Audition de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international.
La séance est ouverte à dix-huit heures.
Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre présence parmi nous ce soir. Nous sommes convenus d'aborder cinq sujets : l'Iran, l'Irak, la Syrie, le Proche-Orient et l'Ukraine. Cette audition devant durer environ une heure et quart, je vous propose d'en venir directement aux questions, sans exposé liminaire de votre part.
S'agissant des négociations entre les « 5+1 » et l'Iran, même s'il est probablement encore un peu tôt pour faire un bilan des discussions à Vienne, pouvez-vous nous en dire plus sur les points d'achoppement ? Pourquoi n'est-on pas parvenu à un accord ? Vous avez souligné ce matin sur France Inter que l'atmosphère était néanmoins plus positive que lors des discussions précédentes. D'autre part, vous avez évoqué des progrès sur certains sujets ; pouvez-vous nous préciser lesquels ? Pouvez-vous également nous donner des indications sur les sanctions, dont les Iraniens demandaient la levée totale ?
Selon vous, quelles sont désormais les perspectives ? Le nouveau Congrès américain commencera à siéger au mois de janvier. La prolongation des négociations jusqu'en mars, voire jusqu'en juillet ne va-t-elle pas compliquer la donne ? Ne risque-t-elle pas de renforcer la main des plus sceptiques et des plus hostiles aux négociations, aux États-Unis comme dans d'autre pays ?
Pour ce qui est de l'Irak, la progression de Daech semble freinée : le siège de la raffinerie de Baiji a été brisé et Daech reculerait à Kobané. Pourriez-vous faire le point sur la situation militaire ? Aux frappes de la coalition, qui jouent un rôle essentiel, s'ajoute la lutte au sol menée par les forces de sécurité irakiennes, les milices chiites et certaines tribus sunnites. La coordination se fait-elle entre ces différentes forces ? Sont-elles assez actives ? Leurs effectifs sont-ils suffisants ? Où en est le projet, évoqué à un certain moment, de créer une garde nationale en Irak ?
Je me suis rendue la semaine dernière avec Pierre Lellouche et Philippe Baumel à New York, à l'Assemblée générale des Nations unies, ainsi qu'à Washington, où nous avons appris que le partage du renseignement avec les États-Unis sur l'identification des cibles ne fonctionnait pas nécessairement aussi bien que nous pourrions le souhaiter. Avez-vous reçu des assurances à ce sujet ? Cela se passe-t-il mieux depuis lors ?
Sur le plan politique, le premier ministre Al-Abadi a pu nommer les ministres de l'intérieur et de la défense, et un accord partiel a été conclu entre les autorités de Bagdad et le gouvernement régional du Kurdistan à propos du pétrole et des salaires des fonctionnaires. Ce sont là des signes encourageants. En outre, où en sont les efforts qui visent à inclure davantage les tribus sunnites dans le jeu et à les détacher de Daech ? Des progrès ont-ils été réalisés ? Les Jordaniens nous disent qu'ils ont beaucoup oeuvré en ce sens.
En ce qui concerne le Proche-Orient, je vous confirme que la Conférence des présidents a décidé ce matin que le projet de résolution déposé par le groupe SRC serait examiné en séance publique vendredi prochain à partir de neuf heures trente et qu'il ferait l'objet d'un vote solennel le mardi 2 décembre. Je vous propose donc de réserver les questions relatives à ce texte pour la séance de vendredi et de nous concentrer ce soir sur la montée des violences à Jérusalem et les moyens de l'endiguer.
Le mois dernier, au Caire, vous avez appelé de vos voeux un changement de méthode, monsieur le ministre. Quel rôle la France peut-elle jouer à cet égard ? Quelle en serait l'articulation avec la tentative de relance des pourparlers proposée par M. Kerry ? Lors de notre visite à Washington, je n'ai pas eu le sentiment que le Département d'État était très optimiste sur son issue. Nous sommes également très intéressés par ce que vous pourrez nous dire sur la position française concernant le projet de résolution déposé au Conseil de sécurité par la Jordanie à la demande des Palestiniens. Au-delà des paramètres déjà connus, l'Autorité palestinienne souhaiterait qu'une date butoir soit fixée pour la fin de l'occupation israélienne. Lorsque nous avons rencontré l'ambassadeur palestinien, j'ai insisté sur le fait qu'il faudrait faire preuve d'esprit de compromis afin d'éviter un veto américain.
Enfin, nous souhaiterions vous entendre sur la situation en Ukraine et sur nos difficultés actuelles avec la Russie. L'OTAN, l'OSCE et les autorités de Kiev dénoncent une présence de plus en plus massive de militaires russes sur le territoire ukrainien ; qu'en savons-nous exactement ? Au vu de l'intensification manifeste des combats, devons-nous craindre des offensives militaires massives ? De plus, la situation économique en Crimée est catastrophique et risque de s'aggraver encore lorsque la mer d'Azov sera prise par les glaces, ce qui empêchera le ravitaillement maritime de la péninsule. L'approche de cette échéance pourrait-elle amener la Russie à s'emparer de Marioupol, comme elle menace de le faire depuis quelque temps ? De l'autre côté, le gouvernement ukrainien pourrait décider de ne plus payer les pensions dans les régions de l'Est et agite à nouveau le chiffon rouge d'une adhésion à l'OTAN. Vous avez laissé entendre ce matin sur France Inter que cela ne vous paraissait pas être la meilleure chose à faire. En tout cas, la radicalisation des deux côtés fait peser des menaces fortes sur le processus de Minsk.
Par ailleurs, se pose la question des sanctions. Les sanctions européennes et les contre-sanctions russes ont des effets considérables sur l'économie et la monnaie russes, mais affectent aussi l'économie européenne. En revanche, elles ne semblent pas à même, pour le moment, de faire bouger les lignes sur le plan politique. Avez-vous engagé avec vos collègues européens une réflexion sur l'évolution de la politique européenne si la crise devait durer ? Nous avons appris aujourd'hui la décision du Président de la République de différer la livraison du Mistral jusqu'à nouvel ordre. Quelles peuvent en être les conséquences, notamment en matière de pénalités ?
