Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, réformer le droit d’asile est un vaste projet, même s’il s’agit surtout ici de transposer un certain nombre d’obligations en matière de garanties procédurales offertes aux demandeurs d’asile prévues par les directives européennes « Procédure » et « Qualification ». Mes amis politiques et moi-même approuvons les objectifs affichés du texte. Nous aussi souhaitons préserver la tradition d’accueil de la France, nous aussi souhaitons accélérer le traitement des demandes en renforçant les moyens et les modalités d’organisation de l’OFPRA et de la CNDA. Mais ce sont là nos seuls points d’accord car la mise en oeuvre des dispositifs prévus par le projet de loi ne va pas sans poser de graves problèmes.
Ainsi, vous envisagez de généraliser les recours suspensifs y compris en cas de procédure accélérée, monsieur le ministre. Dans le cadre d’une procédure prioritaire, le recours n’était pas suspensif et l’administration avait la faculté d’éloigner le demandeur d’asile débouté, même si elle y parvenait rarement. Une fois le texte voté, ce ne sera plus le cas. Nous risquons bel et bien d’entrer dans le cercle sans fin des rejets, des demandes de réexamen et des recours suspensifs. Au lieu de raccourcir les délais de traitement des dossiers, une telle mesure risque fort de les rallonger. Le texte pose un autre problème majeur, il ne tient pas compte de la pratique administrative. Actuellement, près de 80 % des demandeurs d’asile sont déboutés de leur demande et à peine 5 % de ces déboutés sont éloignés de notre territoire selon l’inspection générale des finances, l’inspection générale des affaires sociales et l’inspection générale de l’administration. Il en résulte une perversion du système car il n’y a quasiment plus de distinction entre réfugiés et déboutés du droit d’asile.
En effet, s’il suffit de faire une demande d’asile pour être admis au séjour en France grâce à la régularisation, nous créerons une filière d’immigration clandestine évoluant vers une filière d’immigration régularisée et donc vers une augmentation des flux. Les mesures votées en commission, comme l’extension du droit à la réunification familiale ou l’accès à la formation professionnelle après neuf mois de présence sur le territoire, renforceront encore l’appel d’air. Enfin, quid du traitement des déboutés ? Il s’agit là d’une question majeure. Permettez-moi, monsieur le ministre, mes chers collègues, de dire un mot de la ville de Sens dont je suis députée maire. Depuis le 1er février 2013, une borne Eurodac y est en fonction. Les demandeurs d’asile peuvent s’y rendre, y déposer leurs empreintes et remplir un dossier. Une première réponse validant ou non leur demande doit leur parvenir dans un délai de deux mois. S’ils sont déboutés, ils peuvent déposer un recours. Si celui-ci est négatif, ils sont priés de quitter le territoire. Durant ce laps de temps, ils sont pris en charge par des associations ou par des habitants ou encore logés dans les centres d’accueil et d’hébergement.
La borne a été installée à Sens car l’agglomération dijonnaise n’arrivait plus, semble-t-il, à faire face à l’afflux de populations immigrées issues pour la plupart d’Afrique subsaharienne. Le maire de Dijon de l’époque, monsieur Rebsamen, et le préfet ont alors demandé l’installation de deux nouvelles bornes en Bourgogne. Les communes de Mâcon et de Sens ont été choisies. Concrètement, la borne Eurodac crée un appel d’air à Sens. Or, avec 26 000 habitants, notre ville n’a pas les moyens financiers, humains ni matériels de gérer une telle situation. En un an, environ 900 personnes sont entrées dans le département de l’Yonne au titre du regroupement familial, d’un mariage avec un Français ou en raison d’une demande de titre de séjour. Quant aux demandeurs d’asile, leur nombre a été multiplié par quatre en un an. La sous-préfecture de Sens est débordée. En outre, la délinquance à Sens ne cesse d’augmenter. Depuis un an, les vols avec effraction ont augmenté de 53 % et les vols avec violence de 50 % !