Intervention de Gilles Lurton

Séance en hémicycle du 15 décembre 2014 à 16h00
Simplification de la vie des entreprises — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Lurton :

Venez rencontrer les entreprises sur le terrain ! Je l’ai fait vendredi soir, à l’occasion d’une assemblée générale avec les entreprises du bâtiment et des travaux publics de ma circonscription. Je leur ai dit que j’allais débattre ce soir d’un texte sur la simplification de la vie des entreprises et j’ai vu leurs sourires amusés, ou plutôt désabusés, car cela n’a plus rien d’amusant. Les choses n’ont jamais été aussi compliquées pour les chefs d’entreprise, qui s’arrachent les cheveux pour savoir comment appliquer, par exemple, les mesures sur la pénibilité – encore un bel exemple de simplification !

Il s’agit tout d’abord d’un texte volumineux : 37 articles initialement, 61 au final, et en outre examiné selon un calendrier contraint. Le Gouvernement souhaitait aller vite sur ce texte, et tant pis si c’était au détriment du travail parlementaire… Il s’est déroulé moins de quatre semaines entre la présentation du texte en conseil des ministres, c’était le 25 juin 2014, et le vote en première lecture par notre assemblée. Dès le 8 juillet, une commission spéciale était constituée. Le 9 juillet, audition du ministre, le 16 juillet, examen du texte en commission spéciale puis le 22 juillet en séance publique à l’Assemblée nationale. Autant dire que les députés n’ont eu que peu de marges de manoeuvre pour faire évoluer le texte.

Fort heureusement, les sénateurs ont eu un peu plus de temps que nous et ils ont ainsi pu véritablement contribuer à l’élaboration de ce projet de loi. En effet, prendre le temps d’examiner un texte ne signifie pas perdre son temps !

Le premier texte examiné par la commission spéciale prévoyait pour la moitié des articles une habilitation du Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances. Ces ordonnances devaient être prises dans un délai de six à dix-huit mois après la promulgation de la loi. Fort heureusement, le travail parlementaire, à l’Assemblée comme au Sénat, a permis parfois de modifier directement la législation sans recourir aux ordonnances. Ces modifications seront d’application immédiate et bénéficieront aux personnes concernées.

Monsieur le secrétaire d’État, les textes gagnent toujours en qualité quand chacune de nos deux assemblées peut prendre le temps de les examiner sereinement.

Mais où est le choc de simplification tant annoncé par le Président de la République et ses gouvernements successifs ? Depuis deux ans et demi, c’est tout le contraire qui se produit au fil des textes que vous nous faites voter. Au lieu de simplifier, votre texte sur la simplification de la vie des entreprises complique encore les choses.

Prenons, par exemple, les dispositions relatives au logement et à la construction. L’article 7 vise à faciliter les projets de construction alors même que cette question était supposée avoir été traitée dans le cadre des ordonnances Duflot prévues par la loi du 1er juillet 2013. Lors de l’examen de la loi ALUR, nous n’avons cessé de vous alerter sur les risques qu’elle faisait courir. Tout ce que nous craignions s’est malheureusement réalisé : augmentation des coûts, complexification, fuite des investisseurs, découragement des professionnels. Nous sommes très loin des promesses de François Hollande de construire 500 000 logements par an : nous en sommes à peine à 250 000 en 2014.

Face à la réalité des chiffres, vous semblez vous rendre compte qu’il y a un problème, et vous faites marche arrière. L’article 7 ter, issu d’un amendement du Gouvernement déposé en séance, vise à l’habiliter à prendre une ordonnance pour assouplir à nouveau la loi ALUR. C’est tout de même une situation assez ubuesque ! Mais elle est malheureusement récurrente. Elle est le résultat de ce qui est dénoncé depuis deux ans et demi au Parlement : des projets de loi volumineux, mal ficelés, examinés souvent dans la précipitation et amendés sans aucune étude d’impact. Nous en mesurons souvent les conséquences après coup.