S'agissant de la situation en Ukraine, je soutiens la mesure qui a été annoncée aujourd'hui par le Président de la République. Elle est de simple bon sens : au moment où nous constatons un risque élevé de nouvelle escalade militaire en Ukraine, il paraît compliqué que la France livre un navire de guerre à la Russie.
L'ambassadeur russe auprès de l'ONU, que nous avons rencontré avec Mme la présidente et M. Baumel, a indiqué sans détour que, en cas de recours à la force, les Russes prendraient Marioupol et l'est de l'Ukraine afin de créer un corridor. Compte tenu de ce que vous savez des positions ukrainiennes, monsieur le ministre, jugez-vous ce scénario probable ? S'il se produisait, cela nous ferait changer de monde en termes de sécurité européenne. Que ferions-nous dans ce cas ? Quid de la sécurité des États baltes et de la Pologne ? Les problèmes qui se poseraient alors seraient infiniment plus graves qu'une affaire de vente de Mistral.
En ce qui concerne les négociations avec l'Iran, je suis d'accord avec les quatre lignes rouges que vous avez énoncées. La France a eu raison, selon moi, de maintenir une position de fermeté, alors même que l'essentiel de la négociation se fait en bilatéral entre MM. Zarif et Kerry – vous le savez mieux que personne – et que les pressions pour en finir au plus vite sont très fortes du côté américain, pour plusieurs raisons internes et externes. Quid de ces quatre lignes rouges ? Comment voyez-vous l'issue des négociations ? Selon vous, les Iraniens peuvent-ils accepter un contrôle sur la militarisation de leur programme nucléaire, la neutralisation des centrales les plus problématiques et une limitation pour les centrifugeuses ? Cela ne paraît pas évident.
Nous avons beaucoup discuté du projet de résolution sur la reconnaissance de l'État de Palestine ce matin au sein du groupe UMP. Je n'aborde pas le fond, dont nous débattrons vendredi. Cependant, ainsi que je l'ai indiqué à Mme la présidente, si nous avions pu construire une résolution commune avec le groupe SRC et la majorité, et si ce texte avait fait le lien avec le travail mené actuellement par la diplomatie française à l'ONU, nous aurions pu, selon moi, préserver le consensus bipartisan qui caractérise la politique française au Proche-Orient depuis quarante ans. Or nous allons être contraints de voter de manière divergente, ce que je regrette. Pourtant, nous sommes tous d'accord sur l'essentiel, à savoir sur la reprise des négociations et sur la solution à deux États. Il est bien dommage que les circonstances politiques aient conduit au dépôt d'un texte à notre avis incomplet, voire tronqué à certains égards, et nous empêchent de maintenir le consensus.
Où en est, d'ailleurs, l'initiative de la France, qui vise, si j'ai bien compris, à créer une sorte de tutelle internationale au-dessus des deux parties pendant dix-huit mois afin de conforter le processus de négociation ? A-t-elle, selon vous, des chances d'aboutir ? Pourquoi ne pas se donner le temps d'accompagner cette initiative par une résolution commune de l'ensemble des groupes de l'Assemblée ? Pourquoi avoir inscrit à l'ordre du jour l'examen du projet de résolution dès vendredi prochain, et son vote dès mardi, alors même que l'on ignore quelle sera l'issue du travail diplomatique en cours à l'ONU ? J'ai du mal à comprendre cette précipitation.
Pouvez-vous nous faire, monsieur le ministre, un point très précis sur les discussions qui ont eu lieu à Vienne avec l'Iran ? La situation actuelle de la négociation a-t-elle une influence dans la région, notamment sur les pays limitrophes, par exemple sur l'Irak, sur la Syrie ou sur Israël ? Comment ces négociations sont-elles ressenties par le peuple iranien ?
Le projet de résolution sur la reconnaissance de l'État de Palestine est une synthèse. Il a fait l'objet d'un travail préalable complet avant son dépôt. Nous souhaitons vraiment le faire aboutir. Il exprimera la position du Parlement. Le Gouvernement, de son côté, ne s'exprimera pas nécessairement de la même manière, ni selon le même calendrier. J'espère néanmoins que nous trouverons un chemin commun et ferons preuve d'une volonté commune.
Pourquoi la politique syrienne de la France, notamment en ce qui concerne la lutte contre Daech, est-elle plus proche de la position du Parti républicain américain que de celle du Parti démocrate de M. Obama ?
J'ai participé à la session de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN qui s'est tenue ces quatre derniers jours à La Haye. À cette occasion, les représentants de la Turquie ont tenté de faire passer un amendement concernant la création d'une zone tampon au nord de la Syrie. Quelle est la position du Gouvernement sur cette question ?
Libération a titré aujourd'hui : « Avantage Assad. » J'aimerais avoir votre commentaire sur ce point, monsieur le ministre. Bachar Al-Assad n'est-il pas en effet le grand vainqueur ?
Mme la présidente et vous-même avez employé le terme « Daech ». Pour sa part, le patriarche catholique syriaque, que le groupe d'études sur les Chrétiens d'Orient a reçu récemment, a estimé que nous devrions avoir le courage d'utiliser le terme « État islamique ». Qu'en pensez-vous ?
À l'initiative du président Hollande, un sommet a été organisé à la fin du mois d'octobre à Paris entre les présidents arménien et azerbaïdjanais, avec pour objectif la recherche d'une paix durable. Vous y avez probablement assisté. Quelques jours plus tard, les Azerbaïdjanais ont abattu un hélicoptère arménien au-dessus du Haut-Karabagh, causant la mort de trois personnes. Or, à ma connaissance, la France n'a pas réagi. Qu'en est-il exactement ?
