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Intervention de Danielle Auroi

Réunion du 7 novembre 2012 à 16h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, Présidente :

Je souhaitais faire aujourd'hui un point d'information pour notre commission sur la question des organismes génétiquement modifiés (OGM) et sa dimension européenne. Il s'agit de faire un état des lieux et non de porter un jugement sur la recherche scientifique au moment où les débats et les interrogations de la société et de la communauté scientifique autour des OGM ont été d'une actualité particulière avec la publication d'une étude d'une équipe de chercheurs autour de Gilles-Eric Séralini, sur la toxicité du maïs NK 603 et de l'herbicide Roundup. Rappelons que les États membres n'ont compétence que pour l'autorisation des cultures expérimentales d'organismes génétiquement modifiés (OGM). Toutes les autres autorisations – d'importation, de commercialisation et de culture commerciale – relèvent des autorités européennes. L'agence européenne, l'AESA (Agence européenne de sécurité alimentaire) a donc une place centrale dans le processus de décision car les décisions de la Commission européenne se fondent sur ses avis. Les États membres peuvent toutefois faire valoir des clauses de sauvegarde tant pour la mise en culture que pour les importations, comme l'a fait la France sur la culture du maïs Mon 810. S'agissant du maïs NK 603, il a fait l'objet d'une autorisation communautaire de commercialisation et d'importation en 2004. Les contestations autour de l'étude de M. Séralini ont été nombreuses. L'Autorité européenne de sécurité alimentaire a rendu très rapidement un avis dans lequel elle a mis en avant la fragilité scientifique de l'étude. Notons que les experts qu'elle a désignés étaient ceux qui avaient donné le feu vert au maïs incriminé. Une étude publiée le 30 octobre dernier par une ONG allemande, TestBiotech (Institute for independant impact assessment in biotechnology) met clairement en évidence que l'Agence européenne n'a pas appliqué à l'étude de M. Séralini les mêmes critères que ceux utilisés pour les études conduites par les industriels pour obtenir leurs autorisations.

Les deux agences sanitaires françaises saisies par le gouvernement - l'ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail) et le HCB (Haut Conseil des biotechnologies) - ont récemment rendu leur avis. Elles estiment que les résultats de l'étude de M. Séralini ne permettent pas de remettre en cause les évaluations réglementaires sur le maïs NK 603 et le pesticide Roundup. L'ANSES a néanmoins noté l'originalité de cette étude qui aborde un sujet jusqu'ici peu étudié, celui des effets à long terme des OGM associés à des pesticides et que l'éventail des critères étudiés étaient beaucoup plus larges que d'autres études. Les autorités sanitaires allemandes ont mis en évidence que cette étude est la seule étude à long terme évaluant les risques de l'herbicide Roundup. Si cette étude a eu un tel retentissement, c'est qu'elle aborde le sujet sous son angle le plus vif, celui des risques pour la santé humaine.

Depuis une vingtaine d'années, des études ont alerté l'opinion publique sur les risques d'altération du patrimoine génétique des végétaux, d'appauvrissement de la biodiversité et de déséquilibre des écosystèmes. En revanche, peu de recherches ont été systématiquement menées sur les impacts sanitaires des OGM. Il n'existe que trois études dont celle de M. Séralini sur les effets à long terme des OGM associés à des pesticides. Ceux qui, industriels ou autres, ont les moyens de financer de telles recherches ne semblent guère s'y intéresser, à moins qu'ils estiment que ce n'est pas leur intérêt. Dès lors, une des conditions de l'application du principe de précaution - l'évaluation de données scientifiques disponibles -n'est pas remplie. En tant que parlementaires français, nous avons une responsabilité particulière. En effet, le degré d'acceptabilité sociale des OGM est dans notre pays assez faible, contrairement à certains de nos voisins comme par exemple l'Espagne, premier producteur européen d'OGM.

Le sujet majeur n'est donc pas tant l'étude de M. Séralini que le fait qu'elle met en lumière les défaillances du dispositif d'expertise sur lequel sont fondées les autorisations européennes. Tant les procédures réglementaires d'évaluation que le fonctionnement interne de l'Agence européenne – à qui, on peut le souligner, le Parlement européen n'a pas donné quitus de sa gestion en 2010 – ne présentent pas toutes les garanties que le citoyen et le consommateur européens sont en droit d'attendre.

Tout d'abord, la législation européenne n'impose pas d'évaluer les effets à long terme des OGM. Les cultures transgéniques que nous consommons sont approuvées sur la base de tests toxicologiques pendant une durée de 28 à 90 jours. Cela conduit à ignorer complètement les impacts à long terme pour la santé et l'environnement. De plus, les données des études menées par les industriels qui servent de base aux autorisations d'OGM ne sont pas rendues publiques. Cette lacune dans le système n'est pas la moindre dans la mesure où l'Agence européenne ne procède pas elle-même à l'évaluation des risques mais fonde ses avis sur les évaluations faites par les industriels candidats à une autorisation de leur produit sur le marché européen.

C'est pourquoi il est permis de s'interroger sur la garantie d'indépendance des experts de l'Agence européenne. Ainsi, pour exemple, une ancienne secrétaire générale est devenue salariée du groupe Syngenta, l'un des leaders mondiaux de ce qu'il est convenu d'appeler l'« agrofourniture ». La publication le 11 octobre dernier d'un rapport de la Cour des comptes européenne le confirme très nettement. Elle estime que l'Agence européenne ne gère pas les situations de conflits d'intérêt de manière appropriée. Elle relève qu'aucune procédure spécifique n'est en place. Elle constate que des experts offrent leurs services de consultant, par exemple à une organisation qui rassemble les géants de la chimie, de l'agroalimentaire et de la pharmacie, l'ILSI (International Life Science Institute), en même temps qu'ils en évaluent la méthodologie. Le résultat est que, parmi les quelque 500 avis rendus par l'EFSA sur les OGM, aucun n'a été négatif, ce qui est troublant.

