La presse est confrontée à une mutation économique et technologique sans précédent. La transition en cours de la presse imprimée vers la presse numérique ne fera pas disparaître le papier, mais le modèle économique de la presse papier est heurté de plein fouet par une crise structurelle dont les effets s'amplifient depuis quelques années : érosion et vieillissement continus du lectorat, effondrement des ventes et des autres recettes liées à la diffusion – publicité, annonces –, déstabilisation de la principale messagerie de presse, Presstalis, réduction régulière du nombre de points de vente. Parallèlement, la presse numérique, quoiqu'en pleine croissance, demeure une source de revenus mineure pour la plupart des éditeurs de presse.
Cette crise économique se double d'une crise de confiance, comme le montre le rapport 2014 de l'Observatoire de la déontologie de l'information. De manière générale, les études font état d'une aggravation de la perte de confiance du public dans les médias, comme le montre le baromètre annuel réalisé par TNS-Sofres pour La Croix, si bien que des doutes se font jour tant sur l'avenir économique que sur la mission démocratique de la presse.
Face à ce constat, les rapports qui se succèdent ne cessent d'interroger l'efficacité et la cohérence de la politique de soutien de l'État, mais aussi le comportement des acteurs du secteur face au changement. Depuis deux siècles, le secteur de la presse est marqué par une ambivalence fondamentale : l'information est pensée comme un bien public justifiant l'intervention de l'État, mais elle demeure produite comme une marchandise. Or le marché, à travers la course à l'audience, voire le racolage, tire la qualité vers le bas. Quant à l'État, il régule avec un zèle mollissant et subventionne sans faire preuve d'un discernement suffisant. On n'a pas sanctuarisé les moyens de son ambition.
Ce constat est particulièrement vrai s'agissant de la distribution de la presse papier. Le soutien à la distribution représente l'essentiel des aides publiques à la presse. Or ce soutien porte sur des canaux de distribution qui se concurrencent au lieu de se compléter et qui exigent un effort de rationalisation urgent dans un contexte d'effondrement de la diffusion papier, qu'il s'agisse du portage, du postage, des réseaux de distribution de la presse régionale ou du système coopératif de distribution, où coexistent depuis des années deux coopératives, Presstalis et les Messageries lyonnaises de presse.
C'est pourquoi les transformations doivent s'accélérer pour faire émerger un modèle plus solidaire et plus efficace au plan industriel, son double caractère, idéalement collectif et concrètement marchand, s'étant sédimenté sous la forme d'une tension entre le marché et l'État. Puissions-nous modestement remédier à cette situation !
Le titre Ier constitue un volet de cette nécessaire réforme. Il comporte en effet des aménagements destinés à renforcer la régulation du système coopératif de distribution de la presse vendue au numéro, dans le but d'accélérer la mise en oeuvre des réformes dont le système en crise a besoin pour garantir sa survie à court terme.
Le titre II tend à réformer la gouvernance de l'Agence France-Presse, pour que celle-ci soit mieux protégée et puisse s'inscrire dans la durée. Les dispositions proposées sont la traduction législative de préconisations formulées dans le rapport que j'ai remis au Premier ministre au printemps. D'autres modifications visent à mettre la loi de 1957 portant statut de l'AFP en conformité avec le droit de l'Union européenne.
Quant au titre III, il porte sur la création d'un statut d'entreprise citoyenne de presse d'information. Il s'agit – peut-être est-ce naïf de ma part – de créer les conditions de l'émergence de nouveaux modèles entrepreneuriaux pour les entreprises de presse.
Ni immobilisme, ni grand soir, donc. Il s'agit de faire preuve de pragmatisme pour accompagner la modernisation de la presse. Le statu quo n'est pas une option, et la modernisation n'est pas forcément l'ennemie.
Oui, il y a des anomalies dans le système actuel de distribution de la presse. Ainsi, on ignore pourquoi deux coopératives coexistent depuis des années. Comment les faire travailler ensemble ? Et, si l'on n'y parvient pas, ne faut-il pas songer à les rapprocher l'une de l'autre au point qu'elles ne fassent plus qu'une ? De même, on s'interroge parfois sur l'utilité de maintenir deux instances de régulation. Les dispositions de la partie du texte consacrée à ce sujet, assez technique, visent à permettre la coexistence de la solidarité, de la concurrence et du contrôle. La responsabilité des éditeurs est engagée en la matière. Il est trop facile de dire que la faute incombe à tel ou tel. Pendant des années, les éditeurs ont eu tendance à fixer des prix de distribution inférieurs au prix normal en espérant que les aides de l'État financent ces opérations.
Quant à l'AFP, nous sommes tous d'accord pour considérer qu'il s'agit d'une pépite qui contribue au rayonnement de la France ; elle est une exception culturelle, un vecteur de l'influence française dans le monde. Mais n'oublions pas de l'aider à se prémunir contre la précarité et la paupérisation qui la menacent. L'AFP est, certes, une entreprise unique, mais elle doit également être considérée, pour son développement, comme une entreprise comme les autres. D'un côté, l'entreprise principale doit conserver le statut qui fait son originalité, de l'autre, elle doit pouvoir préparer ses investissements futurs. Qu'en sera-t-il en effet de la vidéo, des nouveaux contenus et des nouveaux usages si ces activités ne peuvent pas être regroupées au sein d'une filiale ? Nous y reviendrons.
Enfin, nous voulons favoriser l'émergence de nouveaux acteurs et leur donner la possibilité de suivre une troisième voie, en s'émancipant du capital et de la recherche pleurnicharde des aides de l'État. Je pense que cette troisième voie peut tout particulièrement exister dans le numérique et dans la presse hebdomadaire régionale. Cependant, la création d'un statut particulier doit être complétée par un volet fiscal qui permette à ces entreprises de trouver des capitaux – même s'il s'agit de sommes modestes. En effet, beaucoup d'entreprises nouvelles ne passent pas le cap des trois années d'existence, faute d'avoir trouvé les capitaux nécessaires. Si nous pouvons les y aider, alors ce type de d'entreprises – qu'on les appelle citoyennes, participatives ou solidaires – auront un avenir.
En conclusion, accélérons la transition en évitant la rupture, et cessons de dire tous ensemble : « L'immobilisme est en marche et rien ne l'arrêtera. » Non, nous pouvons avancer à nouveau !