Quel est votre sentiment sur les résultats des élections législatives et de l'élection présidentielle en Tunisie ?
Je vous ai également écouté ce matin sur France Inter, monsieur le ministre. Au passage, je vous remercie d'avoir cité ces belles paroles de François Mitterrand, rassurantes pour les futurs septuagénaires ! Vous avez indiqué que la France multipliait les démarches en liaison avec l'envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies pour sauver la ville d'Alep et créer des zones de sécurité qui seraient interdites de survol tant à l'aviation du régime syrien qu'aux forces du prétendu État islamique. Le président de la coalition nationale syrienne, M. Hadi Al-Bahra, avec lequel vous vous êtes entretenu aujourd'hui, a regretté que la coalition internationale engagée contre l'État islamique « ferme les yeux », selon son expression, sur les exactions commises par le régime de Bachar Al-Assad. Quelles initiatives concrètes entendez-vous prendre pour convaincre nos partenaires européens et américains de sauver Alep du pire ? D'autre part, le dialogue est-il maintenu avec Moscou sur ce sujet très sensible ?
S'agissant de l'Ukraine, les pays européens cherchent à définir une position commune par rapport à Moscou et au président Poutine. Certains États membres font pression pour une politique de fermeté – en particulier ceux de la partie orientale de l'Union –, alors que d'autres parlent d'apaisement. D'aucuns évoquent même l'opportunité de trouver ensemble des portes de sortie pour M. Poutine. Quant aux sanctions, elles sont de plus en plus contournées. Quel est votre sentiment sur ce dossier ? Quels signaux devons-nous envoyer ?
L'Iran avance doucement mais sûrement vers l'arme nucléaire. Nous courons à la catastrophe, c'est-à-dire au cauchemar nucléaire et à un embrasement total de la région. Car les Israéliens, que je connais bien, ne laisseront pas faire. La position de la France, que vous exprimez, est l'une des plus fermes. Mais tous les observateurs notent que les Américains ont encore fait des concessions, parce qu'ils veulent à tout prix enregistrer un succès. Il suffit de voir les réactions très négatives de l'opposition iranienne à l'annonce de la prolongation de la négociation de sept mois supplémentaires. La situation est très inquiétante.
Dans le combat contre Daech, n'est-il pas absolument contre-productif d'annoncer que nos avions ne dépasseront pas telle ou telle ligne ou que nous n'enverrons pas de troupes au sol ? Il faut non pas dire ce que nous allons faire, mais faire ce que nous avons à faire pour détruire Daech ou « décapiter » ce mouvement, pour reprendre une notion qu'il affectionne particulièrement. Il est étonnant que 30 000 personnes puissent traumatiser ainsi l'ensemble des armées à travers le monde et déstabiliser à ce point, avec ces images terribles que nous voyons tous les jours.
J'en viens au projet de résolution sur la reconnaissance de l'État de Palestine, point le plus sensible pour moi. Tout le monde souhaite un État palestinien à côté de l'État d'Israël. Mais c'est une très mauvaise résolution, qui va éloigner la paix. Dans le cadre de discussions sur une équivalence de diplômes, j'ai rencontré le premier ministre israélien à trois reprises ce week-end. Avec cette initiative, nous allons prendre parti et mettre la France définitivement hors jeu. Ainsi que l'a indiqué Pierre Lellouche, la question est très complexe, et nous ne sommes pas parvenus à la résoudre en soixante-dix ans. Mais ce n'est pas le seul problème qui ne trouve pas de solution : les 35 millions de Kurdes restent privés d'État ; Chypre fait toujours l'objet d'un conflit entre la Grèce et la Turquie ; personne ne s'occupe des malheureux Tibétains, car cela concerne la Chine. Allons-nous adopter la semaine prochaine une résolution pour demander la création d'un État tibétain ? Allons-nous nous mêler du dossier catalan ? Non, pourtant, 80 % des Catalans ont voté en faveur de l'indépendance.
À un moment où il faudrait apaiser, nous allons attiser, mettre de l'huile sur le feu et importer le conflit. Avons-nous oublié que, à Toulouse, il y a deux ans, Mohammed Merah prétendait venger ses frères palestiniens tués ? Nous savons, hélas, que le projet de résolution sera adopté, quoi qu'il arrive. Il prend parti pour l'un des deux camps, sous la pression de l'extrême-gauche. Ainsi que l'a déclaré Benoît Hamon, la gauche tente ainsi de récupérer une partie de son électorat des banlieues. C'est une faute grave ! (Vives protestations de plusieurs commissaires du groupe SRC.) La démocratie consiste à écouter les autres ! Souffrez que je m'exprime trois minutes !
Monsieur le ministre, il ne faut pas jouer avec des allumettes à côté d'une citerne remplie d'essence ! Encore une fois, tout le monde souhaite deux États vivant côte à côte en paix, sur la base d'une solution négociée. Or, aujourd'hui, nous ne parlons plus de négociations : nous voulons imposer une solution, ce qui se révélera contre-productif. Je suis triste pour les relations entre la France et Israël. Je m'exprime au nom des 170 000 Franco-Israéliens, mais aussi de la très grande majorité de la communauté juive de France, que cette résolution inquiète au plus haut point. Je tenais à vous faire part de ces réflexions. Nous en reparlerons bien sûr vendredi prochain.
Le débat de vendredi prochain promet d'être tonique ! J'espère en tout cas qu'il sera de meilleure tenue que ce à quoi nous venons d'assister, et qu'il portera non pas sur la forme, mais sur le fond. Nous devrons non pas défendre la position d'autres États, mais exprimer celle du Parlement français.
Pouvez-vous préciser, monsieur le ministre, quelles sont les conséquences de l'embargo contre la Russie sur la position de Moscou ? Ne constatez-vous pas des contournements de cet embargo s'agissant des produits agricoles et agroalimentaires ? Dans ma circonscription, nous observons la reprise d'échanges importants avec la Russie. Quelle est la position de la France dans le débat européen sur les sanctions ?
