Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 25 novembre 2014 à 18h00
Commission des affaires étrangères

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international :

J'en suis bien conscient.

J'en viens aux négociations avec l'Iran. Au préalable, je souhaite apporter deux précisions. D'une part, notre état d'esprit actuel est tout à fait conforme au principe que nous avons fait inscrire expressément dans le préambule de l'accord intérimaire de novembre 2013 : « Tant que tout n'est pas réglé, rien n'est réglé. » En effet, les différents aspects du problème – enrichissement de l'uranium, contrôles, etc. – s'interpénètrent. D'autre part, nous devons nous garder d'entrer publiquement dans un débat sur les concessions ou les gains éventuels de telle ou telle partie dans la négociation. Si nous le faisons, les négociateurs iraniens risquent de se retrouver dans une situation impossible vis-à-vis de leur opinion. Il en va de même pour les négociateurs américains vis-à-vis du Congrès.

Examinons successivement les trois ou quatre grands sujets de la négociation. Le premier touche aux limitations. En la matière, notre point de départ est le suivant : l'Iran peut développer le nucléaire civil autant qu'il le souhaite, mais pas la bombe atomique. Et, si nous voulons éviter une course iranienne vers la bombe, il ne faut pas lui permettre de dépasser un certain seuil pour ce qui est de sa capacité d'enrichissement de l'uranium. La question porte tant sur le nombre et la puissance des centrifugeuses que sur le stock d'uranium enrichi dont dispose l'Iran, les deux aspects étant liés. S'agissant du stock, le principe a été retenu qu'il serait traité en Russie, de telle manière qu'il ne puisse pas être utilisé à des fins militaires, le combustible restitué par la Russie étant à usage strictement civil. Les choses sont beaucoup plus compliquées en ce qui concerne l'enrichissement et les centrifugeuses. À cet égard, il faut raisonner en nombre non pas de centrifugeuses – car il existe plusieurs générations de centrifugeuses dont les capacités d'enrichissement diffèrent sensiblement –, mais d'unités de travail de séparation (UTS) ou, en anglais, de separative work units (SWU). À ce sujet, toute une série d'idées nouvelles ont été émises, qui demandent des calculs et des vérifications très techniques. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons décidé de prolonger les discussions.

Le deuxième sujet, la transformation, concerne essentiellement les installations d'Arak et de Fordow. Le réacteur à eau lourde d'Arak est potentiellement dangereux, car il peut produire du plutonium en grande quantité. Il nous fallait trouver une méthode pour que ce réacteur continue à exister, mais qu'il n'utilise plus une technologie à eau lourde. Plusieurs idées ont été avancées et une solution devrait être trouvée.

Le problème posé par l'usine souterraine de Fordow est de tout autre nature. Enfouie très profondément dans le sol, elle est protégée contre d'éventuelles frappes. Nous devons nous assurer que les Iraniens n'y mènent pas de travaux de recherche et développement innovants et dangereux, et qu'ils n'y abritent pas de centrifugeuses. Des pistes ont été esquissées sur ce point, mais nous ne disposons pas encore d'un paragraphe rédigé et prêt à être signé.

Le troisième sujet, la vérification, est le plus compliqué : la condition sine qua non d'un accord est que l'AIEA ait la possibilité de vérifier tout et partout, y compris de manière inopinée, mais elle est très difficile à admettre pour les Iraniens. Selon les vérifications effectuées par l'AIEA, les Iraniens ont respecté les engagements qu'ils avaient pris il y a un an : ils n'ont pas mis à profit la période de l'accord intérimaire, entre novembre 2013 et novembre 2014, pour développer des activités contraires à ces engagements.

La question de notre capacité de vérification est très étroitement liée à celle des sanctions. Les Iraniens souhaiteraient que nous levions immédiatement toutes les sanctions – tant celles du Conseil de sécurité de l'ONU, qui visent à empêcher l'Iran de développer un programme nucléaire militaire, que celles des États-Unis et de l'Union européenne, qui ont un caractère essentiellement économique – dès lors qu'un accord serait conclu. En revanche, du point de vue des « 5+1 », il faut que les contrôles soient périodiques et que les sanctions puissent être rétablies immédiatement dans le cas où l'Iran ne respecterait pas l'accord.

Enfin, les restrictions imposées à l'Iran, notamment les mesures supplémentaires pour vérifier l'absence de tout programme militaire, ne s'appliqueront pas de manière perpétuelle. Comme les résolutions du Conseil de sécurité l'indiquent, bien que cela soit souvent oublié, une fois la confiance rétablie, le programme iranien sera traité comme le programme de n'importe quel autre Etat signataire du TNP. Au-delà de la durée de l'accord sur l'enrichissement, qui doit être longue, les Iraniens seraient libres de tout engagement. Ils deviendraient alors, dans la terminologie de l'AIEA, un État « de routine». Pour sa part, l'Iran se dit prêt à respecter cette condition pendant une durée qui reste à déterminer, à condition que l'on considère que, passé ce délai, il sera un État digne de confiance et qu'il sera, à ce moment-là, soumis aux obligations fixées dans les traités généraux, qu'il s'engage à signer entre-temps. La question qui se pose est donc la suivante : à partir de quel moment l'Iran pourrait-il être considéré comme un État « normal » ? À ce stade, elle n'est pas réglée.

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