni du point de vue du respect des droits des demandeurs ni du point de vue des dépenses publiques.

Arnaud Richard et moi-même avons souligné ce problème dans le rapport que nous avons présenté devant le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques : la durée moyenne d’une procédure oscille entre 19 et 26 mois. Or ces délais contribuent à la saturation des capacités d’hébergement, que ce soit en centre d’accueil pour demandeurs d’asile, CADA, ou en hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile, l’HUDA.

Nous notons avec satisfaction que le projet de loi de finances pour 2015 renforce le budget de l’OFPRA, chargé de traiter les demandes d’asile. Il est prévu d’augmenter la subvention pour charge de service public de l’Office de 6,7 millions d’euros par rapport à 2014, ce qui lui permettra de recruter cinquante-cinq agents supplémentaires au 1er janvier 2015. Nous saluons ce geste, qui doit permettre de réduire les délais de traitement et contribuera à atteindre l’objectif de quatre-vingt-dix jours de délai de traitement en 2017.

Nous nous étions aussi inquiétés du manque de places en CADA et de la sous-budgétisation de ces dispositifs. Le renforcement de 14,8 % des moyens alloués aux HUDA est un progrès, mais il nous semble nécessaire de rappeler que les CADA doivent être les lieux d’hébergement prioritaires.

Venons-en au projet de loi que vous soumettez à notre sagesse. Celui-ci vise à améliorer l’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile en réduisant notamment les délais d’instruction des demandes, avec pour objectif une durée moyenne de traitement de neuf mois. À cet égard, nous sommes satisfaits de la suppression de l’obligation de domiciliation préalable, auparavant imposée aux demandeurs d’asile, et de l’ensemble des mesures qui contribuent à réduire les délais de traitement des demandes. Nous sommes tout aussi satisfaits de la mise en place d’un recours suspensif pour les demandeurs d’asile et du renforcement de leurs droits. La possibilité de se faire assister d’un conseil lors des entretiens de l’OFPRA, l’aide juridictionnelle accordée de plein droit auprès de la CNDA et le renforcement des aides sociales et juridiques accordées aux demandeurs sont de bonnes mesures.

Enfin, nous ne sommes pas opposés à la mise en place d’un schéma national d’hébergement des demandeurs d’asile visant à améliorer leurs conditions d’accueil. Nous avions conseillé dans notre rapport la mise en place d’un tel dispositif mais pour des raisons d’économies, nous n’avions pas écarté la possibilité d’être logé chez un proche pour le demandeur d’asile qui le souhaitait. Mais nous comprenons que le choix d’une solution plus contraignante a pour objet de ne pas vider le dispositif de sa substance. Par ailleurs, cette disposition est conforme à la directive « Accueil » qui, dans son article 7, le prévoit expressément.

En revanche, nous restons fermement attachés à la mise en place d’un système d’information et de suivi de la situation des demandeurs d’asile, placé sous le contrôle d’un magistrat et destiné à centraliser les informations relatives à la situation du demandeur d’asile et aux droits qui lui sont ouverts. De même, il nous apparaît nécessaire d’inscrire explicitement dans le projet de loi que l’attestation de demande d’asile vaut titre provisoire de séjour, afin que les détenteurs de cette attestation puissent bénéficier de l’ouverture des droits liés à leur séjour.

Enfin, nous souhaitons revenir sur la question du droit au travail des demandeurs d’asile. Il apparaît pertinent de s’interroger sur la possibilité d’ouvrir ce droit fondamental, vecteur d’émancipation, d’individualisation et gage de citoyenneté, aux demandeurs d’asile, afin de leur donner la possibilité, durant la période d’attente de l’instruction de leur demande, de subvenir à leurs besoins par leurs propres moyens.

D’une manière plus générale, l’emploi est un aspect essentiel de l’intégration, renforçant le sentiment de dignité, de respect et d’estime de soi des individus et permettant d’accéder à l’indépendance et à l’autonomie financière. Le préambule de la Constitution de 1946 prévoit d’ailleurs que « chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi ». C’est pour cette raison que nous avons déposé des amendements visant à ouvrir le droit au travail aux personnes en procédure de demande d’asile.

Pour finir, je souhaite soulever la question de la situation des déboutés du droit d’asile. Rien ne figure dans ce texte sur cette question, ce qui peut se comprendre. Les demandeurs qui ont épuisé tous les recours pour obtenir le statut de réfugié se retrouvent, de fait, en situation irrégulière sur le sol français. C’est donc dans le texte relatif aux droits des étrangers en France que nous évoquerons ce sujet. Il n’en reste pas moins que, pour nombre de familles séjournant en France, dont les enfants sont scolarisés depuis de nombreuses années, ce qui contribue à leur intégration et à leur socialisation, il est nécessaire de trouver une réponse plus appropriée que le renvoi dans le pays d’origine.

À l’heure où la situation économique et politique pousse nos concitoyens à se replier sur eux-mêmes, saisissons l’opportunité qui nous est donnée aujourd’hui de réaffirmer notre attachement aux valeurs de solidarité, de tolérance et d’humanisme en matière d’asile. Nous ne le répéterons jamais assez : derrière ces dossiers se joue le destin de femmes et d’hommes contraints de s’exiler, en quête de sécurité ou d’une vie meilleure.

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