Selon le président de la Chambre de commerce et d'industrie franco-russe, que j'ai rencontré ce matin, certains pays violent l'embargo en livrant la Russie via la Biélorussie ou le Maroc. Toujours selon lui, les Russes attendraient beaucoup de la France, d'autant que de nombreuses entreprises allemandes et américaines se retirent de Russie ou y réduisent leur présence, alors que, pour l'instant, les entreprises françaises attendent avec une certaine dose d'optimisme, même si la situation actuelle ne porte guère à espérer. D'autre part, certains marchés échappent actuellement aux entreprises françaises et seraient conquis par les Chinois. Jusqu'à aujourd'hui, la Chine était le premier partenaire commercial de la Russie, mais elle était peu présente en matière d'investissements directs à l'étranger (IDE). Pour sa part, la France était devenue le deuxième investisseur étranger en Russie derrière l'Allemagne, alors qu'elle n'était qu'au neuvième ou dixième rang il y a dix ans. Le problème est donc crucial pour l'économie française. J'ai entendu que la chute des exportations vers la Russie pourrait entraîner 150 000 à 300 000 chômeurs supplémentaires en Allemagne. Qu'en sera-t-il pour la France ?
Pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre, les difficultés sur lesquelles ont achoppé les discussions avec l'Iran ? Est-ce le nombre de centrifugeuses ? Ou bien la ratification par l'Iran du protocole additionnel à son accord de garanties avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), qui porte sur les contrôles ? Par ailleurs, il semble que les États-Unis commencent à commercer de nouveau avec l'Iran : ils viennent d'autoriser Boeing à exporter des pièces détachées. Pour notre part, nous nous interdisons de le faire. Or il y a des limites à une telle politique. Le meilleur moyen de faire évoluer le régime, c'est d'ouvrir le pays.
S'agissant de la Syrie, je suis convaincu que Bachar Al-Assad finira par passer la main, alors que l'idéologie islamiste, elle, perdurera. Entre deux maux, il faut savoir choisir le moindre. Les observateurs sur le terrain affirment tous que Bachar est en train de reconquérir Alep.
Pour ce qui est de la Palestine, je rappelle que la France reconnaît non pas les gouvernements, mais les États. Nous aurions d'ailleurs dû reconnaître l'État palestinien depuis longtemps. Ayons la lucidité de faire avancer la paix sur ses deux jambes, c'est-à-dire en s'appuyant sur deux États.
Enfin, je ne comprends pas que la France ne livre pas les Mistral à la Russie ! Nous sommes en train de prendre parti et d'alimenter une crise, alors que nous n'avons pas intérêt à mettre de l'huile sur le feu. La Russie est là pour longtemps. Certes, les Ukrainiens aussi, mais ne nous alignons pas sur les ultra-européens ! Regardons la réalité en face : livrons les Mistral, sans pour autant donner un blanc-seing à la Russie, et convions les parties à Paris pour essayer de trouver une solution diplomatique. Permettez-moi de douter que nous puissions faire pression sur Moscou avec des sanctions. Pour ma part, j'aurais livré les Mistral avec beaucoup d'aplomb !
J'ai rencontré avant-hier un vice-premier ministre du gouvernement de M. Netanyahou à Jérusalem, le président Peres à Tel Aviv et le président palestinien à Ramallah. Tous, y compris le vice-premier ministre israélien, attendent beaucoup de la démarche que vous entreprenez en ce moment, monsieur le ministre, face à la radicalisation de la politique israélienne. Cette initiative n'est d'ailleurs peut-être pas assez connue du grand public.
Je tiens à rassurer ceux de nos collègues qui pensent que nous sommes en quête de votes arabes dans les banlieues françaises : en tant que républicain et laïc, je constate que la création d'un État palestinien, qui est demandée par les Israéliens comme par les Palestiniens, sera la meilleure garantie de sécurité pour Israël – nous le savons depuis longtemps.
Cependant, les choses prennent une mauvaise tournure en ce moment : M. Netanyahou – qui a tenu, l'autre soir, des propos violents à l'égard de la France et de son Assemblée nationale – est en train de renforcer la colonisation à Jérusalem-Est et aux alentours, ainsi qu'en Cisjordanie. D'autre part, son discours insiste désormais sur la dimension religieuse et tend à dénoncer dans chaque arabe palestinien un djihadiste. Sous son influence, le parlement israélien s'apprête à voter un projet de loi visant à renforcer le caractère juif de l'État d'Israël, lequel ne sera donc plus ouvert aux Arabes. Il s'agit d'une dérive inquiétante, qui ne concerne pas seulement Israël et la Palestine, et qui interpelle la population française, notamment dans la région que je préside.
Je suis conscient que la France est sans doute le pays qui va le plus loin au sein des « 5+1 » : elle essaie de tenir une position à peu près solide et la défend avec un certain mordant. Mais on ne me fera pas croire que la prolongation des discussions décidée à Vienne est une victoire. C'est, au contraire, un échec, notamment pour la démocratie dans cette région du monde. Ne soyons pas dupes : nous savons très bien que le régime des mollahs va mettre ce laps de temps à profit pour avancer dans son programme nucléaire.
En ce qui concerne la livraison des Mistral, je suis tout à fait d'accord avec Jacques Myard : la France doit honorer les contrats qu'elle a signés. Quant à la tendance à diaboliser Poutine et à le faire passer pour le Hitler des temps modernes, elle nuit considérablement aux intérêts de la France. À un moment où vous promouvez la diplomatie économique avec force, monsieur le ministre, la France doit être présente en Russie, et nous ne pouvons pas entrer en opposition avec ce grand pays de manière quasi systématique. Il faut livrer les Mistral, certes en y mettant les formes, puis reprendre la main en adoptant une position équitable envers les deux parties au conflit.
