Le texte que nous examinons ce matin témoigne avant tout du chemin parcouru depuis la création de l'Agence mondiale antidopage. C'est en 1999 que quinze ministres des sports de l'Union européenne, à l'initiative de la France, se sont rendus au Comité international olympique à Lausanne pour lui demander de s'engager dans la lutte contre le dopage afin que soit reconnue la double responsabilité des États et du mouvement sportif dans cette lutte. Or, aujourd'hui, le combat est loin d'être gagné, comme l'illustrent les affaires qui agitent la Fédération russe et la Fédération internationale d'athlétisme. De même, des sportifs français ont fait l'objet de contrôles ayant donné lieu à des résultats positifs dans une période récente. Le code mondial antidopage est appliqué de manière très inégale selon les pays et il reste encore des progrès à réaliser en la matière. Il convient néanmoins de mesurer les avancées concrètes qui ont été accomplies ainsi que la prise de conscience internationale à laquelle nous assistons, plaçant au coeur de la pratique sportive le respect de l'intégrité physique et psychique des individus ainsi que le respect des règles.
Le calendrier de transposition de ce code mondial étant contraint, il nous est demandé d'habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance. Je le regrette sur un sujet aussi complexe, touchant aux droits et aux devoirs de la personne, qui aurait mérité un débat et la faculté pour les parlementaires d'amender, dans les limites permises par la nécessité de transposer un texte international. Les dispositions proposées sont positives pour la plupart. Sont notamment prévus l'allongement du délai de prescription, des actions disciplinaires, l'interdiction de s'associer à une personne faisant l'objet d'une sanction, l'incitation à une meilleure coopération entre les fédérations et les organisations nationales de lutte contre le dopage et l'extension du rôle de l'AFLD.
Permettez-moi néanmoins de m'arrêter sur deux mesures qui me posent problème. En l'état actuel, la loi française repose sur la prévention et sur le contrôle positif : le législateur a en effet considéré que la lutte contre le dopage revêtait un caractère spécifique et que le sportif était avant tout victime d'un système et qu'il ne devait donc pas faire l'objet de sanctions pénales mais bien de sanctions disciplinaires sportives, telles que la suspension ou l'interdiction de pratiquer son sport pendant une période donnée. Il est vrai que l'affaire Armstrong a montré les limites de ce système de contrôle – surtout lorsqu'il y a des complicités au plus haut niveau de certaines fédérations sportives. Et c'est parce que la méthode américaine a permis de confondre ce cycliste à partir d'enquêtes et de témoignages qu'une telle démarche a été retenue dans le code mondial antidopage. Ce n'était pourtant pas la démarche du législateur français. Convient-il de maintenir une discipline sportive ou plutôt de nous orienter vers des sanctions pénales ? Je reste pour ma part convaincue que le sportif est prisonnier d'un système et qu'il convient par conséquent d'en rester à la sanction sportive.
Ma deuxième observation porte sur les sursis. Nous nous trouvons face à une activité fondée sur la compétition. Il convient donc de bien encadrer le recours aux témoignages et aux dénonciations afin d'éviter toute dérive.
Une autre disposition qui m'interpelle est celle qui prévoit que tout sportif peut être tenu de fournir un échantillon à tout moment et en tout lieu, donc y compris entre 21 heures et 6 heures du matin. Comment allons-nous procéder pour faire évoluer le code du sport dans le respect du principe constitutionnel d'inviolabilité du domicile ? Le rapporteur a souligné que le pouvoir de contrôle de l'AFLD était très encadré. On a effectivement toujours cherché à respecter une certaine proportionnalité entre les enjeux de la lutte contre le dopage et la protection des droits fondamentaux. Or ce principe de proportionnalité n'est-il pas remis en cause en l'occurrence ? J'en entends certains objecter que les sportifs pourraient se doper la nuit. Mais un dealer peut aussi cacher de la drogue avant que la police n'arrive à six heures du matin à son domicile. La remise en cause du principe d'inviolabilité du domicile ne me paraît donc pas justifiée. Certes, le rapporteur nous indique que le Gouvernement entend encadrer très strictement cette entorse au principe en recueillant l'autorisation du sportif. Mais alors, quelle sera l'efficacité de ces visites nocturnes ?
Enfin, le combat contre le dopage vise à protéger les sportifs : il tend à éviter la triche mais aussi à les empêcher de nuire à leur propre santé. Est-il acceptable que le sportif ne soit pas considéré comme un citoyen à part entière et que l'on déroge en conséquence à des principes constitutionnels pour le contrôler alors que la France n'a plus à faire la preuve de sa volonté de mener ce combat ?