Vous foncez, sans écouter ceux qui vous alertent, ceux qui vous critiquent. Le résultat, c’est que nous passons notre temps à défaire ce qui a été fait quelques mois plus tôt. C’est un drame pour la crédibilité du travail parlementaire, un drame pour la crédibilité de l’action politique. Vous auriez dû, mes chers collègues en tirer les leçons pour le reste du quinquennat. Malheureusement, force est de constater que le rythme d’examen des textes à venir, et je pense en premier lieu au projet de loi Macron, démontre qu’il n’en est rien.

Autre mesure de complexification pour les entreprises : l’application du compte pénibilité et l’obligation d’information en cas de cession d’une entreprise. Ces deux mesures ont été supprimées au Sénat, contre l’avis du Gouvernement. Souhaitant aboutir à un texte de compromis, la commission mixte paritaire est revenue sur ces deux dispositions. Pour autant, nous voulons vous rappeler que ce sont deux mesures qui envoient de très mauvais signaux aux entreprises.

Je vous l’ai dit, et tout le démontre aujourd’hui : le compte personnel de prévention de la pénibilité tel qu’il est prévu par la loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraite est un outil complexe et inapplicable qui va alourdir considérablement les charges administratives des entreprises. Or, les TPE et les PME ne disposent pas forcément de la ressource humaine nécessaire pour tenir au jour le jour les fiches d’exposition des salariés. Et vous savez aussi que les différences d’appréciation entre employeurs et salariés sur l’exposition à la pénibilité seront sources de nombreux contentieux.

Si elle part d’une préoccupation légitime, déjà prévue d’ailleurs par l’article 11 de la loi sur l’économie sociale et solidaire, l’obligation d’information préalable des salariés en cas de cession d’une entreprise va se révéler inefficace, voire contre-productive. Elle n’empêchera malheureusement pas les entreprises de fermer. Elle risque au contraire de fragiliser l’entreprise auprès des salariés, des clients et des investisseurs.

J’en viens, mes chers collègues, aux dispositions qui, je n’en doute pas, seront adoptées définitivement à la fin de cette semaine et qui sont présentées comme la traduction législative de la mise en oeuvre des cinquante propositions du Conseil de la simplification pour les entreprises, coprésidé par vous-même, monsieur le secrétaire d’État, et Guillaume Poitrinal. Nous reconnaissons bien volontiers la présence de vraies mesures de simplification, telles que la suppression de la déclaration des congés d’été pour les boulangers, ou encore l’harmonisation des notions de jour. Certaines dispositions permettent un dépoussiérage bienvenu des lois et la suppression nécessaire de dispositions obsolètes.

Grâce au Sénat, le contrat à durée déterminée à objet défini, le CDD-OD, a été pérennisé. Le CDD-OD, prévu par l’Accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008, a été expérimenté jusqu’au 23 juin 2014 et semble répondre à de réels besoins notamment dans le secteur de la recherche. En effet, ce contrat permet, dans certaines branches et entreprises qui ont signé des accords collectifs, de recruter des ingénieurs et des cadres sous CDD de dix-huit à trente-six mois, pour des réalisations sortant de l’ordinaire. Je tiens d’ailleurs à rappeler que notre collègue Gérard Cherpion avait lui-même proposé sa pérennisation dans sa proposition de loi portant simplification et développement du travail que vous avez rejetée en octobre dernier.

De nombreuses mesures ont donc notre approbation et c’est la raison pour laquelle nous n’avons pas voté contre ce texte en juillet dernier. Vous me demanderez alors pourquoi nous n’avons pas voté pour… Nous regrettons tout simplement que ce texte, pour le moins utile, soit un alibi, un alibi face aux mesures de complexification adoptées par ailleurs, un alibi pour éviter de vous attaquer aux vrais défis que nous devons relever pour aider les entreprises. Il s’agit en fait d’engager de véritables réformes de structures. Il s’agit de baisse des charges, de réforme du code du travail, de refonte des seuils dans les entreprises. Ce sont les vraies réponses pour permettre aux entreprises de maintenir leur activité et de devenir plus compétitives.

Nous avons donc choisi de nous abstenir sur ce texte. Nous ne souhaitons pas bloquer le mouvement de simplification que nous avons engagé sous la précédente législature, notamment avec Jean-Luc Warsmann. Mais nous ne pouvons pas vous signer un chèque en blanc et oublier les mesures contre-productives que vous prenez depuis deux ans et demi.

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