Intervention de Thierry Mandon

Séance en hémicycle du 15 décembre 2014 à 16h00
Simplification de la vie des entreprises — Discussion générale

Thierry Mandon, secrétaire d’état chargé de la réforme de l’état et de la simplification :

La simplification s’apparente donc à un travail de Sisyphe qu’il faut sans cesse recommencer. C’est une montagne que l’on attaque à la petite cuillère. Et il ne faut jamais sous-estimer l’importance des acquis, qui sont autant de petits cailloux sur le chemin de la simplification. Il s’agit d’un chantier long, qui doit perdurer et qui doit traverser les alternances politiques.

Pour ces raisons, les bases philosophiques de l’action du Gouvernement – simplifier, pour un droit applicable – me semblent très importantes. De ce point de vue, le projet de loi tel qu’il ressort des travaux de l’Assemblée nationale contient des avancées considérables que je souhaite rappeler. En effet, il ne faut pas minimiser le travail collectif qui a été réalisé par les députés et les sénateurs.

Vous vous apprêtez à préciser un certain nombre d’éléments du code du travail, notamment cette fameuse notion de jour qui contribue aujourd’hui à faire casser des procédures entamées de bonne foi par des salariés ou des employeurs.

Vous allez également sécuriser le dispositif du portage salarial, qui sans ce projet de loi aurait dû prendre fin. Dieu sait si c’est important ! Vous allez en effet sécuriser les conditions dans lesquelles un salarié à temps partiel travaillant moins de 24 heures par semaine pourra travailler au-delà.

Vous vous apprêtez à créer le dispositif du rescrit, ou plus exactement à en étendre l’usage à l’urbanisme ou aux questions sociales. Je ne doute pas une seconde que, s’agissant du droit social, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, les Direccte, disposeront des moyens d’appliquer ce dispositif. Pour ces administrations d’ailleurs, il vaut bien mieux donner des conseils en amont d’une décision que de faire appliquer une réglementation en aval, avec les effectifs importants que cela suppose.

Vous allez créer également le titre emploi service entreprise, le Tese, qui simplifie considérablement l’embauche dans les entreprises de moins de vingt salariés. Vous allez également étendre la portée du principe selon lequel le silence vaut accord et simplifier le régime de l’autorisation préalable. Il faut certes rester vigilant, comme le disait Mme Duflot tout à l ’heure, quant aux professions qui seront désormais accessibles par simple voie déclarative et non plus par voie d’autorisation préalable, mais il s’agit tout de même d’une avancée très importante.

Il nous faut aussi ouvrir les yeux sur une situation aberrante : celle de la règle subordonnant la création d’une société anonyme à l’existence de sept associés, une règle qui est, à l’évidence, depuis des années, constamment contournée. Tout le monde ferme les yeux sur des pratiques comme le prêt de parts à des secrétaires afin qu’elles fassent office d’associés… Vous allez mettre fin à ces situations anormales en simplifiant cette règle.

Vous êtes également sur le point de faciliter les conditions de transfert des sièges sociaux ainsi que certaines procédures d’urbanisme, mais aussi les obligations déclaratives des entreprises ainsi que la dématérialisation des procédures. En outre, vous allez permettre la réorganisation des chambres de commerces et d’industrie ainsi que la mise en place de l’établissement public unique résultat de la fusion d’UbiFrance et de l’Agence française pour les investissements internationaux.

Excusez du peu ! Il y a dans ce projet de loi beaucoup de dispositions importantes. Évidemment, il aurait fallu aller plus loin, mais, dans les mois qui viennent, le Gouvernement déposera d’autres textes. Pour l’instant, c’est déjà beaucoup.

Je réponds en un mot à des questions qui m’ont été posées. D’abord, concernant les marchés publics, nous ne pouvions pas attendre. C’était l’intérêt des entreprises françaises. De leur point de vue, le projet permet deux avancées considérables.

La première part d’un constat dressé par tous les maires et par tous élus locaux : aujourd’hui, dans des appels d’offres, il s’avère difficile, au moment de l’ouverture des plis, de prendre en compte comme ils le méritent les critères environnementaux et sociaux lorsqu’une des offres est manifestement plus basse que les autres. C’est très difficile. Il y a des offres si basses qu’il est légitime de s’interroger sur le prix proposé, alors que certaines petites entreprises, implantées dans le bassin d’emploi local ou alors maîtrisant des techniques doublées d’engagements forts dans les domaines environnementaux ou sociaux, ne peuvent pas se trouver attributaires. Le projet de loi permettra de corriger cette anomalie.