Le 12 novembre dernier, à Pékin, Barack Obama et Xi Jinping ont annoncé, en dehors de toute négociation internationale, leurs objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cela signifie-t-il que les États-Unis et la Chine ne se laisseront imposer aucun objectif en matière de lutte contre les dérèglements climatiques, ni par l'ONU, ni par les autres États, ni par les exigences scientifiques ? Comment interprétez-vous cette annonce sur le plan géopolitique, à quelques mois de la conférence de Paris ?
On me prête généralement une certaine franchise. J'assume toujours toutes les déclarations que je fais dans le débat public, y compris les éventuelles bêtises. Mais je n'assume pas ce que je n'ai pas dit. Or je n'ai jamais tenu les propos qui me sont attribués par le Canard enchaîné au sujet de la Palestine et qui font l'objet, hélas, d'une série de reprises, qui mettent d'ailleurs d'accord les radicaux des deux camps. Aucune des deux cents personnes présentes à la réunion du groupe socialiste au cours de laquelle je suis censé avoir prononcé ces paroles ne les a entendues. Nous serons probablement en désaccord à propos de la résolution sur la reconnaissance de l'État de Palestine. Pour ma part, je respecte tous les points de vue. Chacun est libre de perpétuer cette malveillance à mon égard – car je considère que c'en est une – en continuant à m'attribuer ces déclarations. Mais je tenais à faire cette mise au point, mes chers collègues, car nous allons travailler encore un certain temps ensemble au sein de cette commission.
L'Union européenne négocie actuellement un traité très important avec les États-Unis : les deux plus grandes économies du monde envisagent de se marier au sein d'un seul et même marché. Or les pères fondateurs ont construit le projet européen autour de l'interdépendance des économies européennes. Ne craignez-vous pas, monsieur le ministre, que la réalisation du grand marché transatlantique affaiblisse cette interdépendance économique et, partant, les solidarités européennes ? En définitive, ceux qui avaient imaginé un jour – notamment certains Anglo-Saxons – qu'un tel marché pourrait être le meilleur moyen de diluer le projet européen ne sont-ils pas en train de parvenir à leurs fins ?
Je regrette vivement, madame la présidente, qu'un tel climat s'installe ce soir au sein de notre commission : nous ne devrions pas nous interpeller ainsi les uns les autres au cours d'un exercice de questions au ministre. Chacun de nous détient ici, je le rappelle, une parcelle de la souveraineté nationale. Nous ne sommes les porte-parole d'aucun groupe de pression et, dans le cadre de notre travail parlementaire, nous n'avons pas à répondre aux injections, d'où qu'elles viennent. Il n'est pas non plus tolérable de comparer le conflit israélo-palestinien – la communauté internationale ayant reconnu le droit de chacune des deux parties à l'existence et à la sécurité – avec les situations, certes de plus en plus sensibles, suscitées par des mouvements autonomistes ou indépendantistes en Europe.
À supposer que vous ne la connaissiez pas déjà, monsieur le ministre, je souhaite vous faire part de cette très belle phrase de David Ben Gourion : « La condition de notre existence repose sur notre valeur morale ; si, aux yeux du peuple et du monde, nous perdons le droit moral à notre existence, Israël ne pourra survivre. » Cette réflexion est-elle toujours d'actualité ? Pour avoir longtemps travaillé au sein du comité sur les questions relatives au Moyen Orient de l'Union interparlementaire, j'ai la conviction que les peuples israélien et palestinien veulent la paix et la sécurité. Malheureusement, la classe politique, des deux côtés d'ailleurs, n'est pas tout à fait à la hauteur de leurs espérances. Quant à la négociation dite « directe » engagée sous les auspices des États-Unis, elle a incontestablement échoué ; elle n'a plus d'avenir. Comment la reprendre sur la base du projet de résolution déposé par le groupe SRC ? À l'instar d'autres pays, nous entendons affirmer que la Palestine a un droit à l'existence et que, dans le même temps, les deux États, en particulier Israël, ont un droit à la sécurité, conformément à la position traditionnelle de la France. Comment convaincre les acteurs de ce drame si ancien et toujours renouvelé que les intérêts de leurs peuples doivent être davantage pris en considération qu'ils ne le sont aujourd'hui ? Comment allez-vous vous y prendre ?
S'agissant de l'escalade à laquelle nous assistons avec la Russie à propos de l'Ukraine, je rejoins, pour une fois, le point de vue de Jacques Myard : il faudra bien un jour que nous fassions le pari d'un renversement de la charge de la preuve s'agissant de la bonne volonté dont la Russie doit faire acte pour résoudre cette situation. Selon moi, nous ne pouvons pas poursuivre inconsidérément cette escalade, qui n'a pas d'autre perspective que celle de l'escalade elle-même.
Comment manifestons-nous notre solidarité à l'égard de la population irakienne, afin notamment de contrer la politique de Daech, qui cherche à se donner une dimension sociale ? Comment l'aide de la France se matérialise-t-elle ? Quelles actions menons-nous pour soutenir les organisations humanitaires sur place ?
Monsieur Lellouche, rien n'interdit au groupe UMP de déposer, lui aussi, un projet de résolution.
Monsieur Rochebloine, un nouvel incident de frontière très regrettable s'est en effet produit la semaine dernière au Haut-Karabagh, quelques jours après la réunion de Paris. Ses circonstances ne sont pas totalement claires. En tout cas, cela montre bien la nécessité d'avancer vers des mesures de confiance, afin de faire baisser la tension, et vers un règlement politique du conflit. Tel était précisément l'objet du sommet que nous avons organisé à Paris, conformément à notre engagement. Je n'y ai pas assisté, car j'étais en visite dans un autre pays, mais j'ai pris connaissance des échanges et en ai discuté avec le Président de la République. Les deux parties se sont parlé, mais les choses restent très compliquées dès que l'on en vient aux décisions à prendre.