Compte tenu des enjeux de santé publique, l'expertise doit être incontestable afin de garantir aux citoyens une évaluation rigoureuse des impacts des OGM. Afin d'assurer aux citoyens la sécurité et la transparence à laquelle ils ont droit, trois priorités s'imposent. Elles seraient du reste conformes aux conclusions du Conseil européen « environnement » du 5 décembre 2008 sur les OGM, conclusions qui, à l'époque, avaient été largement portées par la France. Tout d'abord, à l'occasion de la prochaine révision du règlement sur les lignes directrices européennes - qui servent de base au contenu des dossiers d'autorisation fournis par les industriels - une remise à plat du dispositif communautaire d'évaluation, d'autorisation et de contrôle des OGM et des pesticides s'impose . Il serait d'abord essentiel d'améliorer la puissance et le traitement statistique des tests. Très concrètement, les tests toxicologiques doivent être généralisés sur la durée de vie d'un cobaye, c'est-à-dire deux ans, et porter sur la formulation commerciale du produit. Une contre-expertise devrait de plus pouvoir être menée et l'on doit exiger des producteurs qu'ils publient leurs études. Par ailleurs, les lignes directrices doivent mieux prendre en compte la question des effets cumulés entre substances actives des OGM et des pesticides. Pour les OGM résistants ou secrétant un pesticide, les tests devraient porter sur les effets conjoints de ces deux propriétés.

Deuxième priorité, pour remédier au divorce entre la société et l'expertise scientifique, celle-ci ne doit pas pouvoir être suspectée de laxisme ou de collusion avec des intérêts de quelque nature que ce soit. Nous avons tous en mémoire les études sur les effets du tabac, dont il est maintenant établi qu'elles avaient pour la plupart été financées pour les besoins de la cause par les producteurs. Rappelons-nous aussi le « comité permanent amiante » dont l'objectif était de détenir le monopole de l'expertise scientifique sur les risques sanitaires liés à l'amiante. On peut légitimement suspecter des mécanismes analogues en ce qui concerne les OGM. Afin d'assurer la sérénité et l'équité des débats, l'impartialité de l'expertise doit être garantie par un recours à des experts scientifiquement reconnus pour leurs compétences et leur indépendance. Depuis le scandale du Médiator, il existe au sein de l'Agence française de sécurité sanitaire, un comité de déontologie et de prévention des conflits d'intérêt ; on devrait s'interroger sur la mise en oeuvre d'un tel dispositif au niveau européen. Par ailleurs, il n'est pas acceptable que les acteurs de l'expertise organisent eux-mêmes leur propre critique. La proposition de loi discutée au Sénat sur la création d'une Haute autorité de l'expertise, qui pourrait requérir des avis scientifiques auprès des agences ou autres organismes scientifiques et demander la conduite de travaux nécessaires pour juger du bien-fondé d'une alerte, pourrait montrer la voie au niveau européen.

En tout état de cause, comme le pointe l'ANSES dans son avis, l'application du principe de précaution pose la question du financement des études. En effet les travaux de recherche publique bénéficient de moyens beaucoup plus limités que les études financées par les industriels. Des financements publics doivent donc être mobilisés pour des études sur les risques sanitaires des OGM.

Enfin, si les européens produisent peu d'OGM, ils en consomment abondamment, par le biais des importations. Or au niveau européen les règles communautaires d'étiquetage ne garantissent pas la traçabilité des produits que nous trouvons dans nos assiettes. Elles ne permettent par exemple pas au consommateur de faire la distinction entre une viande issue d'un animal ayant consommé des OGM et une viande issue d'une filière garantissant une alimentation sans OGM. Elles ne prévoient pas non plus d'information du consommateur en cas de présence d'OGM inférieure à 0,9 %. Ce flou vaut aussi dans la filière biologique, où s'applique le même seuil de 0,9 %. Avant la réforme du règlement européen en 2007, chaque État membre pouvait mettre en oeuvre, au nom du principe de subsidiarité, des mesures plus strictes dans cette filière. Il est regrettable que l'harmonisation européenne par la généralisation du seuil de 0,9 % se soit faite sur la base de la norme la moins protectrice du consommateur. Les consommateurs ont besoin d'un étiquetage clair et honnête. L'issue d'un contentieux récent peut fournir à la Commission l'occasion de clarifier l'ensemble des règles d'étiquetage. Il s'agit de l'arrêt rendu en septembre 2011 par la Cour de justice de l'Union européenne sur le miel, qui a requalifié le pollen contenu dans le miel en ingrédient et non plus en constituant naturel du produit. Or, les ingrédients sont soumis à l'autorisation.

Je soulignerais pour terminer que les questions en débat autour des OGM doivent être replacées dans le cadre plus général de tout ce qui peut affecter la santé humaine, notamment pour les perturbateurs endocriniens sur lequel l'AESA souhaite avoir compétence.

Le débat sur les OGM rejoint aussi celui sur la politique agricole commune. Si l'on exporte en grandes quantités des tourteaux de soja génétiquement modifiés pour nourrir le bétail européen, c'est en raison de la dépendance européenne historique en matière de protéines. L'objectif de la PAC d'autosuffisance et de sécurité alimentaires consiste aussi à mettre en place une nouvelle politique d'autonomie protéique !

En attendant que notre commission se prononce sur le projet de règlement sur la modification des lignes directrices européennes d'évaluation des OGM , je vous propose d'adopter les conclusions dont le texte vous a été distribué.

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