Intervention de Cécile Duflot

Séance en hémicycle du 15 décembre 2014 à 16h00
Simplification de la vie des entreprises — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Duflot :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission mixte paritaire, madame la rapporteure, chers collègues, nous examinons aujourd’hui le texte issu de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises. Ce texte s’inscrit dans le cadre de la mise en oeuvre du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi. Il vient après des ordonnances validées par la loi du 2 janvier 2014, et notamment des mesures de simplification comptable pour les PME. Il mettra en oeuvre certaines des cinquante mesures proposées en avril 2014 par le Conseil de la simplification pour les entreprises.

Avant de parler du fond, je souhaiterais parler de la forme. Si un grand nombre des dispositions finales de ce texte se situent à la limite du domaine législatif et du domaine réglementaire, le choix du Gouvernement de procéder en urgence et en ayant recours à toute une série d’ordonnances est quelque peu regrettable, car si certaines dispositions le méritent, d’autres bien moins. Le prochain projet de loi sur la croissance et l’activité prévoit lui aussi nombre de recours aux ordonnances et poursuit la même logique. Il y a donc un manque de clarté dans la méthode qui, en empêchant la tenue de débats pourtant nécessaires, induit de fait une diminution des prérogatives du Parlement, qui est réduit pour certains sujets à une simple chambre d’enregistrement.

De la même manière, je relaie le regret de mes collègues écologistes qui ont travaillé ce texte avec vous, et en particulier celui de Michèle Bonneton : cette loi a été examinée en première instance dans des délais tellement resserrés, à la fin de la session parlementaire, qu’il n’a pas été possible d’y travailler correctement et notamment d’organiser des auditions sereinement. Malgré cette pression, il aura tout de même fallu six mois pour boucler la procédure. Le même sort est réservé au futur projet de loi sur la croissance et l’activité. Cela ne nous paraît pas acceptable, d’autant qu’au détour de ces textes, on revient parfois sur des dispositions et des équilibres validés après de longs débats au Parlement, comme c’est le cas pour certaines mesures relatives à l’urbanisme, ou encore partiellement pour celles concernant le compte pénibilité. Heureusement, dans sa sagesse, la CMP est revenue sur la proposition de nos collègues sénateurs d’abroger l’article de la loi relative à l’économie sociale et solidaire qui assure une information des salariés sur la possibilité de reprise de leur entreprise. Le groupe écologiste s’en réjouit.

Revenons-en au fond : la simplification – un terme magique, d’ailleurs : nul ne peut être contre la simplification ! Il convient néanmoins d’être vigilant, de ne pas considérer que ce terme vaut blanc-seing et de se pencher sur la forme qu’elle peut prendre en pratique. Certes, il faut évidemment simplifier certaines procédures, mais trop souvent, on en profite pour montrer du doigt notre administration. Je tiens vivement à ce que tel ne soit pas le cas, comme vous l’avez en partie évoqué tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État. Nous pouvons et nous devons être fiers de notre administration et de celles et ceux qui, au quotidien, veillent à faire fonctionner notre pays.

Notre administration et les règles qui régissent notre pays, il faut le dire devant l’Assemblée nationale, sont aussi des facteurs de stabilité juridique, un élément déterminant pour les entreprises et les investisseurs internationaux. Ainsi, quand la simplification des procédures est un facteur d’amélioration du quotidien des entreprises, des collectivités territoriales et de nos concitoyens, il faut s’en féliciter, mais il ne faut pas sous-entendre pour autant que toute procédure serait inutile.

Si la simplification signifie rendre plus lisible, dans un bel esprit de consensus, la relation des entreprises à l’administration française, alors oui, elle est vivement souhaitable. Mais là aussi, un temps d’expertise aurait été utile sur certaines questions. Toujours en quête d’une croissance du produit intérieur brut hypothétique, l’objectif du texte consiste à améliorer la productivité des entreprises, mais il est difficile, voire impossible, de mesurer l’impact réel de ses dispositifs. S’il est certain qu’ils faciliteront leur travail, il est permis de douter de leur effet réel sur le niveau de l’activité dans notre pays.

Pour ce qui est des mesures elles-mêmes, je retiens la simplification de certaines règles pour accélérer la construction de logements et renforcer les mesures tendant à densifier l’urbanisation. Un premier pas avait été accompli avec la loi ALUR. Quant à la densification, vous connaissez la position des écologistes sur le sujet : elle est indispensable pour protéger le foncier agricole.

À l’article 7, le 1er alinéa, qui a été supprimé, prévoyait de revoir les procédures afin d’organiser la participation du public à l’élaboration de décisions prises sur les demandes de permis de construire ou d’aménager selon des modalités alternatives à l’enquête publique. Les oppositions et la déliquescence du débat public à Notre-Dame-des-Landes, à Sivens ou à Roybon, où des permis de construire peuvent être annulés après la réalisation des travaux, ce qui conduit à des situations de blocage, nous montrent à quel point il est urgent de légiférer sur cette question.

Si le Président de la République et la ministre de l’écologie se sont exprimés en ce sens, les écologistes attendent des actes et souhaitent qu’un texte spécifique relatif au dialogue environnemental soit rapidement présenté au Parlement. La simplification ne consiste pas simplement à supprimer des dispositions ; c’est là le risque majeur dans le domaine de l’environnement.

