Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ce stade de nos débats, je souhaite aborder une seule question : y a-t-il aujourd’hui une politique européenne de l’asile intelligente, c’est-à-dire capable de discerner ce qui relève de la protection nécessaire des réfugiés politiques, d’une part, et de la lutte non moins nécessaire contre l’immigration illégale, d’autre part ?
Pour y répondre, je ferai une série de remarques.
La première observation relève du constat : le nombre de demandes d’asile au sein de l’Union européenne explose. L’Europe a enregistré, en 2013, 100 000 demandes d’asile de plus qu’en 2012, pour atteindre un total annuel de 435 000 demandes. Cette tendance se confirme cette année, puisque le nombre de demandes a battu un nouveau record en septembre, avec près de 71 000 demandes.
Deuxième remarque : on peut parler d’un véritable échec de l’Europe de l’asile, et ce à partir de l’observation de trois réalités.
D’abord, les demandes sont extrêmement concentrées sur un très petit nombre de pays. Ainsi, en septembre dernier, 60 % des demandes ont été enregistrées par quatre pays : l’Allemagne, la France, la Suède et l’Italie. Or, à l’exception de l’Italie, ces États ne sont pas des pays de première ligne. Cela qui prouve l’importance des flux secondaires au sein de l’Union européenne et le caractère biaisé du débat récurrent sur le partage du fardeau.
Ensuite, le taux de reconnaissance d’un statut protecteur est toujours aussi disparate. En première instance, en 2013, il variait de 4 % en Grèce à 88 % en Bulgarie. C’est invraisemblable si l’on veut bien se rappeler que l’Union européenne est censée être une communauté juridique protégeant également les droits des personnes.
Enfin, les demandes de pays comme les Balkans occidentaux restent parmi les principales alors que ces États aspirent à rejoindre l’Union européenne. Le taux de reconnaissance de ressortissants de l’ancienne République yougoslave de Macédoine – 1 % –, de Serbie – 2 % – ou du Kosovo – 4 % – est naturellement très bas, mais cela n’empêche pas ces demandes abusives qui créent une embolie de nos systèmes d’asile.
Alors que faire pour que l’Europe de l’asile sorte de l’ornière, dans l’intérêt de la France ? Il faut en finir avec les ambiguïtés d’un système qui conduit à cumuler les inconvénients.
Notre devoir est d’organiser et d’assumer une politique de l’asile accueillant non plus des centaines de milliers de candidats à l’immigration vers l’Europe des prestations sociales mais de vrais réfugiés politiques, des « combattants de la liberté » menacés dans leur pays.
Bâtir une telle Europe de l’asile, efficace et lucide, était l’un des cinq engagements fondamentaux du Pacte européen sur l’immigration et l’asile, négocié et adopté dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne en 2008, mais les textes européens qui ont été négociés et acceptés par l’actuel gouvernement, transposés dans le projet de loi dont nous débattons ce soir, les textes d’application, au fond, ce paquet « Asile », sont globalement, je le dis clairement, contre-productifs, déséquilibrés et contradictoires.
Ainsi, on fixe un objectif de réduction des délais d’instruction, mais, dans le même temps, on accumule des procédures qui ne peuvent qu’aboutir à l’effet inverse, c’est-à-dire à un allongement des délais et à une paralysie du système avec l’élargissement déraisonnable, madame la rapporteure, de l’effet suspensif des recours, la réduction à la portion congrue des procédures accélérées et une conception extensive de la notion de vulnérabilité.
Ma conviction est qu’il faut renégocier radicalement les textes européens sur l’asile, sans doute à une échelle plus restreinte, d’ailleurs, que celle de l’Europe des Vingt-Huit, pour définir un système plus efficace, plus cohérent, plus homogène. Je pense par exemple à une liste commune substantielle de pays tiers d’origine sûrs, à des analyses communes des principaux pays d’origine pour réduire la disparité des décisions, ce que le bureau européen d’appui devrait proposer de façon plus directive, à une surveillance plus efficace de la transposition de l’acquis communautaire, comme en Grèce depuis quelques mois, ou par exemple pour s’assurer du bon enregistrement des demandeurs dans le fichier Eurodac et à une législation, puis une jurisprudence, qui facilitent les procédures accélérées, au lieu de les compliquer. Enfin et surtout, il faudrait parvenir à définir un nouveau principe au plan européen – nous avons commencé à l’esquisser lors de l’examen du texte en commission, monsieur le ministre –, selon lequel le rejet d’une demande d’asile vaut automatiquement décision d’éloignement et d’interdiction du territoire européen. Pour rendre effectif ce nouveau principe, les demandeurs d’asile seraient désormais placés dans des centres d’accueil fermés ou semi-fermés, permettant un examen diligent de leur demande et, en cas de rejet, l’organisation effective de leur éloignement.
Mes chers collègues, pour que l’asile politique retrouve son sens, il faut radicalement changer le système d’asile à l’échelle européenne comme au plan national. Votre projet de loi, monsieur le ministre, me paraît bien éloigné d’une telle rupture volontariste. C’est la raison pour laquelle, comme vous l’avez compris, je ne pourrai pas l’approuver.