La seconde avancée est le partenariat d’innovation. C’est une avancée majeure, et immédiate : il n’y avait aucune raison d’attendre plus longtemps. Il concerne les entreprises innovantes, qui sont légion dans les domaines des biotechnologies, des nanotechnologies ou de l’économie verte par exemple, qui maîtrisent une technologie sans disposer encore de clients. Ces entreprises ont besoin d’une commande afin d’élaborer un prototype et, ensuite, un produit. Or, jusqu’à aujourd’hui, ces entreprises ne pouvaient se voir attribuer de marchés publics en raison de leur absence de références.

Le partenariat d’innovation que crée le projet de loi offrira la possibilité à ces petites et moyennes entreprises, par le biais d’un appel d’offres, d’entamer la finalisation de leurs prototypes. Cela leur permettra d’acquérir les références qui leur manquent pour se développer. Je suis persuadé que ce dispositif, notamment en ce qui concerne l’économie verte, permettra d’aider grandement ces entreprises.

Voilà pour le stock de règles que dans quelques instants vous déciderez, je l’espère, d’alléger. Mais plusieurs interventions, notamment celles de Mme Descamps-Crosnier et de M. Lurton, ont insisté sur la question du flux : à quoi sert d’alléger les règles existantes si on en ajoute d’autres qui complexifient encore notre droit ? De ce point de vue, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire dans cet hémicycle, je pense que vous avez raison. Ce qui s’est vérifié pour les majorités précédentes se vérifiera également, si l’on ne fait rien, pour les majorités à venir : les règles nouvelles que l’Assemblée adopte ajoutent beaucoup plus de complexité que les lois de simplification comme celle dont nous débattons ne peuvent en supprimer.

Il faut donc modifier la fabrication de la loi. J’ai eu l’occasion de participer, avec Mme la présidente et Mme la rapporteure de la commission spéciale, à un colloque. Nous y avons fait des propositions en la matière, certaines étant d’ailleurs d’origine parlementaire. Je pense en particulier à celles figurant dans le rapport de Mme Laure de la Raudière et de M. Régis Juanico sur la simplification législative.

Madame la présidente de la commission spéciale, je vous confirme que certaines de ces propositions seront expérimentées dans le cadre du projet de loi relatif au numérique. Quelles sont les applications concrètes de cet engagement ? Trois mois au minimum avant l’inscription de ce projet de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, le Gouvernement organisera dans la commission saisie au fond, vraisemblablement au mois de janvier prochain, un débat d’orientation portant sur ses grands principes. Ce débat s’engagera sur la base de l’étude d’impact, ce qui obligera les services des ministères à réaliser cette étude très en amont de la rédaction du texte, et non au dernier moment.

Après ce débat d’orientation préalable, le délai de trois mois observé avant l’inscription du projet de loi à l’ordre du jour laissera le temps au Gouvernement d’intégrer tout ou partie des remarques qui auront pu être faites en commission, et donc d’améliorer son projet. Cela laissera également le temps, et c’est un autre des objectifs de cette réforme, aux parties prenantes intéressées par le texte de se manifester en amont de son examen et d’exprimer leur point de vue, qui pourra être repris par le Gouvernement ou par voie d’amendement. Ces mesures amélioreront grandement la qualité de fabrication de la loi.

Je termine avec deux points de méthode. M. Fauré, dans son intervention extrêmement précise, a rappelé son attachement à la méthode qui a été suivie en matière de simplification, qu’il s’agisse des mesures destinées aux entreprises ou, depuis peu, aux usagers ou de la simplification de la vie associative à laquelle nous travaillons actuellement ou encore des différents programmes qui se mettent en place.

Il faut partir des usagers des politiques publiques. Si l’on veut rendre à la « puissance publique » sa puissance perdue, il faut, en partant des usagers, déconstruire la façon dont les politiques publiques sont mises en place afin de les reconstruire en fonction de cette nouvelle orientation. Le Gouvernement plaide en faveur d’une telle conception et souhaite en faire la marque de fabrique de sa démarche, cette démarche que les Anglais appellent bottom-up, dont je n’aime pas dire qu’elle part d’en bas mais qui procède en tout cas d’une vision ascendante de la fabrication de la loi.

Les ordonnances peuvent paraître antinomiques avec cette démarche, c’est vrai, mais Mme Duflot le sait mieux que quiconque : chacun en fait usage lorsqu’il est membre du Gouvernement, pour les dénoncer une fois revenu sur les bancs de l’Assemblée !

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