Nous le savons, certains prétendent avec beaucoup assurance que l’écologie empêche la réalisation de projets majeurs en France. Mais l’environnement et le développement ne doivent en aucun cas être opposés. C’est avec un véritable dialogue environnemental en amont que l’on évitera les situations de blocage que nous connaissons aujourd’hui. Nous souhaitons que l’élaboration de ce texte soit précédée d’une véritable consultation des acteurs et des citoyens concernés par ces sujets. La réforme de la déclaration d’utilité publique, véritable serpent de mer au coeur du débat sur le lien entre le développement et l’écologie, doit être abordée avec sérénité, franchise et responsabilité. La transposition des directives européennes, notamment celle sur l’eau, n’est pas une option pour notre pays.

À l’article 12, les mesures en matière de droit des sociétés sont importantes. Ainsi en est-il de la diminution du nombre minimal d’actionnaires nécessaire à la constitution de sociétés. Dans le domaine de l’expérimentation de l’autorisation unique en matière d’implantation d’éoliennes, prévue par l’article 11, il convient de lever l’incertitude juridique du texte récemment adopté, car cela conduirait au rejet des dossiers non traités par l’administration dans les trois ans que dure l’expérimentation. Il y avait là matière à décourager l’investissement, voilà qui sera corrigé.

D’autres mesures posent réellement question car, sous couvert de simplification, les Français y perdent des droits et des acquis importants. L’extension de la procédure de rescrit au champ du code rural, du travail, de la consommation, de la propriété des personnes publiques ou du patrimoine est une idée intéressante, car l’administration pourra apporter des conseils aux entreprises. Cependant, cette procédure, qui existe dans le domaine fiscal, peut aussi poser problème : l’administration risque de ne plus pouvoir agir a posteriori sans pour autant avoir les moyens d’être suffisamment pertinente en amont. Aussi, les ordonnances devront bien définir cette procédure, car les entreprises font souvent appel à des experts, notamment dans le domaine fiscal, lesquels seront en mesure, sous couvert d’optimisation, de piéger l’administration, qui n’aura pas toujours les moyens humains de répondre. Nous serons très vigilants sur les moyens qui seront accordés à l’administration pour pouvoir appliquer ces dispositions dans de bonnes conditions.

Le même type de problèmes se pose à propos de la suppression ou de la simplification de certains régimes d’autorisation préalable, prévues par l’article 4. Sans être a priori opposée à cette démarche, je précise qu’elle doit rester dans le champ du raisonnable et ne pas déréguler, que dis-je, précariser certaines professions.

Alléger les contraintes, c’est très bien, mais cet article autorise, sans débat parlementaire, le Gouvernement à supprimer ou simplifier les régimes d’autorisation préalable et de déclaration auxquels sont soumis les entreprises et les professionnels et remplace certains d’entre eux par de simples régimes déclaratifs.

Nous avons constaté la difficulté de bien encadrer les professions importantes que sont les professions immobilières. Il n’est pas pertinent de se contenter d’établir un cadre financier. Prenons l’exemple de l’un des régimes, celui des guides-conférenciers. Ces derniers affrontent déjà de nombreuses formes de concurrence et leur qualité professionnelle est déterminante pour assurer un bon service. Nous ne sommes pas convaincus qu’il n’existait pas d’autres moyens de reconnaître leur activité. En mettant sur un même plan les détenteurs d’une carte professionnelle d’activité et ceux qui n’en font qu’un métier d’appoint, on oublie que leur travail n’a ni la même valeur, ni la même finalité et on risque de faire gonfler le nombre d’actifs au mépris de la véritable professionnalisation des guides-conférenciers.

Un autre sujet nous pose véritablement question : celui des marchés publics. Là aussi, la simplification des procédures, par la voie de la transposition de deux nouvelles directives européennes, doit avoir pour contrepartie des moyens pour garantir la bonne application des mesures promues. Si l’intention est louable – promouvoir l’innovation, faciliter l’accès des PME aux marchés publics et assurer une meilleure prise en compte, par les acheteurs publics, des objectifs sociaux et environnementaux – nous avions jusqu’au mois d’avril 2016 pour faire la transposition. Monsieur le secrétaire d’État, qu’est-ce qui imposait cette forme de précipitation sur un sujet si important, alors que les affaires récurrentes de trucages d’appels d’offres ont non seulement un effet négatif sur la perception par les Français de la vie publique, mais entretiennent également des petites oligarchies locales très néfastes pour notre démocratie ?

L’exercice est très difficile, notamment pour les PME, qui ont parfois des moyens humains trop limités pour répondre à des appels d’offres complexes. Nous en sommes parfaitement conscients. Mais l’importance du sujet impose que l’on trouve un juste équilibre entre le niveau de contrainte et la nécessaire transparence de ces appels d’offres.

Vous l’aurez compris, au vu de ces mesures disparates, dont nous soutenons certaines et d’autres bien moins, mais aussi pour exprimer leurs réserves sur la méthode, les écologistes s’abstiendront sur ce texte. J’attends, monsieur le secrétaire d’État, que vous éclairiez la représentation nationale sur les questions que j’ai soulevées et que vous nous précisiez les moyens dont sera pourvue l’administration pour remplir correctement les nouvelles missions qui lui incombent.

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