En ce qui concerne les scrutins en Tunisie, je n'ai rien à ajouter par rapport à ce que vous avez pu vous-même constater : le premier tour de l'élection présidentielle s'est déroulé dans le calme ; les résultats sont très serrés et ne sont pas ceux que les sondages avaient annoncés, M. Béji Caid Essebsi ayant réuni 39 % des voix, contre 33 % pour M. Moncef Marzouki. Le deuxième tour aura lieu à la fin du mois de décembre.
S'agissant du Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement, monsieur Hamon, vous abordez un sujet très vaste, qui demanderait de longs développements. Selon moi, la signature d'un traité avec les États-Unis ou avec tel autre grand pays n'est pas de nature à entraîner un délitement de l'Europe. Cependant, nous devons nous assurer que le contenu dudit traité – si nous le signons – ne va pas à l'encontre de la construction européenne.
Madame Dagoma, contrairement à ce que vous indiquez, la discussion entre la Chine et les États-Unis sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre ne s'est pas déroulée en dehors de toute négociation internationale. D'une part, au cours des dernières semaines, les deux pays nous ont tenus au courant – ce que j'ai apprécié –, dans la mesure où nous exercerons l'année prochaine la présidence de la conférence sur le climat. Je n'en ai pas fait état publiquement, car ces discussions étaient secrètes.
En effet, et ils avaient alors des positions très différentes. D'autre part, les Chinois se sont engagés à atteindre le pic de leurs émissions de gaz à effet de serre « autour de 2030 » et ont précisé « si possible avant », à notre demande – même si je ne veux pas me prévaloir d'une influence que nous n'avons pas nécessairement. Enfin, dans le communiqué publié par les Américains, comme dans celui du G20, figure l'objectif de parvenir à un accord à la conférence de Paris. L'intention des Chinois comme des Américains, à qui j'ai eu l'occasion d'en parler depuis lors, est vraiment d'aider à la réussite de la conférence. Pour être honnête, s'ils n'avaient pas fait cette démarche bilatérale, il aurait été très difficile d'aboutir à un résultat à Paris.
À cet égard, nous pouvions craindre qu'ils passent un accord en demi-teinte. Or, à y regarder de près, même s'il se trouve toujours des organisations pour estimer que ce n'est pas suffisant, le résultat est très impressionnant : si elle met en oeuvre ce qu'elle a programmé, la Chine va devenir, de loin, le premier marché pour les énergies renouvelables et pour le nucléaire. À nous, d'ailleurs, de savoir en tirer les conséquences. Certes, les Chinois avaient besoin, politiquement et socialement, de prendre une telle décision, mais ils ne font pas les choses à moitié ! Ils essaient de tirer avantage d'une contrainte.
Je n'entre pas ce soir dans le vif du débat sur le conflit israélo-palestinien, car nous en discuterons vendredi prochain. En tout cas, essayons de traiter ce sujet très délicat, voire explosif, avec autant de mesure et de raison que possible. Évitons d'ajouter nos propres passions à celles qu'il suscite déjà. Sans vouloir amoindrir la signification ni l'importance du débat et du vote qui auront lieu à l'Assemblée sur le projet de résolution, à l'image de ce qui s'est fait dans d'autres parlements, je tiens à préciser que la position de la France sera déterminée par le Gouvernement, conformément à la Constitution de la Ve République. Que vous ayez l'intention de voter pour ou contre le projet de résolution, vous avez d'ailleurs tous insisté sur ce point. Il est utile que nous soyons tous d'accord.
J'en suis bien conscient.
J'en viens aux négociations avec l'Iran. Au préalable, je souhaite apporter deux précisions. D'une part, notre état d'esprit actuel est tout à fait conforme au principe que nous avons fait inscrire expressément dans le préambule de l'accord intérimaire de novembre 2013 : « Tant que tout n'est pas réglé, rien n'est réglé. » En effet, les différents aspects du problème – enrichissement de l'uranium, contrôles, etc. – s'interpénètrent. D'autre part, nous devons nous garder d'entrer publiquement dans un débat sur les concessions ou les gains éventuels de telle ou telle partie dans la négociation. Si nous le faisons, les négociateurs iraniens risquent de se retrouver dans une situation impossible vis-à-vis de leur opinion. Il en va de même pour les négociateurs américains vis-à-vis du Congrès.
Examinons successivement les trois ou quatre grands sujets de la négociation. Le premier touche aux limitations. En la matière, notre point de départ est le suivant : l'Iran peut développer le nucléaire civil autant qu'il le souhaite, mais pas la bombe atomique. Et, si nous voulons éviter une course iranienne vers la bombe, il ne faut pas lui permettre de dépasser un certain seuil pour ce qui est de sa capacité d'enrichissement de l'uranium. La question porte tant sur le nombre et la puissance des centrifugeuses que sur le stock d'uranium enrichi dont dispose l'Iran, les deux aspects étant liés. S'agissant du stock, le principe a été retenu qu'il serait traité en Russie, de telle manière qu'il ne puisse pas être utilisé à des fins militaires, le combustible restitué par la Russie étant à usage strictement civil. Les choses sont beaucoup plus compliquées en ce qui concerne l'enrichissement et les centrifugeuses. À cet égard, il faut raisonner en nombre non pas de centrifugeuses – car il existe plusieurs générations de centrifugeuses dont les capacités d'enrichissement diffèrent sensiblement –, mais d'unités de travail de séparation (UTS) ou, en anglais, de separative work units (SWU). À ce sujet, toute une série d'idées nouvelles ont été émises, qui demandent des calculs et des vérifications très techniques. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons décidé de prolonger les discussions.
Le deuxième sujet, la transformation, concerne essentiellement les installations d'Arak et de Fordow. Le réacteur à eau lourde d'Arak est potentiellement dangereux, car il peut produire du plutonium en grande quantité. Il nous fallait trouver une méthode pour que ce réacteur continue à exister, mais qu'il n'utilise plus une technologie à eau lourde. Plusieurs idées ont été avancées et une solution devrait être trouvée.
