On ne saurait contester a priori l'objet de cette proposition de loi, puisqu'il s'agit de lutter contre les déserts médicaux en améliorant l'accès aux soins par la réduction, finalement assez modeste – telle du moins qu'elle est affichée –, du reste à charge des patients, notamment dans des secteurs où 15 % des Français déclarent renoncer à se soigner pour des raisons financières.
Le moyen retenu est, en revanche, beaucoup plus contestable. Permettre aux mutuelles de jouer pleinement leur rôle de régulateur du secteur en leur donnant la possibilité d'être des acteurs de la négociation entre l'offre et la demande de soins ne nous semble pas conforme à leur vocation. Pis, cela nous paraît contraire à ce que devrait être le rôle de l'État. S'il doit, en effet, exister un régulateur sur ce marché de la santé, la logique républicaine et le principe constitutionnel d'égalité de tous les Français devant l'accès aux soins imposent que ce rôle de régulateur soit pleinement et complètement assumé par l'État.
Nous sommes d'autant plus étonnés de cette sorte de délégation de pouvoir que les mutuelles n'étaient pas à la table des dernières négociations entre le ministère de la santé et les professionnels. En termes de méthode, il y a comme un hiatus entre l'affichage de démarches concertées et l'absence de transparence entourant ce texte d'origine parlementaire, et non gouvernementale, ce qui est paradoxal au regard de l'importance que le Gouvernement semble accorder à cette démarche.
Outre la méthode, notre inquiétude vient aussi de ce que ce dispositif mettrait en place un réseau parallèle, instaurant des différences dans le niveau des prestations selon que l'assuré choisit de recourir à un professionnel, un établissement ou un service de santé membre d'un réseau de soins. Sous couvert de lutter contre les déserts médicaux, c'est donner une sorte de privilège exorbitant aux mutuelles pour lutter à armes égales contre les assurances et les organismes de prévoyance. Rien n'assure pourtant que ce choix améliorera l'offre de soins sur les territoires, notamment en permettant aux Français de bénéficier durablement de remises plus importantes, par exemple sur les produits d'optique.
Quels critères de qualité seront retenus pour inclure des professionnels dans ces réseaux ? Quelle cartographie nationale pour couvrir équitablement le territoire ? Quel droit de regard la puissance publique, délégataire de sa propre compétence, conservera-t-elle ?
Si ce droit de regard est pleinement exercé, cette proposition pose la question fondamentale du statut des mutuelles. L'État se mêlerait alors de la gestion et du fonctionnement d'organismes privés. Cela signifie-t-il une sorte d'étatisation des mutuelles ? Est-ce là l'objectif ultime de cette proposition ?
Enfin, cette préemption des soins courants par les mutuelles aboutirait à ce que la sécurité sociale n'ait plus finalement à sa charge que les pathologies lourdes. Le reste passerait aux mains d'organismes de droit privé. Est-ce bien là ce que la représentation nationale souhaite pour les Français ?
Cette proposition pose donc plus de questions de fond qu'elle n'apporte de solutions positives, équitables et durables pour les Français. Elle fait d'un constat une sorte de fatalité et l'occasion d'un abandon par l'État d'une compétence fondamentale. Elle ouvre une boîte de Pandore dont on ne peut dire aujourd'hui ce qu'il en sortira, en remettant les clés de l'offre médicale dans les territoires à de grands et puissants réseaux privés qui, même s'ils n'ont pas vocation au profit, ne sont pas pour autant dénués d'arrière-pensées économiques et financières.
À partir du constat pertinent sur lequel se fonde cette proposition, nous devons donc réfléchir à un tout autre système de régulation, qui associe de façon transparente tous les acteurs nationaux et locaux de la contribution à l'égal accès des Français à la santé.
Le groupe UDI aurait pu proposer un amendement de suppression de l'article unique de cette proposition de loi ; nous avons préféré avancer une première idée pour contribuer positivement à un débat qui ne peut pas se réduire à la discussion de ce texte et encore moins à son adoption en l'état.