Le problème posé par l'usine souterraine de Fordow est de tout autre nature. Enfouie très profondément dans le sol, elle est protégée contre d'éventuelles frappes. Nous devons nous assurer que les Iraniens n'y mènent pas de travaux de recherche et développement innovants et dangereux, et qu'ils n'y abritent pas de centrifugeuses. Des pistes ont été esquissées sur ce point, mais nous ne disposons pas encore d'un paragraphe rédigé et prêt à être signé.
Le troisième sujet, la vérification, est le plus compliqué : la condition sine qua non d'un accord est que l'AIEA ait la possibilité de vérifier tout et partout, y compris de manière inopinée, mais elle est très difficile à admettre pour les Iraniens. Selon les vérifications effectuées par l'AIEA, les Iraniens ont respecté les engagements qu'ils avaient pris il y a un an : ils n'ont pas mis à profit la période de l'accord intérimaire, entre novembre 2013 et novembre 2014, pour développer des activités contraires à ces engagements.
La question de notre capacité de vérification est très étroitement liée à celle des sanctions. Les Iraniens souhaiteraient que nous levions immédiatement toutes les sanctions – tant celles du Conseil de sécurité de l'ONU, qui visent à empêcher l'Iran de développer un programme nucléaire militaire, que celles des États-Unis et de l'Union européenne, qui ont un caractère essentiellement économique – dès lors qu'un accord serait conclu. En revanche, du point de vue des « 5+1 », il faut que les contrôles soient périodiques et que les sanctions puissent être rétablies immédiatement dans le cas où l'Iran ne respecterait pas l'accord.
Enfin, les restrictions imposées à l'Iran, notamment les mesures supplémentaires pour vérifier l'absence de tout programme militaire, ne s'appliqueront pas de manière perpétuelle. Comme les résolutions du Conseil de sécurité l'indiquent, bien que cela soit souvent oublié, une fois la confiance rétablie, le programme iranien sera traité comme le programme de n'importe quel autre Etat signataire du TNP. Au-delà de la durée de l'accord sur l'enrichissement, qui doit être longue, les Iraniens seraient libres de tout engagement. Ils deviendraient alors, dans la terminologie de l'AIEA, un État « de routine». Pour sa part, l'Iran se dit prêt à respecter cette condition pendant une durée qui reste à déterminer, à condition que l'on considère que, passé ce délai, il sera un État digne de confiance et qu'il sera, à ce moment-là, soumis aux obligations fixées dans les traités généraux, qu'il s'engage à signer entre-temps. La question qui se pose est donc la suivante : à partir de quel moment l'Iran pourrait-il être considéré comme un État « normal » ? À ce stade, elle n'est pas réglée.
Les Iraniens se disent prêts à le ratifier.
En tout cas, j'ai trouvé l'atmosphère générale à Vienne beaucoup plus positive que lors des discussions précédentes. Néanmoins, il convient de rester très prudent, car c'est au moment de l'éventuelle signature d'un accord que l'on pourra en mesurer les avantages et les inconvénients.
Afin de préciser la position de la France, j'ai défini des lignes rouges, qui me paraissent incontestables et ne sont nullement négatives. En outre, j'ai fait inscrire une phrase prononcée par M. Rohani dans le préambule de l'accord préliminaire et dans le projet d'accord définitif : « Under no circumstances will Iran ever seek nor develop any nuclear weapons. » – « En aucune circonstance, l'Iran ne cherchera à acquérir ni ne développera d'arme nucléaire. » Chaque fois que nous abordons un sujet dans la négociation, je rappelle cette affirmation, et souligne la nécessité d'en tirer les conséquences techniques. Si elle peut être vérifiée, je serai favorable à l'accord trouvé. En revanche, si tel n'est pas le cas, je ne donnerai pas mon agrément. Nous avons prolongé les discussions d'un premier délai de trois mois, puis de quatre mois supplémentaires pour les annexes. Je ne serais guère étonné que l'ensemble de la négociation se poursuive jusqu'au 30 juin 2015. Il s'agit d'un problème de sécurité général. Nous devons donc faire preuve non seulement de bonne volonté, mais aussi d'un grand sérieux, la recherche de la paix et de la sécurité restant la première exigence qui s'impose à nous.
Quant aux relations économiques avec l'Iran, si nous ne parvenons pas à un accord, il n'y aura d'accord pour personne. En revanche, si nous parvenons à un accord, les Français n'ont pas de raison d'être moins habiles que les autres. Gardons-nous de raisonner de la sorte : l'affaire est trop sérieuse pour que nous la subordonnions à d'autres considérations.
S'agissant de l'Irak, je n'ai pas d'éléments nouveaux à vous communiquer.
Concernant la Syrie, j'ai publié une tribune dans plusieurs journaux français et étrangers il y a trois semaines, afin de signaler qu'Alep devait être notre prochain objectif. À Kobané, la résistance s'est organisée et l'avancée de Daech semble désormais contenue. En revanche, à Alep, toutes les forces sont présentes : Daech, les troupes de Bachar Al-Assad, Al-Qaïda et l'opposition modérée. D'une part, il convient de sauver des dizaines de milliers d'Aleppins du massacre. D'autre part, si nous parvenions à créer, au nord de la Syrie, voire ailleurs dans le pays, des zones de sécurité que personne ne pourrait bombarder, la population civile pourrait s'y réfugier et n'aurait pas à fuir vers la Turquie, la Jordanie ou le Liban. Cette démarche est également préconisée par l'envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies pour la Syrie, M. Staffan de Mistura, ainsi que par la Turquie.
Choisir Alep comme notre prochain objectif nous obligerait à sortir de l'ambiguïté vis-à-vis de Bachar Al-Assad. Les frappes contre Daech lui profitent. Et il continue, pour sa part, à faire larguer des barils d'explosifs. Selon nous, la solution consistera à associer des éléments du régime et de l'opposition, ce qui suppose que nous ne fassions pas le lit de Bachar. Or, si nous réussissons à instaurer des zones de sécurité où les Syriens peuvent être libres et échapper aux bombardements, cela signifiera qu'il n'est pas maître de tout le territoire syrien.
Nous discutons de cette question avec les États-Unis. À cet égard, monsieur Loncle, loin de définir ma position par rapport à celle du Parti républicain ou à celle du Parti démocrate, je cherche surtout à adopter une position juste. À ce stade, les Américains hésitent. D'un côté, ils aimeraient bien agir dans ce sens. De l'autre, ils considèrent que leur ennemi est avant tout Daech. En créant des zones de sécurité, nous toucherions Daech et Al-Qaïda, tout en réduisant les ambitions de Bachar Al-Assad. Or, si nous voulons trouver une solution avec le concours de la Russie – avec laquelle nous discutons –, voire avec celui de l'Iran, il faut que nous affaiblissions Bachar. Les Russes répètent qu'ils ne sont pas mariés avec lui, mais ils pensent toujours, à ce stade, qu'il va finir par l'emporter. Leur point de vue pourrait évoluer, s'il n'était plus, demain, en position de force.
M. Laurent Fabius.
Plusieurs d'entre vous ont relevé à juste titre que les avions français opéraient en Irak, mais pas en Syrie. Nous avons en effet souhaité nous différencier, car la stratégie de la coalition nous paraissait ambiguë.
J'en viens à la situation en Ukraine. Les choses se passent mal, voire très mal, d'un côté comme de l'autre. Les élections législatives ukrainiennes ont été remportées non pas par M. Porochenko, mais par M. Iatseniouk, dont la position est différente. Quant aux Russes, ils ne se comportent pas comme ils le devraient : leurs troupes sont présentes dans l'est de l'Ukraine pour soutenir les séparatistes. Et le risque que vous avez mentionné concernant Marioupol, monsieur Lellouche, est bien réel. S'il devait se matérialiser, les choses se présenteraient en effet sous un jour différent. Le climat est encore alourdi par une série de déclarations, ainsi que par l'accord passé hier entre la Russie et l'Abkhazie.
En effet.
Nous souhaiterions bien sûr respecter les engagements contractuels que nous avons souscrits en 2011. Mais pensez à toutes les conséquences, politiques et économiques. Nous ne pouvons pas livrer un navire militaire à un pays qui mène une guerre contre un autre, à un moment où la sécurité européenne est menacée. Sur le plan économique, ainsi que vous l'indiquez, la Russie est un partenaire important. Je fais partie de ceux qui ont défendu l'idée qu'il fallait non seulement commercer avec la Russie, mais construire une relation stratégique avec elle. Cependant, si nous livrions le Mistral dans les conditions actuelles – espérons qu'elles changent –, cela aurait aussi des conséquences sur nos relations économiques avec d'autres pays. Il n'y a donc pas de bonne solution. Nous essayons d'agir de telle manière que nous puissions livrer les Mistral. C'est pourquoi nous avons retardé l'échéance, ainsi que le contrat le permettait. En revanche, abandonnez l'idée selon laquelle nous pourrions les revendre à un autre État – Canada, Chine, États-Unis ou autre –, comme je le lis parfois dans la presse : le contrat l'interdit formellement. Bien sûr, l'enjeu financier est important.
Encore une fois, les Russes ne se comportent pas comme ils le devraient, mais, depuis les élections législatives, l'attitude ukrainienne n'est pas non plus celle que nous pourrions souhaiter. La décision du nouveau gouvernement ukrainien de ne plus payer les pensions des retraités qui habitent dans les zones du Donbass contrôlées par les séparatistes et d'y suspendre l'activité des services publics n'est sans doute pas la meilleure qui soit si l'objectif est de préserver l'unité de l'Ukraine. D'autre part, la nouvelle coalition a fait de l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN l'un de ses objectifs. J'ai déclaré ce matin sur France Inter que nous ne partagions pas cette approche. Si vous voulez agiter le chiffon rouge, c'est précisément ce qu'il faut faire !
Non. Lors du dernier sommet de l'OTAN au Pays de Galle, aucun pays, pas même les États-Unis, n'a déclaré qu'il souhaitait voir l'Ukraine rejoindre l'OTAN. Il s'agit d'une question très délicate.
En résumé, nous ne sommes pas du tout d'accord avec l'attitude russe, mais nous ne pouvons pas, pour autant, donner un blanc-seing à la politique ukrainienne. D'autant que nous, Européens, payons la facture économique. Un accord sur le gaz vient certes d'être conclu sous l'égide du commissaire européen chargé de l'énergie, M. Oettinger, mais les Russes viennent d'annoncer qu'ils vont interrompre leurs livraisons de charbon à l'Ukraine. Je ne renvoie pas les deux parties dos à dos, mais faisons très attention. Notre position consiste à dire qu'il faut en revenir aux accords de Minsk, que les deux parties avaient signé, de manière assez inespérée d'ailleurs. Nous avons, bien sûr, des contacts étroits avec les Russes. Vous avez d'ailleurs pu remarquer que la réaction russe à l'annonce du Président de la République concernant le Mistral a été assez modérée à ce stade. Nous essayons non pas de gagner du temps, mais de faire en sorte que le contrat conclu en 2011 puisse être mis en oeuvre. Cependant, dans une situation qui pourrait tourner à l'affrontement total, nous n'allons pas non plus nous comporter comme Ponce Pilate, en ignorant les réalités.
Par ailleurs, ce que vous avez dit les uns et les autres au sujet des sanctions est tout à fait juste : elles touchent durement l'économie russe, mais elles affectent aussi l'Allemagne et la France, notamment dans le domaine agricole.
La séance est levée à dix-neuf heures vingt.